Prisonnier de soi-même

La routine est le pire adversaire de l'autonomie de penser.
Que dire alors du paradoxe qui se dessine quand un autonomiste se colle dans sa routine ?
La plupart des contestataires, sans réellement le percevoir, sont eux-mêmes pris dans cette routine de contestation.
Observateurs passifs, avalisant ou condamnant à tour de bras, faisant force de réthoriques usées jusqu'à la trame.

Pris d'un soudain raz-le-bol, certain se lève, certain s'en va.
Et cherche la vie en autarcie, cherche à réfléchir par lui-même.
Et organise autour de lui -et par lui- un système correspondant à sa visée alternative.
Avec le temps, le monde, qui tourne, mais aussi avance, génère de nouveaux paradoxes, de nouvelles injustices de nouvelles tragédies.

Et bien qu'au fond il s'agisse éternellement des mêmes résultantes issues des mêmes problématiques -le cause à effet systémique- leur approche se diversifie et laisse en plan certain qui a arrêté de réfléchir, ayant estimé avoir répondu à ses exigences quotidiennes.
Gérer son pain, son eau, son énergie, son caca, sa maison, et hop, le tour est joué : ma vie est bien remplie.
Magique ! Je me suis moi-même reprojeté dans la condition du serf esclave trop absorbé dans les tâches éternelles pour songer à renverser le Roi.
Magnifique !
La relativité du temps aidant, si certain soudain se remet à réfléchir, ma foi, il se sent dépassé.
Retombant nez-à-nez avec les éternels contemplatifs assis sur les plateaux télé ou derrière leur clavier sur tel ou tel blog, retombant nez-à-nez avec les impasses, les coercitions, l'énergie de la volonté du changement se dissipe et la routine le rattrappe.

Force est de constater qu'il ya des vieux cons "in system" autant qu'"alter system".
Force est de constater que la prédominance européenne, sans parler de la française, c'est l'individualisme.
Force est de constater que l'esprit de clocher règne au sein des groupes militants depuis toujours et qu'il est aisé de l'activer quand, enfin, on l'a surmonté.
Combien d'élans militants se sont-ils brisés sur les manoeuvres dilatoires d'un establishment en mal de contrôle...

Qu'il est douloureux, ce paradoxe permanent : même la réflexion la plus poussée, la plus innovatrice, la plus fraîche est en permanence en bute aux éternelles
circonvolutions des esprits chagrins préférant se contenter de s'ériger en contestataires d'un système qu'ils saisissent, qu'ils comprennent, plutôt que d'affûter leur intuition, débrancher leurs certitudes, en un mot : plutôt qu'être humains, qu'être mûs par la curiosité, pour se jeter dans le flot régénérateur de l'imaginaire, de l'invention.

La lutte est bel et bien d'abord contre nous-mêmes.