Quand De Gaulle et Mendès France enfumaient délibérément le peuple de France
Lorsqu’il intervient devant le Conseil des ministres du 17 novembre 1944, Pierre Mendès France est démissionnaire depuis huit mois… De Gaulle ne se décide toujours pas à lui rendre sa liberté… Et Mendès France se garde bien de la reprendre par lui‒même. À quel jeu ces deux messieurs se livrent‒ils ?...

Je vais reprendre la partie là où nous l’avions laissée. Le ministre de l’Économie nationale rappelle l’enjeu :
« Tenir, en obtenant du pays qu’il accepte les restrictions en matière de ravitaillement. Tenir les niveaux de prix. Tenir, en ce qui concerne les lourds prélèvements que nécessite l’effort de guerre. Tenir, comme on tient dans une tranchée exposée, jusqu’à l’arrivée des renforts. » (Œuvres complètes, II, page 70)
Le moyen d’y parvenir ?...
« J’ai déjà démontré que cela ne serait possible que si nous avons dans l’intervalle donné au pays de profondes satisfactions politiques et si nous avons mis fin au désordre monétaire. » (page 70)
Sans doute la représentation théâtrale, que De Gaulle et Mendès France avaient mise en train six jours plus tôt (j’y viendrai), était‒elle justement destinée à permettre au pays de connaître, au moins dans le blablabla, de "profondes satisfactions politiques"… Quant à en finir avec le "désordre monétaire", il n’y fallait plus compter : De Gaulle tenait trop à renouveler, en France, les exploits monétaires de la Pologne et de l’Allemagne des lendemains de la première guerre mondiale, pour envisager un seul instant d’appliquer le plan Mendès France d’apurement, dans la douleur, des comptes du marché noir et de la collaboration économique avec l’envahisseur.
Or, l’intoxication idéologique à répandre à travers tout le pays allait devoir atteindre des sommets, compte tenu de la gravité de la situation décrite par Pierre Mendès France au beau milieu de ce Conseil des ministres du 17 novembre 1944, alors que la bataille de la libération du pays continue à faire rage :
« De toute manière, pendant huit ou dix mois, nous aurons une période très dure, notamment pour la classe ouvrière qui connaîtra probablement une recrudescence du chômage. C’est ce qui rend si urgentes les mesures que je crois indispensables. » (page 71)
C’est‒à‒dire, celles qui ne seront jamais prises…, mais qui auront eu le mérite d’avoir tout juste la forme d’une carotte.
Qui paraît répondre aux demandes pressantes du bon peuple… Et c’est ici que Mendès France met ses collègues et le président De Gaulle en garde :
« Mais, lorsque nous nous opposons à ces demandes ‒ dont certaines seraient cependant légitimes ‒, il ne faut pas que ce soit une escroquerie à l’égard de ceux que nous décevons. Ce serait une escroquerie que de leur imposer des privations au bénéfice des profiteurs de guerre et des trusts, sans même que cela évite des accidents monétaires et sociaux que je redoute. » (page 72)
Pour les accidents monétaires, ce sera tout de suite (bravo, De Gaulle !). Pour les accidents sociaux, ce sera en 1947 (bravo, les socialistes !)
Mais, protéger le bénéfice des profiteurs de guerre et des trusts, c’est effectivement la tâche principale de Charles de Gaulle en ces moments de Libération. C’est à quoi il s’attache jour après jour, tout au long de la démission durable… de Pierre Mendès France…
Quant à celui‒ci, il continue à donner l’illusion qu’il est effectivement dans l’autre camp, dans celui du peuple, et donc De Gaulle avec lui :
« Je ne veux pas tromper ceux auxquels, au nom du gouvernement, je demande de patienter au milieu de leurs embarras et de leurs difficultés de toutes sortes. » (page 72)
C’est tout le contraire. Et c’est pourquoi, démissionnaire depuis le 15 mars 1944, Pierre Mendès France est toujours là le 17 novembre suivant. Or, depuis le 11 novembre ‒ jour anniversaire de l’armistice concluant la première guerre mondiale ‒, il a obtenu, grâce à Charles de Gaulle, de voir le micro de la radio française s’ouvrir devant lui pour une émission radiophonique hebdomadaire au fil de laquelle le ministre de l’Économie nationale (sans aucun pouvoir réel) va pouvoir enfumer tout son petit monde.
Là, bien sûr, c’est De Gaulle qui rigole : comme Front populaire aggravé, on pouvait difficilement faire mieux…
Alors, les émissions, ça disait quoi ? Patience, nous finirons bien par le savoir.
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