Quand Emmaüs-France convole avec le MEDEF
Je sais que le monde va mal, et que nos chers politiciens ont d’autres préoccupations que de se soucier du sort des 4000 et quelques citoyennes et citoyens réduits en esclavage sous le joug d’Emmaüs et d’un statut infâme qu’ils doivent à l’inconséquence du technocrate Martin Hirsch.
Vivant dans un lointain pays pauvre en proie à des ONG prédatrices, je suis bien placé pour savoir qu’il y a toujours plus malheureux et moins bien traité quelque part, et qu’être “Compagnon d’Emmaüs” en France n’est pas ce qu’il y a de pire au monde, comparé au sort des Rohingyas en Birmanie, par exemple, ou à celui des opposants en Corée du Nord…
Mais tout de même ! La France est (encore) une démocratie moderne, où l’esclavage a été aboli après tant de turpitudes avec nos colonies, où les droits de l’Homme doivent être respectés, au moins dans les intentions et les apparences, où il existe un Code du Travail avec des contrôleurs pour traquer les exploiteurs sans scrupule... Alors comment se fait-il que personne, pas un seul responsable politique, pas un seul député, ni de gauche ni de droite, ne se sente concerné sur le plan humain par le scandale Emmaüs, par l’indignité absolue du statut de “Compagnon”, contraire à tous les principes de notre République ?
Comment se fait-il que la plupart des journalistes, même de “Gôôche”, se taisent pudiquement, complotent au silence sur cette question pourtant brûlante et continuent à servir la soupe tiède à cette organisation pyramidale et ultra-libérale qui blasphème chaque jour l’image de l’Abbé Pierre et détourne ses mots à son seul profit ?
La réponse à ces questions est simple : 4000 pauvres dispersés en communautés sectaires sur le territoire et fragilisés par la société ne constituent ni un lectorat, ni un électorat.
Alors, à l’heure des comptes, qu’est-ce ça peut bien faire que ce panel de sans-voix, qui ne remplirait même pas un Zénith ou un meeting au Bourget, soit traité par une oligarchie de technocrates, de notables, d’entrepreneurs et de professions libérales comme des citoyens de seconde zone et des sous-travailleurs corvéables à merci, dont tous les droits sont niés, piétinés, ou mis sous tutelle ?
« France, mère des arts, des armes et des lois », écrivait le poète Joachim Du Bellay, ce à quoi il faut rajouter aujourd’hui : « Mère de l’hypocrisie, du mensonge et du je-m’en-foutisme ».
Bien sûr, grâce à Internet et aux réseaux sociaux, de plus en plus de ces sales « affaires Emmaüs » sont visibles sur la Toile et très largement commentées. Il y en a aux quatre coins du territoire, et elles sont toujours plus odieuses. Emmaüs-France a beau dégainer sa brigade d’avocates et d’avocats hautement rémunérés – “Envoyez vos dons !” –, il lui arrive malgré tout d’être condamné, même si la Justice française a bien du mal à faire son travail sereinement en raison du statut actuel des Compagnons et des pressions exercées sur elle, des chantages à peine déguisés. « Si vous condamnez Emmaüs Forbach, plaide avec pathos Maître Guy Engler, le tragédien du Barreau de Sarreguemines, vous condamnez l’abbé Pierre, mère Teresa, sœur Emmanuelle et le père Tritz réunis »…
Comment entendre de telles âneries ?!
Naïf comme je le suis, je pensais que le bon sens républicain pouvait défaire un mal aussi criant avec autant de facilité que la malveillante stupidité l’avait introduit dans la législation. Eh bien, non, tout n’est pas si simple… Car depuis que Martin Hirsch, le pion sarkozien d’une fausse ouverture “à gauche” – les mots n’ont décidément plus de sens –, est devenu hollandiste et hidalgoïste, avec les Hôpitaux de Paris en récompense, de l’eau sale a coulé sous les ponts, faisant de la France un triste pays toujours plus inégalitaire, condamné à sombrer sans résistance dans une crise encadrée par les financiers et le haut patronat…
Il suffit de feuilleter l’ouvrage de l’avocat Christophe Deltombe, président d'Emmaüs de 2007 à 2013, pour comprendre où les loups libéraux travestis en bons samaritains veulent en venir.
En effet, dans ce misérable manuel de résignation citoyenne intitulé « Un job pour tous : Une autre économie est possible, l'expérience Emmaüs » (Autrement, février 2014), le successeur de Martin Hirsch à la tête de la grande boutique caritative essaie de nous vendre le vieux système de la maison comme une panacée sociale moderne, idyllique, qui résoudrait tous les maux de la société, les problèmes du chômage et de l’exclusion.
Christophe Deltombe, avec le plus grand sérieux, y vante le « statut juridique original » des communautés qui, selon lui, représenterait un modèle d’entraide révolutionnaire, « efficace et praticable partout » (sic).
Disons-le haut et fort, « le modèle Emmaüs » est une infamie : c’est le rêve du MEDEF !
Des travailleurs précaires sans statut, sans droits et sans vraie protection sociale… Des salariés qui n’en sont pas officiellement, mais qui travaillent 40-45 heures par semaine pour 225 euros par mois, ou à peine davantage… Une flexibilité d’autant plus remarquable qu’elle est imposée par la réglementation de l’entreprise, pardon, de “l’association”… Des conditions d’hébergement souvent dignes des « marchands de sommeil » et qui passent bien sûr par l’obligation du travail, comme au bon vieux temps du STO en Allemagne – “Arbeit macht frei”, n’est-il pas ?... Des allocations logement qui échappent aux Compagnons qui y ont droit et sont récupérées par les communautés… La possibilité de foutre à la porte, sans aucun préavis – même en hiver ! –, tel ou tel compagnon trop fatigué ou trop “bavard”, ou même simplement amoureux d’une personne extérieure à la communauté, selon les caprices du Patron protégé des lieux… C’est le fameux P.S.G, “Porte-Sac-Gare”, que tous les compagnons connaissent un jour ou l’autre… Une perte de travail qui signifie donc également, automatiquement, une perte d’hébergement qui condamne à la rue… Une absence totale de perspective d’insertion dans le monde (encore) traditionnel du travail, malgré de la poudre aux yeux bricolée, comme par hasard, avec « Entreprise et Pauvreté », le think tank de Martin Hirsch, jamais à cours de solutions rentables et “innovantes”… Une privation des libertés et de l’autonomie… Une infantilisation et une exploitation permanentes… Des subventions de l’État et des régions employées pour embellir les boutiques lucratives au lieu d’aider les travailleurs pauvres qui n’ont aucune chance de s’en sortir, de connaître une vie meilleure… Et j’en passe…
(Je ne parlerai pas ici du réseau suspect de la filière textile d’Emmaüs avec Dubaï et d’autres contrées où, sans vergogne, on peut exploiter facilement de la main d’œuvre miséreuse…)
Voilà ce que l’avocat Christophe Deltombe, en bon épigone du MEDEF de Pierre Gattaz, appelle un modèle de société ! Voilà ses solutions “révolutionnaires” !
Il ose écrire : « Qu'attendons-nous pour nous emparer de ce modèle insuffisamment connu et appliqué ? C'est un rêve qui pourrait devenir réalité : un job pour tous ! »
N’y a-t-il pas en France un seul député lucide, courageux, attaché à son honneur, pour faire cesser un tel scandale et demander l’abrogation du statut actuel des compagnons – un statut de salarié, avec les droits afférents, doit leur être pleinement reconnu ! – et exiger un véritable audit indépendant d’Emmaüs-France, où celles et ceux qui ont dû subir la sinistre « expérience Emmaüs » pourraient enfin être auditionnés librement, comme tout citoyen normal ? Sans une totale transparence, point de confiance et point de privilèges fiscaux !
Il est temps d’en finir avec les mensonges du caritatif et de l’humanitaire en France.
Christophe Leclaire
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