Productivité, désirs de productivité : la gestion soviétique du travail...
... ou comment payer plus cher un service qui fonctionne moins bien.
On entend beaucoup parler en ce moment du stress au travail, de suicides, de harcèlement et de bien d’autres malheurs professionnels. Je vais vous parler d’un univers que je connais bien : les services informatiques. Autrement dit, comment est-on passé de « l’informatique à papa » à l’industrialisation des services. Je ne ferai pas la distinction entre un prestataire de service et un salarié « en dur » tellement les conditions de travail et les exigences de la hiérarchie sont proche. Je ne parlerai pas spécifiquement des sociétés de service (SSII) mais des services informatiques en général.
Quand j’ai commencé dans ce métier, il y a dix ans, l’informaticien était vécu par les utilisateurs comme le messie, le gourou, voire le chieur tout puissant qui fait ce qu’il veut, raconte ce qu’il veut et travaille quand il veut. Bien qu’exagérée, cette caricature était vraie dans certaines entreprises mais certainement pas partout.
C’était aussi le temps ou les infrastructures, le réseau, les process étaient la « propriété », le « bébé » de ces informaticiens. Ils connaissaient leur écosystème parfaitement, généralement, ils l’avaient mis en place, au prix de nuits d’auto-formation et de dur labeur. En cas de problème, ils savaient quoi faire et le faisaient vite. La plupart des problèmes étaient résolus par ces informaticiens. Quand il n’y avait ni problème, ni projet (ça arrive aussi), ils avaient le temps de faire des mots croisés sans nuire à la productivité de l’entreprise.
Seulement voila, cette manière de fonctionner ne plaisait pas du tout, mais alors pas du tout au management. Les reproches étaient les suivants :
Pas assez de documentation
Pas assez de processus
Service informatique à la merci de la démission de l’admin qui s’est vendu plus cher ailleurs
Manque de transparence.
La mutation
Le recours aux sociétés de service s’est fait de plus en plus fréquent, histoire de bien faire sentir à tout le monde que la concurrence est rude. C’était la parade du management face à l’informaticien tout puissant. Le prestataire étant corvéable à merci si il ne faisait pas l’affaire, il était renvoyé dans sa SSI et aussitôt remplacé par un autre. Tout aurait été parfait dans le meilleur des mondes si ce recours à prestation n’avait été qu’occasionnel. Mais l’importance de la prestation de service est devenue telle et le « turn-over » tellement important que le suivi des activités est devenu impossible : allez demander à un prestataire qui se fait virer dans deux mois de rédiger de la documentation, vous allez voir … Ceci a conduit à des situations délirantes ou finalement le prestataire se retrouvait en situations de gourou (voir le paragraphe précédent) tout en coutant plus cher à l’entreprise, retour à la case départ.
Les processus
Bien que dans l’univers informatique, les processus ne soient pas une nouveauté, ils ont fait leurs apparition dans les services informatiques entre 2000 (pour les très précoces) et aujourd’hui (toutes les entreprises ne pratiquent pas encore). Pour clarifier mon propos, je vais être obligé d’employer un gros mot : I.T.I.L. Rassurez vous, j’explique. I.T.I.L. est en deux mots un « guide » de bonnes pratiques qui permet aux services informatiques d’améliorer et de tracer la qualité des systèmes d’information grâce à la mise en place des dispositifs suivants :
- Gestion des incidents
- Gestion des problèmes
- Gestion des changements
- Gestion des mises en production
- Gestion de la disponibilité
- Gestion de la continuité de service
- Gestion des applications
- … … …
Je ne ferai pas l’inventaire complet de ces processus.
Si, au départ, l’intention était louable, mon expérience me permet d’affirmer que ces processus ont très souvent été détournés de leurs objectifs premiers. En effet, ce qui était au départ un outil au service des informaticiens et de leurs clients (un utilisateur est un client) est devenu petit à petit, au mieux un « bouffe temps » pour les informaticiens et une source de dépense pour les entreprises, au pire un outil pour fliquer le petit personnel (interne ou externe).
D’autre part, toute intension louable a ses effets pervers. Ces processus ont conduit au désinvestissement progressif des informaticiens quant à leur travail. Nous sommes passé du gourou qui gère ses « bébés » et ses « jouets » à un informaticien dépossédé de ses outils de travail, avec l’excuse suivante :
« Ah bah oui, mais c’est pas dans les process, alors je ne le fais pas. Il faut voir avec le service management ».
Le problème est que le service management n’est pas technique et ne comprend jamais les problématiques de production.
On s’approche du système soviétique. Vous n’avez pas décroché ? Continuons.
L’externalisation
La plupart des gros services informatiques ont été externalisés pour, nous a-t-on affirmé, des raisons de coûts. Les décideurs se sont très vite rendu compte qu’une externalisation ne peut pas réussir sans les processus, donc tout le monde s’est jeté à corps perdu dans la mise en place des process I.T.I.L. sans forcément en comprendre les tenants et aboutissants. Puisqu’on vous dit qu’il faut réduire les couts !
On se retrouve aujourd’hui dans le cas de figure suivant :
Un niveau 1 (point d’entrée unique pour les plaintes client) délocalisé à pétaouchnok. Ce niveau 1 peut soit résoudre soit escalader à un niveau 2 en interne ou externalisé qui lui-même pourra escalader … …
On en arrive à des échanges de mails à n’en plus finir, des réunions qui durent des heures mais qui ne font pas avancer le schmilblick alors qu’une explication entre quatres yeux de dix minutes aurait largement suffit. Mais puisqu’on vous dit que l’on réduit les couts !!!
Une dernière chose, l’argument en faveur des sociétés externe est qu’il est facile de changer de prestataire si ça se passe mal. Erreur grave ! Une fois que la boite de service a pris possession de votre système d’information, essayez de changer, vous allez voir. Rien que le transfert de compétence deviendra une vrai galère les uns accusant les autres de faire de la rétention d’information.
Mais avec I.T.I.L., il y a de la documentation allez vous me rétorquer. Oui … et non. Il est impossible de tout écrire, de tout traiter. L’expérience joue un rôle prépondérant, comme dans tout métier et il est illusoire de penser le contraire.
Aujourd’hui
On en est arrivé à un système complètement bloqué qui inhibe toute initiative personnelle et décourage les plus motivés. Les « petits jeunes » qui sortent de l’école y croient quelques temps, puis finissent, comme les « vieux », par s’en foutre totalement.
Nous ne sommes pas loin du kolkhoze, mais puisqu’on vous dit qu’il faut réduire les couts !
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