Prise d’otage(s) ; les négociations
Vendredi 23 mars, le lieutenant-colonel Beltrame propose au terroriste retranché dans la salle des coffres y retenant une caissière avec lui, de se substituer à l’employée, il est 11 h 28. Stupeur à la cellule de crise de la Gendarmerie à Issy-les-Moulineaux ! La négociation de crise amorcée localement à 12h10 par les premières unités présentes sur place est reprise par le quartier général du GIGN basé à Satory (Yvelines) qui dépêche aussitôt des opérateurs du GIGN réparties dans trois hélicoptères. Un psychologue participe aux négociations. À 13h10, Radouane Lakdim quitte un moment sa tanière : « tenant son otage sous la menace de son arme menaçant de « tout faire sauter » pour aller récupérer un chargeur de téléphone près des caisses ». A 14h16, Beltrame tente de désarmer le terroriste et crie « Assaut, assaut ! », trois coups de feu résonnent dans le bâtiment. La colonne composée de neuf gendarmes (PSI2G ?) ne s'élancera que dix minutes plus tard et par un seul point de pénétration... L'heure est aux spéculations opérationnelles.

Les négociations sont devenues une approche codifiée et la Gendarmerie compte près de 400 négociateurs. La qualification à la négociation de crise comporte 3 niveaux, les négociations avec un terroriste relèvent d'un négociateur QNC 2 ou 3. Si les négociations prévalent sur le recours à la force, cela n'est pas systématique. La prise d’otage installée, elle va pour sa résolution nécessiter l’action de plusieurs catégories d'intervenants : policiers, psychologues, médecins, membres de la famille, techniciens (vidéo et sonorisation), etc. Généralement, l'état-major privilégie : aucun risque inutile - confirmation des éléments recueillis - organisation des négociations - « réluctance » d’intervenir à chaud car l'emploi de la force est irréversible.
L'évaluation de l'incident repose sur l'évaluation des informations disponibles et de celles obtenues : analyse globale, collecte des informations de voisinage, d'environnement, nature de l'incident, contexte social ou politique, antécédents psychologiques. L'évaluation caractérologique (dangerosité, comportement) de l'auteur revient au psychologue du groupe. Le psychologue part de la personnalité et suppute ensuite sur le comportement de l'individu. Le psychologue ne négocie pas, il sert de référant à l'équipe de négociateurs.
La négociation dite de contact vise à prendre attache avec l'individu. Cela peut se faire par message écrit, à la voix, téléphone fixe, portable, de « campagne », inter-phonie, walky-talky (la possibilité d'écoute et d'interception par des journalistes ou complices est toujours envisagée). Cette phase à pour objet de stabiliser la situation et permettre la mise en place du dispositif de sécurité et d'intervention.
La négociation se propose de dédramatiser la situation pour permettre aux agresseurs de « décompresser », car ils se trouvent au paroxysme d'une crise et tout peut rapidement basculer vers le drame. Les premières heures de la confrontation sont les plus dangereuses. Les négociations sont : « une série d’échanges verbaux en vue de trouver la conclusion d’un accord à partir de désidératas définis ou implicites ». On devrait plutôt parler de communication biaisée, puisque le but des deux parties reste différent. Pour le négociateur, il s’agit d’aboutir à une reddition et non sur un compromis imposé par le chantage.
La plupart de ces objectifs sont en relation avec des « ressorts » d’origine psychologique. faut-il baser les négociations sur l’objet de la doléance ou sur les relations humaines ? Doit-on jouer la fermeté, se montrer directif, ou paraître conciliant ? Quel registre utiliser : l'émotionnel ou le rationnel ? Tout est susceptible d'être négocié, le quand, le qui, le quoi, le où, etc., raison pour laquelle il ne peut y avoir de méthode définitive. Toute situation est nouvelle et créatrice d’événements pouvant à chaque instant venir tout bouleverser. Il est évident qu’en l’absence de dialogue, aucun dénouement ne sera possible, cela débouchera vraisemblablement sur une intervention.
Le preneur d’otage ne désirant pas dévoiler certains indices, peut amorcer le dialogue par otage interposé mais en contrôlant l’échange des propos tenus. Au-delà d’un certain temps écoulé, il faut prendre garde au syndrome de Stockholm qui entraîne l’otage à essayer de s’en sortir par une alliance avec ses bourreaux. L’absence de sentiment d'empathie du preneur d'otage reste la bête noire de tous les négociateurs. Cet état traduit un désordre mental. Aucune prise n'est possible. Le refus total et obstiné de tout dialogue de la part du preneur d’otage reste assez rare, car s'il désire voir aboutir sa demande, il doit faire connaître ses doléances ou revendications. Il faut prendre garde de ne pas lui faire prendre conscience d'un élément qui pourrait éveiller en lui des affects négatifs, il pourrait abattre un otage pour authentifier son acte. Notons que le preneur d’otage qui ne se laisse pas « persuader » et qui dispose de moyens réels de pression, garde intact son ascendant sur le négociateur. C’est alors ce dernier qui a besoin de lui ! Le preneur d’otage est dans une spirale dont l’issue est incertaine : « Il se croit le maître de la situation et gomme une vie de soumission, de médiocrité, ou de frustrations. » Cette auto valorisation peut être liée ou renforcée par la présence des médias.
Le négociateur doit tout mettre en œuvre pour instaurer une démarche propice au dénouement tout en respectant les besoins de base de l'individu. La connaissance particulière du cadre juridique de la prise d’otage (article 224 du CP) se révélera être un plus dans la majorité des cas (déséquilibré, forcené, criminel retranché, drame passionnel). Le but de la négociation est déterminé par trois facteurs : l’enjeu qui correspond à la vie des personnes impliquées, le souhaitable et le possible, les pressions et/ou les contraintes extérieures. La négociation est une étape visant à transformer un affrontement, un diktat, en une « coopération ». C'est l'art de renverser le problème. Le preneur d'otage n'a un pouvoir qu'au regard de la réaction des « 5 P » ou de ses seules chimères. Il ne saurait être question pour le négociateur de se soumettre aux injonctions du preneur d'otages. Les preneurs d’otages ne pourront invoquer les promesses faites par le négociateur : « On ne peut déroger aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs par des conventions particulières ».
Pour une fois, les experts sont tous d’accord pour reconnaître que l’art de la communication est la capacité d’obtenir de l’autre ce que l’on désire. Les mots peuvent être ambigus, chargés d’une signification intellectuelle ou affective. Il se peut que chez un individu névrosé, la charge affective du mot masque sa signification intellectuelle et entraîne une réaction affective. Les mécanismes sous-jacents de la communication se déroulent dans un climat émotionnel très intense et l’évaluation d’une situation est relative à tout individu qui l’expérimente. Si le négociateur ou le preneur d'otage prend ses interprétations comme étant la réalité, de nombreux problèmes peuvent surgir. L’interprétation que chacun se fait d'un événement est liée à de nombreux facteurs personnels : expériences passées - les suppositions - les attentes - les croyances - l'humeur. Confronté à un événement identique, le comportement des individus diffère de l’un à l’autre. Le conflit peut vite devenir négatif et destructeur.
En temps ordinaire, communiquer (doxa) est déjà extrêmement difficile, chaque interlocuteur ayant une position égocentrique. Communiquer implique un échange. La véritable communication est rare et n'est pas naturelle. Il faut la développer. Une négociation n’est pas à confondre avec : une conversation (nécessaire pour établir un climat de confiance, mais pas au-delà - Une discussion (l'un des interlocuteurs n’est pas impliqué affectivement) - Un interrogatoire (pas de bombardement de questions) - Une confession (il n’y a pas d’évaluation morale).
La communication ne permet pas la visualisation de l’interlocuteur, elle se déroule en aveugle. Dans cette forme de dialogue, le para langage revêt un rôle très important. La façon dont un message est émis peut donner au mot des significations différentes. Il suffit de peu de chose pour en changer le sens : porter l’accentuation, le débit, le ton, la hauteur, le volume, la longueur des pauses, les ruptures (bégaiement, euh !). Autant de facteurs qui contribuent à renforcer ou à contredire le sens du message oral. Parlez moins et écoutez plus permet de comprendre la personne, son état émotionnel, l’étendue de ses doléances. L’écoute reste, hélas, le moyen de communication le moins usité et le moins enseigné. Le négociateur doit écouter attentivement ce que dit l’autre - ne jamais essayer de deviner - Ne jamais tourner en ridicule les propos tenus - Reformuler ce qui a été dit. Devant une pause silencieuse, respecter le silence de l’interlocuteur, la crainte de la pause tient à plusieurs origines : sensation de vide générateur d’angoisse - impression d'inefficacité qui entraîne un sentiment de culpabilité - sensation de perte de temps génératrice d’impatience - peur du silence comme si celui-ci était porteur d’une menace - crainte de laisser un répit à l’interlocuteur qui rassemble ses pensées - crainte d'être jugé par l’autre.
Chaque message peut être sujet à interprétation : « Pour modifier le jeu, modifiez le cadre. » Les écueils liés à l’écoute que tout négociateur se doit de savoir reconnaître : fausse écoute il s’agit d’une imitation de l’écoute véritable. Monopolisation, la personne n’attache aucune importance à l’autre. Sélective, l’auditeur n’attache aucune importance à ce qu’il ne veut pas entendre. Défensive, déformation de l’écoute qui vise « à prendre de travers " et à interpréter les propos comme une attaque personnelle. Piégée, la préférée des négociateurs rusés, car elle débouche sur une écoute attentive dans le seul but de recueillir des informations qui seront utilisées à l’encontre du preneur d'otage
Nous avons vu la différence entre négociation et communication biaisée, voyons la différence avec la persuasion, qui est une tentative délibérée pour le négociateur (ou le preneur d'otage) de modifier l’attitude et le comportement de l’autre personne. Si ce mot, n’est jamais avancé, c’est pour dissimuler le véritable objectif du négociateur. Il n’y a pas grand chose à négocier avec un preneur d’otage et encore moins avec un « tango ». Si ce dernier était au fait des méthodes et de la finalité de la négociation, il pourrait s’y préparer en tentant d’utiliser une communication qui s’apparente à la contre propagande.
Afin de se prémunir d’une mauvaise compréhension ou d’événements auxquels le négociateur n’avait pas pensé, ou mal évalué, le négociateur est assisté d’un négociateur en second. Ce dernier suit la situation, prend des notes (les magnétophones tournent aussi), examine l’incidence des éléments nouveaux, les questions esquivées par le preneur d'otage ou le négociateur, s’entretient avec les intervenants, suggère des idées, des questions à son collègue. En cas de négociations longues ou difficiles, il remplace le négociateur qui a besoin d’une pause pour ne pas laisser la saturation mentale et physique prendre le dessus et déboucher sur le démotivation ou l'agressivité. Le négociateur en second peut aussi faire parti d’une stratégie. Le premier négociateur « glane » des informations et arrache le maximum de concessions au preneur d’otages. Lorsque les résistances du preneur d’otages deviennent trop fortes et qu’il est opposé à tout dialogue, l’autre négociateur le remplace. La solution constitue le problème, la négociation est considérée comme réussie quand les otages sont libérés sans assaut et que l'ordre public est rétabli par la reddition des preneurs d’otages.
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