Présidentielles : j’ai le droit de dire
L’obligation de réserve du magistrat a au moins un effet bénéfique : elle lui laisse une entière liberté d’appréciation et d’analyse. Je veux parler de cette obligation de réserve qui m’interdit d’afficher sur ce blog, expressément, mon choix lors de l’élection présidentielle. Ce n’est pas rien que cette exigence de retrait et de distance même si, le moment venu, je saurai, comme, je l’espère, le plus grand nombre possible de mes concitoyens, accomplir mon devoir civique et trancher en mettant mon bulletin dans l’urne.
Simplement, avant, quel bonheur
intellectuel ! On est totalement éloigné de l’acrimonie et de la haine
qui empêchent d’écouter l’autre, on n’a aucun mouvement de détestation
devant l’expression d’opinions qui ne sont pas les vôtres, on a
forcément cette capacité d’être attentif aux ridicules et aux grandeurs
des camps multiples, on n’est pas pourri par une inconditionnalité de
mauvais aloi. Au contraire, les ombres et les lumières d’une campagne
présidentielle, on les assume, on les souhaite même, tant on est
persuadé que la bêtise est précisément cette inaptitude, dans le
soutien ou l’adhésion, à savoir discriminer et observer.
C’est, oui,
un grand bonheur intellectuel.
J’ai le droit de penser et de dire que j’ai trouvé François Hollande excellent hier avec un ton et une capacité de dialogue absolument pas sectaires. J’ai le droit de dire que je l’ai trouvé faible quand il a affirmé avoir décidé ce qui lui a été imposé : la candidature de sa compagne. J’ai le droit de dire que toutes les propositions de Ségolène Royal sont loin d’être absurdes et qu’elle a eu du courage, dans son socialisme réinvesti, de garder quelques pépites de dissidence : la carte scolaire et l’encadrement militaire notamment. J’ai le droit de dire que François Bayrou fait une remarquable campagne et qu’André Santini, en le lâchant, donne, si on quitte la tactique, l’image d’une pénible contorsion sur le plan humain. J’ai le droit de dire que je trouve Claude Guéant remarquable, que je ne suis pas, en revanche, emballé par tous ceux qui entourent Nicolas Sarkozy ou qui ont été privilégiés par lui. J’ai trouvé ses discours de Douai, de Nîmes et de Lyon remarquables.
Au risque de choquer, le discours de Paris tant célébré me semble plutôt relever d’un inventaire, d’une compilation, de clientélismes catégoriels, que d’une allocution à la hauteur rigoureuse et lucide des précédentes. Guaino, qui l’a, paraît-il, rédigé et qui, venant de Jacques Chirac, est sans doute une personnalité atypique que ses échecs en politique active et à l’ENA rendent volontiers et mécaniquement singulier.Il devrait tout au plus être un conseiller très spécial. J’ai le droit de dire que José Bové est ridicule et qu’il aurait dû résister à la tentation de la vanité. L’élection présidentielle, contrairement à ce qu’il croit, ne l’attendait pas. J’ai le droit de dire qu’Olivier Besancenot est très doué pour les débats mais que le fond de ce qu’il développe me fait froid dans l’esprit.
J’ai le droit de dire que le soutien apporté par André Gluksmann à Nicolas Sarkozy ne lui apportera que sa seule voix mais que ce ne serait pas la même chose si Alain Finkielkraut, qui s’est battu seul et avec courage pour soutenir le juste et le vrai en des temps troublés, formulait explicitement son soutien. J’ai le droit de dire que je n’aime pas que Nicolas Sarkozy soit si proche de Charles Pasqua. J’ai le droit de dire que j’apprécie que le seul domaine où Nicolas Sarkozy n’ait jamais changé soit celui de la justice et de la sécurité.J’ai le droit de dire que Le Pen a clairement aujourd’hui moins de talent que sa fille Marine qui a beaucoup appris. J’ai le droit de dire que Roselyne Bachelot m’énerve avec ses sourires démagogiques perpétuels et que c’est cher payer que d’avoir Christine Boutin comme conseiller politique alors qu’elle aurait fait un score pitoyable aux présidentielles. J’ai le droit de dire que le ressentiment à l’égard du président de la République ne donne pas obligatoirement de la compétence.
J’ai le droit de dire qu’on en a assez de ces candidatures de témoignage qui cherchent à se gonfler pour laisser croire qu’elles ont une chance et un projet. J’ai le droit de dire qu’on n’est pas forcé d’aimer le candidat en bloc pour le choisir. J’ai le droit de dire que je me passerai bien de la candidate communiste. J’ai le droit de dire que cette campagne présidentielle est tout sauf médiocre, qu’elle remet de la politique dans la tête des gens. J’ai le droit de dire que le président de la République est un homme très chaleureux et sympathique et que c’est beaucoup. J’ai le droit de dire que Jean-Pierre Raffarin est un peu lassant avec son ton de prêcheur publicitaire. J’ai le droit de dire, mais cela n’en finirait plus. C’est déjà trop.
C’est une infinie curiosité que j’éprouve.
Elle est sans doute dangereuse dans un monde intellectuel et politique
qui aime tellement les frontières qu’on n’a même pas le droit AVANT
d’aller partout et de vagabonder dans toutes les pièces.
J’ai le droit de dire. Et, le 22 avril, je saurai.
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