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Profond malaise à l’AFP et craintes pour son avenir

L’éviction- sans motif apparent - de Pierre Favier, chef du service politique de l’AFP provoque de profonds remous au sein de cette agence qui lutte pour son indépendance depuis le vote de son statut libératoire de 1957 mais qui est constamment soumise aux pressions des gouvernements successifs de droite et de gauche qui voient en elle un temoin gênant de leur gouvernance.

Une fois de plus, un profond malaise règne dans les étages du 11-5 place de la Bourse, où siège une des trois grandes agences de presse du monde, l’Agence France Presse, l’AFP, principal fournisseur en informations des médias français, et qui distribue son service dans pratiquement tous les pays du monde.

Une nouvelle fois donc, cette agence, qui a toujours rêvé d’être indépendante du pouvoir, comme le prévoit son statut voté par le Parlement français en 1957, passe à nouveau sous les fourches caudines de l’Etat.

Un de ses principaux collaborateurs, Pierre Favier, chef du service politique, vient d’être mis sur la touche, au nom du principe de mobilité invoqué par la direction générale, qui ne peut lui proposer d’autre poste, et qui lui conseille (étant donné son âge 59 ans) de se présenter aux guichets de mise à la retraite comme y ont été contraints au cours des dix dernières années plusieurs centaines de collaborateurs.

Pierre Favier a été correspondant de l’AFP à l’Elysée pendant toute la durée du mandat du président François Mitterrand. Il a même écrit avec son confrère et collaborateur, Michel Martin Roland, quatre tomes d’un ouvrage sur « La décennie Mitterrand » qui fait autorité dans le monde politique.

Sa connaissance du « Microcosme politique » - et aussi du « macrocosme » - lui a valu de devenir il y a cinq ans le « patron » d’un des services les plus importants de l’Agence : le « Politique ».

Pourtant, comme on dit, « on ne peut pas plaire à tout le monde ». Avoir été le témoin, l’ami et peut-être le confident du président Mitterrand équivalait dans certains milieux à sentir le soufre. Il fait partie de ces gens auxquels on ne peut pas téléphoner pour les persuader que telle information risque de ne pas plaire au Château ou à Matignon.

Ce dernier ne se fait aucune illusion : « Ils n’ont pas renouvelé mon mandat à la direction du service politique au nom du principe nouveau de mobilité... Mais on m’a dit qu’il n’y avait pas d’autre poste disponible. C’est clair, sans motif exprimé, on veut m’évincer du poste et de l’Agence. Mais je n’ai pas l’intention de laisser faire ceux qui veulent mon départ. »

Sous le titre « Nettoyage d’été à l’AFP », l’Acrimed ( L’Action crique des médias) qualifie la mesure prise par la présidence de l’AFP de "destitution".

Les réactions au siège de l’Agence ont été vives de la part de tous les syndicats et de la Coordination « AFP-SUD ».

L’AFP, principal fournisseur d’informations des médias français, dit Acrimed, vient de destituer, sans grand bruit, le chef de son service politique.

« Les journalistes du service politique déplorent les conditions dans lesquelles Pierre Favier est écarté de la direction du service au bout de 5 ans sans qu’aucun poste ne lui soit proposé.

Pierre Favier est un chef de service passionné, ne comptant pas son temps, avec un sens aigu de l’analyse politique dont le service et l’Agence ont largement profité. Il dispose, en outre, d’un réseau de contacts très précieux, sur tout l’échiquier politique, dont l’Agence a aussi très souvent bénéficié.

Les journalistes du service politique protestent vigoureusement contre le manque de considération et de respect dont la direction fait preuve à son égard. [...] »

"Le nouveau système de rotation, annoncé par la direction générale de l’Agence permet donc d’éliminer les « oursins » sans les critiquer ouvertement. Il suffit de ne pas les renommer à leur poste. C’est ce qui s’est passé pour Pierre Favier. Mais personne n’est dupe. Pierre Favier est connu pour avoir des opinions que l’on peut qualifier de « progressistes » et pour avoir protégé les journalistes critiques soumis à des pressions."

Lorsque le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, mécontent des dépêches trop critiques du correspondant de l’AFP accrédité à Matignon, a demandé son rappel, la réponse de Pierre Favier avait été simplement « Non » comme il me l’a précisé par téléphone en me confirmant « son éviction et sa volonté de ne pas se laisser faire. »

Non seulement la direction l’écarte de son poste, mais, ce qui est grave aussi, on ne lui propose rien d’autre qu’un plan de pré-retraite.

Sous le titre « La saison des coups tordus... », la Coordination SUD AFP dans un tract daté du 25 juillet 2005, écrit notamment :

« [...] Que l’on se sente proche de Pierre Favier ou non, il fait partie de ces chefs de service en voie de disparition que l’on respecte en raison de leurs qualités humaines et de leurs compétences professionnelles. Ses livres et films documentaires sur François Mitterrand, qu’il a suivi pendant deux septennats, montrent qu’il est un fin connaisseur de la chose politique et des dirigeants de ce pays.

La mise à l’écart d’un homme aussi compétent constitue un très mauvais coup contre l’AFP. Elle devra d’autant plus être considérée comme un choix stratégique qu’il a souvent pris la défense de journalistes de son service mis en cause par Matignon ou par d’autres représentants du pouvoir. »

La Coordination AFP SUD précise par ailleurs que « Pour être en mesure de s’adapter aux exigences du « marché » (c’est-à-dire d’intérêts financiers privés), il faut d’abord réduire les résistances internes. Quoi de mieux qu’un vaste mouvement de mutations qui permette à la fois d’écarter les « oursins » et d’effacer la mémoire vivante de services entiers, en écartant des responsables comme Pierre Favier et de nombreux rubricards expérimentés ? »

« Quelque 35 postes de « recalculés » étaient à l’affichage, ou sur le point de l’être, au 25 juillet. Une sorte de « nettoyage au Kärcher », opéré en plein été ! Arrêtons cet énorme gâchis d’expérience et de matière grise !

Exprimé en termes diplomatiques, tout cela est très fâcheux au moment où l’agence n’a toujours pas résolu ses problèmes financiers tandis que pointent à l’horizon de 2010 des menaces autrement sérieuses susceptibles de mettre en question la liberté d’informer.

Un article publié par « le Mutualiste de la presse et du Livre » N° 76 du mois d’Août 2005 sous le titre « Un plan contre l’AFP » contribue à accroître les inquiétudes qui se manifestent au sein de la profession de journaliste. La liberté de presse ne va-t-elle pas être mise en question si de telles mesures devaient aboutir ? Autre révélation : le Commissariat du Plan a réalisé récemment un rapport concernant l’avenir des médias en France »...Ce plan prévoirait - à l’échéance 2010 - « la privatisation de France 2, la disparition de France 3, et la dissolution de l’AFP dans ses structures actuelles ».

Le Plan ajoute « le Mutualiste » préconise la « création d’une autre instance de régulation à côté de la CSA, la « transformation radicale de l’AFP », des aides à la presse liées à des missions de service public... »

Ayant été en poste en Birmanie, puis en Argentine, l’un et l’autre sous le joug de régimes militaires dictatoriaux (les premiers communistes et bouddhistes, les seconds catholiques pratiquants et d’extrême-droite maurrassienne), j’ai constaté que dans chacun de ces pays étaient prises, jour après jour, des mesures apparemment anodines véhiculées par une presse muselée, de telle sorte que si l’on n’y avait pas pris garde en acceptant tacitement cette évolution imperceptible, on risquait de perdre son âme en quelques mois.

Bertrand C. Bellaigue

Source : acrimed | action critique médias
http://www.acrimed.orgwww.acrimed.org/article.php3 ?id_article=2104

- « Le mutualiste de la Presse et du Livre », Marianne, et sources personnelles de l’auteur.


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4 réactions à cet article    


  • Gary Gaignon (---.---.38.241) 18 février 2006 15:29

    Comme me l’écrivait un de mes chers correspondants et amis de longue date, au sujet d’AgoraVox, par exemple : « Une telle « agence » représente certainement l’avenir incontournable de ce genre de média ».

    Oui, de par la liberté d’opinion politique qui peut s’y exprimer sans aucun filtrage idéologique particulier, grâce à la multiplicité et à la diversité de ses contributeurs.

    Gary Gaignon


    • Bertrand C. Bellaigue Bertrand C. Bellaigue 18 février 2006 16:49

      Quel rapport cela t il avec le malaise interne de l’AFP ? BCB


    • Gary Gaignon (---.---.235.64) 18 février 2006 23:48

      J’espère que dans l’avenir de véritables agences de presse libres et indépendantes, plurielles, diffusées en ligne, ne pourront plus guère faire l’objet de noyautage et de grenouillage politico-idéologique comme c’est le cas chez l’AFP. Cela présuppose qu’aucune mainmise technologique et financière sur l’Internet ne soit faisable dans nos sociétés démocratiques.


      • Bertrand C. Bellaigue Bertrand C. Bellaigue 19 février 2006 02:08

        Le succès et l’expansion de l’AFP, au sein de laquelle j’ai été journaliste pendant quarante ans, ont apporté la preuve de sa competence et de son intégrité dont j’ai été le temoin et le gardien quotidien.

        BCB

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