Préparations militaires : dans « l’enfer » de Saint-Cyr Coëtquidan
Chaque année, plusieurs centaines de jeunes diplômés découvrent l'armée pendant trois semaines : au cours d'une préparation militaire ouverte aux bacheliers, des hommes et des femmes aux parcours très variés viennent se frotter à la grande muette. Pour beaucoup c'est la première étape d'une carrière sous les drapeaux.
Le mois de mai est plutôt frais en Bretagne. Il est six heures du matin et les vingt-six élèves de la section 1 grelottent au garde-à-vous. Venus de toute la France, ils portent l'uniforme qu'on leur a remis la veille, à leur arrivée au camp de Coëtquidan. Les sous-officiers qui les encadrent annoncent le programme de la journée : plusieurs heures de sport, une initiation au maniement du Famas, à la marche au pas cadencé, à l'usage des grenades, au camouflage, et enfin à la stratégie, après le diner...
"On a toujours des abandons, nous dit un sergent. Et puis des blessés qui doivent rentrer chez eux. Un quart de ceux qui arrivent ne va pas au bout des trois semaines"
Le rythme est intense. Les heures de sommeil, rares. Et les formateurs ne sont pas tendres. Les jeunes gens sont là pour tester l'armée, et cette dernière les teste aussi - en décourageant ceux qu'elle juge inaptes à intégrer ses rangs.
"J'espère obtenir de bonnes appréciations, nous souffle Samuel, un des vingt-six. Avec ça j'aurais mes chances de devenir officier sous contrat si je postule plus tard."
Le jeune homme a vingt-sept ans. Il est consultant commercial et s'ennuie dans son métier. "J'ai envie d'une vie différente, reprend-il, de servir à quelque chose et de voir du pays."
Beaucoup sont dans son cas : après quelques années de carrière dans le civil, ils aspirent à autre chose et s'essayent à l'uniforme. Le plus âgé a vingt-neuf ans et travaille comme infirmier. La plus jeune vient d'en avoir dix-huit. Seule fille du groupe, elle a abandonné la fac de droit en cours d'année.
Les journées s'enchaînent, plus intenses les unes que les autres. La fatigue commence à se faire sentir. Samuel n'en peut déjà plus : compressés dans leurs rangers, ses pieds lui font un mal de chien, et il a été sanctionné la veille pour un retard au rassemblement.
Pas de trainards. Pas de canards boiteux. Jimmy l'a appris a ses frais. Cet étudiant en école d'ingénieurs a eu le malheur de laisser tomber son fusil d'assaut. Au garde-à-vous il a regardé ses camarades faire des pompes, les mains sur le bitume. "On les a tous punis à ma place, les gradés font toujours ça. C'est pour nous montrer que le groupe pâtira de chacune de nos conneries."
Les réprimandes se font de plus en plus fréquentes. "On leur met la pression, explique le sergent, pour voir s'ils tiennent le coup. Un soldat ça résiste au stress et à l'adversité."
La seule solution : se serrer les coudes. Les élèves s'entraident en permanence, soutiennent les moins résistants, physiquement et moralement.
"On fonctionne comme une équipe, constate Jimmy, on se connaît depuis peu de temps mais il y a déjà une grande solidarité. C'est ce qu'on essaye de nous inculquer."
Un camp au milieu des arbres
La section campe désormais dans les bois de l'immense domaine de Saint-Cyr Coëtquidan. Chaque nuit, les groupes de sentinelles se relaient pour monter la garde. "Comme à la guerre !" plaisante Samuel. Et chacun doit dormir avec son arme. La journée les ateliers s'enchainent. Les apprentis soldats apprennent le tir, la progression en terrain hostile, la communication radio, le transport d'un blessé sur un brancard de fortune. À son grand soulagement, c'est Jimmy qu'on a designé pour le rôle de l'invalide. Il profite d'une demi-heure de repos pendant que trois camarades le transportent en soufflant vers le sommet d'une côte, sous la menace d'un ennemi imaginaire.
Puis par groupes de deux on les lâche dans la nature, boussole et carte en main, à la recherche d'une balise. Jimmy ne comprend rien à la topographie. "On s'est perdus en pleine forêt. Au retour on s'est fait gueuler dessus, une fois de plus..."
L'exercice se poursuit jusqu'à trois heures du matin. Par petits commandos, les élèves doivent rejoindre un point situé à plusieurs kilomètres, sans être repérés par des sous-officiers qui leur donnent la chasse. À leur arrivée d'autres simulent une embuscade et les contraignent à courir à travers bois, à ramper, sauter et cogner sur des sacs de frappe accrochés aux arbres.
Les jours défilent à toute vitesse. Il n'en reste bientôt plus que trois. Cinq élèves ont déjà declaré forfait et sont retournés vers leurs vies. Parmi eux, Samuel. Il s'est esquinté le genou sur le parcours du combattant et a fini par craquer. Jimmy est toujours là. Il attend avec appréhension la journée d'évaluation du lendemain.
Pourtant les épreuves se passent bien pour lui finalement. Le jeune homme survole les quelques écrits, avant de se distinguer en montage-démontage du famas, en transmission radio, et surtout aux épreuves physiques. Il termine troisième du classement général, publié le jour suivant. Une heureuse surprise.
La cérémonie de clôture une fois terminée, les membres de la section rendent leur matériel et reprennent la tenue civile. Pas pour très longtemps : les deux tiers d'entre eux ont apprécié l'expérience et envisagent de rentrer d'active. Ils se presseront bientôt aux bureaux de recrutement.
L'unique fille des vingt-six ne sera pas du nombre. "L'armée, c'est pas fait pour moi." Elle en est maintenant convaincue. Pourtant elle ne regrette rien : "ça valait la peine quand même. J'ai testé mes limites, je les ai même dépassées !"
Jimmy hésite encore. "Je me donne quelques semaines pour réfléchir. Quoi qu'il arrive, je suis déjà content et fier d'être allé jusqu'au bout. Je me rappellerai de ces vingt jours toute ma vie !"
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