Qu’est réellement Wikileaks ?
Tous les usagés d'agoravox, rue89, lemonde.fr l'auront remarqué, il ne se passe plus un jour sans que les déclarations fracassantes de Wikileaks ne viennent truster la une. Par cela le journal numérique se fait l'écho de l'intérêt grandissant pour toutes les formes de déviances informationnelles. Désormais, devons nous croire, la complaisance n'aura plus sa place dans les rédactions, l'ère de la férocité et de l'engagement s'ouvre, avec en ligne de mire des concepts si généreux et justes qu'ils ne peuvent qu'émouvoir : liberté de l'information, démocratie de l'information, égalité face à l'information. Voici le Jeffersonisme triomphant, les médias devenant enfin les instruments essentiels d'une liberté de ton et d'opinion vitale. Ayant acté de ce changement capital, nous pouvons enfin prendre le repos du contestataire, apaisé et rassuré.
Mais, car il faut un mais, il en faut même des dizaines, l'alléchante vision du citoyen éclairé par ses médias, phares de la vérité universelle, me laisse plus rieur que songeur. Revenons tout d'abord au début de l'histoire. Un soir je lu médusé, sans y croire vraiment, une nouvelle qui devait, au dire de ses colporteurs, bouleverser l'ordre diplomatique et ternir durablement l'image de la première puissance mondiale. Les jours qui suivirent ne furent qu'une succession de critiques dithyrambiques ou l'on vantais tantôt la qualité et la force de l'information, tantôt le courage de ceux qui osèrent se lever face aux puissants au nom du "droit de savoir". Apprenait-on ainsi que les pays arabes craignaient l'Iran, que Berlusconi était un vieil homme lubrique, ou que les médias français étaient au service du pouvoir. Cette dernière critique, confession déguisée, devait engager ces derniers dans la voie de la rédemption.
Le succès fut immédiat, mais surtout sans frontières, et partout déjà les peuples se félicitaient de voir vaciller l'arrogante Amérique, trahie par son tentaculaire réseau diplomatique. Cette soif de contre information est la première explication au phénomène Wikileaks, mais surtout à sa publication par les grands groupes, pourtant peu enclin à la subversion. Le cas français est d'ailleurs édifiant. La multiplication de sites et de médias à tendance alternative, que ce soit sur internet ou dans les presses, témoigne du vœu d'une autre information, libre et non faussée, évitant les pesanteurs des stratégies commerciales et du conformisme. Pourtant il faudrait être aveugle pour ne pas voir que ce sont ces mêmes stratégies qui aujourd'hui encore dictent la publication des câbles diplomatiques américains. Certain n'y voit qu'un moindre mal, arguant qu'après tout si la déviance fait vendre, pourquoi s'en priver ? Est-il pourtant question de subversion dans ces mémos ?
L'argument de marketing est évidemment satisfaisant. En effet les journaux, lancés dans une course effrénée à l'attractivité, ont préférés éditer ces déclarations et ainsi contenter un nouveau lectorat, plutôt que de voir la concurrence s'emparer de cette manne. Ignorer le caractère profondément commercial des stratégies médiatiques, c'est faire preuve d'un angélisme risible, les considérer comme seules qui vaillent, c'est ignorer la complexité des impératifs dictant la conduite des médias de masses.
Ici le lecteur va penser , quoi, encore ? Cette bonne vieille théorie du complot. Et bien oui, celle la même. Car je le clame, haut et Faure, ceux qui se pavanent dans nos bureaux, rues et bistrot, annonçant l'avènement de la transparence, ceux là sont des idiots. Allons bon, comment un système d'information qui est, durant près d'un siècle et à l'exception de quelques cas notables, parvenu à museler sans grande difficulté les courants médiatiques de tout poils, a t-il pu se laissé dépasser aussi aisément par quelques contestataires persévérants. Loin de moi ici l'idée de douter de la sincérité de ces derniers, mais plutôt de leurs capacités à effectivement échapper aux filtres du formatage. Ainsi même si la publication a été suivie d'une condamnation unanime de la part des gouvernants, notons qu'aucun d'entre eux ne s'est émus du contenu des révélations, et pour cause celle-ci était soit connues de tous, soit sans grand intérêt.
C'est alors un monde merveilleux de spéculations en tout genre qui s'ouvre à nous. Pourquoi avoir laissé faire ? Parce que internet est bien trop fluide ? Non, les USA ont largement les moyens , qu'ils soient informatiques ou judiciaires, d'éviter ce genre de désagréments. Deux hypothèses s'imposent alors . La première et à n'en pas douter la plus hypothétiques : laissé passer ce genre d'informations , est un moyen pour les états de justifier , au nom de la sécurité nationale, un resserrement des libertés internet. Un cas d'école certes, les lecteurs de Chomsky frétillent déjà devant leurs claviers, mais même si la ficelle paraît grosse rappelons que l'orifice l'est tout autant. La seconde serait que les médias ont chercher à redorer un blason ternie par leur indolence passé, et ainsi reprendre la main dans la conduite de l'information, dans l'intérêt à la fois de leurs actionnaires et des gouvernants. Wikileaks comme os à ronger pour cabots dociles ? L'idée est séduisante et commence à faire son chemin parmi les analystes.
Pour l'anecdote. Exposant mes vues à un camarade, dont je tairais le nom car il est laid, il me répondit :"Et Fairwell alors ? Comment un espion aviné à t-il put faire s'écrouler l'URSS ?. Comment ?" Tout simplement parce que ses informations devait rester dans le domaine du secret. Si désormais Wikileaks avait obtenue des révélations capitales et réellement bouleversantes, il est probable que ,soit la censure des gouvernants, soit l'auto censure des journalistes aurait mis fin à ses projets, ou que la dé-classification aidant, celles-ci n'auraient éclatées que plusieurs décennies plus tard.
Wikileaks est donc à mille lieux d'être la panacée annoncée, au mieux est-il le symptôme d'une peopelisation risible de la diplomatie, au pire est-il l'instrument d'une restriction future des libertés naissantes de la sphère internet.
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