Procès Colonna : déjà de quoi en faire un fromage ?
Les avocats étrangers venus en observateurs pour le compte de la Fédération des Droits de l’Homme (FIDH) doivent être déçus des éléments de l’instruction présentés au cours de la première semaine d’audience. Force est de constater, après une semaine de débat, que les éléments de culpabilité sont pour l’heure inexistants. Avant la reprise de l’audience, un petit point d’étape s’impose... Critique !
La couverture médiatique du procès en cours peut paraître pour le moins étonnamment faible au regard de son importance. Bas de page dans l’édition papier du Monde, une information non systématique dans Libération, peu voire pas de place dans les éditions du matin à la radio, ainsi qu’à la télévision et notamment sur les chaînes de grande écoute telles que TF1. Fort heureusement, il reste internet (notamment le site du Figaro) et Agoravox.
Le procès de l’assassin présumé du préfet Erignac constitue pourtant un événement peu banal qui mériterait un traitement plus complet. Il en va de l’adhésion de la population à la décision qui sera prise par la Cour d’assise, notamment en cas d’acquittement ou, pour les franges plus radicales en Corse, en cas de condamnation. Si condamnation il y a, elle ne devra être ternie d’aucune ombre. Il appartiendrait donc aux journalistes d’informer sans déformer, sans ajouter aux faits leur propre interprétation. Nous verrons que l’exercice est difficile.
Qu’avons-nous donc appris au terme de cette première semaine (cet article est rédigé à partir des éléments recueillis essentiellement sur internet) ?
Nous avons eu la confirmation qu’Yvan Colonna était poursuivi tant pour l’attaque de la gendarmerie de Pietrosella survenue le 6 septembre 1997 que pour l’assassinat du préfet Erignac perpétré le 6 février 1998 (1er jour).
Nous avons ensuite pu découvrir la personnalité d’Yvan Colonna et surtout son attitude face à la Cour devant laquelle il comparaît (2e jour). Les observateurs le disent calme et serein, ne manifestant pas d’émotions particulières et ce depuis le premier jour, notamment lors de la lecture de l’acte d’accusation. Inutile de s’appesantir sur les interprétations qui en sont données. Nous ne rentrerons pas davantage dans le détail de ses dépositions. La seule certitude, c’est qu’Yvan Colonna joue le jeu et répond à toutes les questions (hormis celles sur sa vie conjugale dont on conviendra qu’elle n’a pas de rapport direct avec les accusations portées à son encontre et pour lesquelles il marque quelques réticences). Il ne se renie pas. Son attachement à sa terre, ses choix de vie et son retour comme berger sur l’île, ses engagements politiques et ses idées nationalistes (« un nationalisme de résistance et d’affirmation » qu’il oppose aux nationalismes d’Etats déjà constitués), il assume tout, mais réaffirme qu’il ne s’est pas radicalisé. Au contraire, il n’a jamais cautionné aucun assassinat, notamment lors de la guerre entre nationalistes dans les années 90. Ainsi, ne se lèvera-t-il pas lors de la revendication, aux journées nationalistes de Corte, de l’exécution de Robert Sozzi par le FLNC. De fait, la région de Cargèse où il militait avait été épargnée. Aucune stratégie de rupture n’a donc été mise en place par la défense et Yvan Colonna reconnaît bien à ses juges le droit de le juger. Il collabore et c’est une bonne nouvelle. En revanche, il maintient sa position : il est innocent. On ne peut, comme certains journalistes ou commentateurs l’ont fait, regretter l’absence d’aveux. A ce stade, c’est d’emblée avoir pris position sur sa culpabilité.
Le troisième jour a été consacré à l’attaque de la gendarmerie de Pietrosella et à l’audition des témoins de moralité du prévenu. Or, force est de constater que sur le premier point, rien de bien fondamental ne semble être ressorti des débats si ce n’est que les assaillants parlaient corse, que leur nombre n’est pas clairement établi (les gendarmes semblent dire cinq plus un), mais qu’ils étaient cagoulés donc non identifiables... Rappelons que cinq des membres du commando Erignac ont été également condamnés pour l’attaque de la gendarmerie... Resterait donc le sixième qui demeure toujours aussi mystérieux à ce jour.
S’agissant des témoins de moralité, deux événements ont retenu l’attention des observateurs.
D’une part, le témoignage très favorable de Daniel Herrero qui avait également visité Yvan Colonna durant son incarcération. Il dira notamment avoir noté « la justesse de ses mots, une qualité intellectuelle indiscutable, je n’ai jamais remarqué la moindre forme d’ostracisme, de répulsion ou de rejet de l’autre »[1].
D’autre part, et surtout, la lettre du père d’Yvan Colonna à Mme Erignac cinq jours après la fuite de son fils dans le maquis. Certains ont voulu y voir une preuve de culpabilité. Pourtant, hormis la difficulté à s’en expliquer d’un père qui « ne souhaite à personne de vivre ce qu’il a vécu », elle prouve surtout sa profonde humanité. Pour ce républicain, élu socialiste, qui n’a jamais apprécié les engagements politiques de son fils, il y a là un geste fort à l’égard de la veuve d’un homme lâchement abattu par un individu présenté par les médias et les plus hautes autorités de l’Etat comme son fils. Peut-être aurait-il dû plus clairement reconnaître d’emblée qu’il avait alors douté et qu’il avait ressenti cette impérieuse nécessité morale d’apporter son soutien à une femme aussi brutalement plongée dans la douleur ? Quoi qu’il en soit que faut-il retenir ? Ce doute né de la pression médiatique et de la fuite de son fils ou la certitude qu’il affiche aujourd’hui de son innocence avec la connaissance d’un dossier d’instruction de près de dix ans ?
Le quatrième et le cinquième jour seront marqués par les déclarations du Dr Paul Marcaggi, médecin légiste ayant pratiqué l’autopsie sur le corps de M. Erignac. Il affirme, en réponse à une question de l’un des avocats généraux [2] concernant la taille du tueur au regard des éléments recueillis, que le tueur est « un grand gabarit ». Il se fonde sur la taille du préfet (1,83 m), la position et la distance du tireur par rapport à sa victime, de dos à une vingtaine de centimètres, et enfin la trajectoire des balles à l’horizontale. Problème Yvan Colonna ne mesure qu’1,72 m...
Certains journalistes évoquent un « coup de théâtre » pour qualifier ces déclarations. On pourra surtout s’étonner du fait que la question de la taille du tireur qui pouvait manifestement être ainsi déduite des constatations du légiste ne soient posée qu’à l’audience dans la mesure où ces éléments matériels (les seuls avec l’arme du crime abandonnée sur les lieux) se trouvent dans le dossier depuis le début de l’instruction ! On imagine aisément ce que les observateurs de la FIDH ont pu penser...
On regrettera, avec les avocats de la défense, que le Dr Paul Marcaggi ait été absent lors du cinquième jour au moment où sa déposition sera reprise au regard des photographies de l’autopsie. Cela lui aurait permis de s’en expliquer directement au lieu de devoir revenir lundi. Cela aurait sans doute aussi permis d’éviter au journaliste du Figaro de dire que : « Pour le profane, il semble que les trajectoires sont nettement ascendantes, et non proches de l’horizontale comme le disait le Dr Marcaggi » et de semer le doute sur un des rares éléments relativement objectifs du dossier et sur la probité du médecin.
Les observateurs de la FIDH auront également pu noter dans la matinée, les imprécisions de l’enquête menée par la division anti-terroriste lors de l’audition du commissaire divisionnaire Philippe Frizon. Il en ressort notamment que toutes les zones d’ombre entourant la revendication des différents attentats ayant précédé l’assassinat du préfet et attribués au même groupe d’individus n’ont pas été levées...
Enfin, arrive le cinquième jour et les dépositions nécessairement émouvantes et douloureuses de la famille de M. Erignac et de ses proches collaborateurs. Elles ne participent bien évidemment pas de la manifestation de la vérité qu’ils attendent de voir sortir du procès. La difficulté réside dans le fait qu’ils n’attendent pas la vérité, mais une vérité. Ils attendent presque désespérément les aveux d’Yvan Colonna. Ceux-ci ne viendront pas. Au contraire, il semblerait que le prévenu, les regardant en face, d’une voix calme, ait dit : « Madame, Mademoiselle, Messieurs, je sais que c’est difficile pour vous de m’écouter. Cela fait huit ans et demi qu’on vous dit que je suis l’assassin du préfet, vous continuez à le croire. Vous avez droit à la vérité. Ce n’est pas moi qui ai tué votre mari, votre frère, votre père. Croyez que je compatis à votre douleur et que je respecte votre deuil ».
Certes, il reste encore trois semaines d’audience et beaucoup de choses peuvent encore advenir, mais pour l’heure, les éléments de culpabilité tardent à apparaître. Si les prochaines semaines s’avèrent dans la même veine que la première, il y aura de quoi faire un sacré fromage corse autour des circonstances qui ont entouré cette affaire (de la théâtralisation de l’arrestation jusqu’au report du procès après les élections), et nul doute qu’il serait bien indigeste à un grand nombre de personnes à commencer par notre président qui pourtant clame régulièrement son amour pour les produits de l’île de beauté...
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