Quand est-ce qu’on rêve ?
Ce matin, en regardant les actualités, je me suis posé cette question : quand est-ce qu’on rêve enfin ?
Car il faut bien l’admettre, en France, qui rêve encore ? d’un avenir meilleur, d’une autre façon de vivre, d’aventure, qui rêve encore ?
Pas cette France des tours, désabusée, laissée à la marge qui se demande bien pourquoi ses parents jadis sont venus avec le rêve d’une vie meilleure, pas pour eux-mêmes, ou si peu, mais pour ses enfants, pour qu’ils puissent grandir libres, s’instruire ou mieux : se cultiver, réaliser leurs rêves d’enfants, se réaliser, s’intégrer.
Pas cette France des tours, vivante mais d’une laideur à faire pleurer par ses zones commerciales, industrielles, résidentielles entrecoupées d’autoroutes surchargées, de triages abandonnés, de parking gigantesques.
Comment rêver dans une telle concentration de gens empilés et de béton à qui personne n’offre la possibilité d’entrevoir l’espoir ni d’en sortir ni de la changer ?
Pas cette France des campagnes, jadis magnifique, aujourd’hui défigurée par une chimie dévastatrice, jadis vivante, aujourd’hui « dortoirisée », vidée de sa moëlle par une politique d’aménagement devenue désastreuse et désormais devenue plus toxique qu’une zone « SEVESO ».
Pas cette France extra-périurbaine, méprisée, salie d’immondices jusque dans ses recoins les plus sauvages, méprisée, pour qui le quotidien c’est acheter le pain dans les zones commerciales, aller à l’école en bus tous les jours pour le bourg principal du coin, prendre la « bagnolle » une heure, parfois deux par jour pour travailler, payer plus chers qu’« en ville » pour des services pires ou inexistants (assainissement, transport en communs, administration, internet...).
Comment rêver dans cet empilement de lotissements identiques, de champs « montsantossisé », où le balais des voitures a remplacé celui des animaux sauvages ?
Pas cette France qui se lève tôt, avale un café, une tartine, chie, pisse, part réaliser un travail quotidien insupportable, par sa teneur, sa hiérarchie et par son dû et qui rentre, tard, ereintée, sans avoir le temps de passer du temps avec ses enfants dont elle ne peut s’empêcher qu’ils pourraient bien avoir la même vie.
Pas la France qui ne se lève plus, qui n’y croit plus, dont on dit d’elle partout, tout le temps qu’elle est fainéante, profiteuse et à qui, malgré tout ce qu’elle a pu consentir, malgré toute l’avilité dont elle a dû faire preuve, on ne propose rien, rien qu’une aumône et qui voit ses enfants et ne peut s’empêcher de se dire qu’ils auront une vie encore pire.
Pas cette France qui vieillit, qui se disait qu’après avoir donné nombres d’années à la société, pourrait enfin profiter des ses petits-enfants, de ses amis encore vivants (lorsque le travail ne les a pas tué avant), de loisirs qu’elle n’avait jamais eu lorsqu’elle travaillait et qu’en fin de vie on s’occuperait bien d’elle dans des « villages » pour ceux de sa génération et qui voit à la tv ces mouroirs tout justes bon à lui vider ses poches à défaut de lui vider ses couches régulièrement ; qui voit le pays dont elle fût si fière, s’enlaidir à coup de pelleteuses,de forêts dévastées, de bocages arrachés et à qui on dit « vous avez été des privilégiés ».
Pas cette France qui grandit, à qui on tue l’intelligence et l’imagination à coup d’écrans débilitants, à qui l’on offre aucun horizon radieux, à qui on inculque le culte de l’inutile, du débile et de la consommation et qui voit ses parents gesticuler dans un monde déliquescent dont on lui dit partout qu’il court à sa perte, dont elle ne veut pas et où personne ne lui laisse entrevoir la possibilité d’une alternative. Comment rêver quand tout autour est devenu si standard, insipide et que la technologie du virtuel est devenu l’unique lieu où se réfugier quand on ne supporte plus la médiocrité qui nous entoure ?
Et l’on pourrait continuer avec la France qui vote, qui ne vote pas, qui pense, qui gouverne ou qui se révolte….
Car depuis des décennies, rien qui puisse exalter l’imaginaire ; personne n’est parti dans sa fusée rutilante visiter Mars depuis que les Américains n’aient foulé la lune ; personne n’a plus découvert ni contrée ni animaux fantastiques depuis des lustres, personne n’a appris a parler avec les animaux, personne n’a inventé la voiture volante, personne n’a percé le secret de la conscience ni mis à jour la recette du bonheur, personne n’a proposé d’autres systèmes de société depuis la chute de l’URSS.
En fait, plus personne n’imagine et n’ose ; on perfectionne et on analyse puis on rationalise ce que l’on sait déjà par la seule exigence comptable… on capitalise.
La seule audace que nous propose l’état, le seul horizon c’est les 3 % de déficit ; c’est si exhaltant ! Quel extraordinaire pouvoir d’adhésion, de remise en marche de notre pays possède ce programme !
Dans un pays, qui par le passé découvrit d’autres continents, renversa un régime millénaire, enfanta des savants qui guérirent des millions de personnes, découvrirent des secrets de la matière, ou qui construisirent des machines aujourd’hui encore à la pointe, dans ce pays là, l’aboutissement auquel devraient tendre tous les efforts serait un ligne comptable !
Et que dire des héritiers des hommes des lumières ! Quel philosophe, écrivain, essayiste de ce pays a su mettre en mots la moindre pensée profonde sur les maux de notre société et y soumettre des remèdes mêmes imaginaires à même de donner matière à vraiment réfléchir aux gens ? rien, nada que du réchauffé et du politiquement correct.
Les gilets jaunes eux-même, pourtant véritable bouillon de culture à ciel ouvert où les idées les plus folles devraient germer ne parlent finalement que du court terme : argent, impôts, démission ah si RIC !! une petite audace c’est déjà ça.
Ils ont pourtant là une opportunité fantastique d’imaginer un monde où leurs enfants n’auraient pas seulement une vie un peu meilleure ou moins pire qu’eux, mais un monde où leurs enfant se réaliseraient, vivraient dans un monde réconcilié avec la nature, le bonheur, les envies profondes des gens... radicalement différent de celui dans lequel nous vivons.
Je ne jette pas la pierre, je suis l’un d’eux et j’espère que lorsque nos cerveaux malades de décennies de manipulation et de « castration » de l’imaginaire seront guérits, nous saurons toucher du doigt ce rêve et le faire nôtre.
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