Profs : la grande démission ?
La rentrée approche. Les enseignants aborderont-ils cette nouvelle année scolaire avec le sourire après la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires ? Ce petit coup de pouce financier suffira-t-il à redorer le blason d’une profession qui n’attire plus les jeunes ? Difficultés de recrutement, hausse des départs volontaires… Malgré les vacances et la sécurité de l’emploi, le “plus beau métier du monde” ne fait plus rêver. Tour d’horizon d’une crise sans précédent à l’Éducation Nationale.
« Quand je serai grande, je serai maîtresse ! »
Les candidats au métier de professeur sont souvent d’anciens bons élèves. A l’aise à l’oral, ils ont aimé leurs années d’école, de collège et de lycée, où ils ont pu rencontrer des enseignants qui les ont valorisés. Ils s’imaginent à leur place : transmettre des connaissances, accompagner leurs élèves vers la réussite, remédier aux difficultés des plus fragiles, former de nouveaux citoyens… Tels les hussards noirs de la République, ces jeunes idéalisent leur future profession. Ils ne doutent pas de leur capacité à réussir : les élèves les écouteront, eux. Investis d’une mission, ils s’engagent avec passion dans la préparation du concours qui leur permettra de concrétiser leur rêve.
Des conditions de travail idylliques
Sur le papier, professeur est le métier idéal pour concilier vie professionnelle stable et épanouissement personnel. L’Éducation Nationale offre sur un plateau :
- la sécurité de l’emploi ;
- une grille salariale fixe ;
- des vacances régulières, avec seulement 36 semaines de classe chaque année ;
- des horaires souples (quinze heures devant les élèves pour un agrégé) ;
- la possibilité de travailler chez soi pour préparer les cours ;
- de nombreux établissements répartis sur tout le territoire ;
- une carrière toute tracée jusqu’à la retraite…
La réalité du terrain est loin d’être aussi rose. Après la réussite au concours, le choc est rude : 2,6% des lauréats démissionnent pendant l’année de stage qui précède la titularisation.
La grande désillusion
Les jeunes enseignants évoquent tous les mêmes difficultés :
- une affectation loin de leur domicile, souvent sur plusieurs établissements ;
- des classes surchargées ;
- des demandes administratives fortes (fiches de préparation, documents à remplir, réunions…) ;
- un manque d’écoute et de soutien de l’institution ;
- des incivilités fréquentes et des problèmes d’autorité en classe ;
- des élèves en grande difficulté qu’il est difficile d’aider correctement par manque de temps et de moyens disponibles ;
- des parents d’élèves de plus en plus exigeants avec qui les relations peuvent être tendues ;
- une charge de travail importante qui envahit la vie personnelle, avec une difficulté à cloisonner quand les préparations et corrections à la maison occupent une grande partie des soirées et des week-ends.
Si les enseignants sont suivis lors de leur année de stage par un conseiller pédagogique, ils doivent ensuite se débrouiller seuls et apprendre sur le tas. La formation continue se réduit au fil des années comme peau de chagrin. Aucun suivi médical régulier n’est proposé. Avec un médecin pour 10 000 enseignants, la gestion du stress au travail et l’aide psychologique nécessaire pour faire face à certaines situations critiques (insultes, agressions…) sont délégués à la médecine de ville, aux frais de l’enseignant.
Un bateau ivre à quitter avant de sombrer
Les enseignants stagiaires ne sont pas les seuls à vouloir partir. Le nombre de démissions ne cesse d’augmenter : 1648 départs volontaires en 2020-2021, soit 0,2 % des 869 300 enseignants français. Derrière ces statistiques officielles se cachent un nombre croissant de demandes rejetées par « nécessité de service ». S’il est difficile d’entrer dans l’Education Nationale, il est encore plus compliqué d’en sortir… Le système garde précieusement ses agents, les retenant prisonniers d’un métier où les risques psychosociaux importants entraînent stress et souffrance au travail. Pour les plus fragiles, les congés de maladie s'enchaînent, parfois jusqu’au burn out. À la culpabilité d’abandonner ses élèves se mêle une douloureuse atteinte à l’estime de soi. Difficile pour l’enseignant d’admettre qu’il a échoué à remplir une mission dans laquelle il s’est engagé corps et âme.
Moins de 2 000 € à bac+5
Les conditions salariales n’aident pas à trouver la motivation. Le point d’indice n’avait pas été revalorisé depuis 2017. L’augmentation de 3,5 % au premier août 2022, avec effet rétroactif au premier juillet, ne compense pas la perte de pouvoir d’achat cumulée. Quelques primes et indemnités exceptionnelles avaient permis de faire évoluer positivement les salaires entre 2019 et 2020, mais ces mesures ponctuelles ne rattrapent pas l’inflation galopante. Un professeur français gagne en moyenne 2 530 € nets par mois, avec de grandes disparités selon les situations (temps complet ou partiel, professeur titulaire ou contractuel, agrégé ou certifié), une rémunération faible pour des personnels ayant fait des études jusqu’à bac+3 minimum. Depuis la session 2022, les candidats aux concours de recrutement doivent être inscrits en seconde année de Master ou être déjà titulaires d’un Master. Avec un tel niveau de diplôme, ils peuvent prétendre à de bien meilleurs salaires dans le secteur privé. La grille indiciaire des professeurs certifiés et des professeurs des écoles débute à 1891,51 € bruts.
Crise des vocations ou essoufflement d’un métier qui n’a pas su évoluer ?
Le confinement de 2020 a montré l’importance de la scolarisation continue des élèves dans les établissements. Confrontés à l’école à la maison, les parents d’élèves ont compris qu’être prof ne s’improvise pas. L’instruction et l’éducation des enfants doit être confiée à des professionnels formés avant leur prise de fonction et tout au long de leur carrière. Le recours à des agents contractuels pour pallier le manque de moyens humains fragilise le système éducatif. Une réforme d’envergure du recrutement et de la formation des enseignants s’impose pour endiguer la situation et stopper l’hémorragie. Face à la grande démission et aux nouveaux enjeux sociétaux, l’école est loin d’être insubmersible.
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