Quiconque a vécu ou été en Afrique sait que, jusqu’aux plus profond des entrailles rurales du pays, la France est un pays autant aimé qu’il est détesté. D’un côté, beaucoup d’Africains voient en la France une sorte de « terre promise » de prospérité et de richesse vers laquelle il faudrait tendre. D’un autre côté, l’emprise néo-colonialiste de l’empire français demeure une oppressante réalité.
Pendant plus de cent ans, l’empire français s’est étendu du Maghreb, jusqu’à l’Afrique orientale et les régions sub-sahariennes. Et pourtant, bien que les chaînes de l’empire colonial aient été rompues il y a des décennies, dans les années 60, la Cinquième République maintient un étau de fer sur l’Afrique francophone.
Parmi les nombreuses façons qu’a l’Etat français de maintenir un semblant de prestige sur le continent, rien n’est plus saillant que le soi-disant CFA de la Zone Franc, un zone économique et monétaire composée de quatorze pays d’Afrique, pour la plupart d’anciennes colonies françaises. Après l’indépendance, une poignée de nations nouvelles nées ont établi un système de « solidarité » obligatoire qui les a obligé à mettre plus de 65% de leurs réserves de changes auprès du Trésor français, ainsi que 20% d’obligations financières.
Aujourd’hui, près de sept décennies plus tard, cet arrangement n’a guère changé, ce qui signifie que le Trésor français continue de
réguler la façon dont ces 14 nations souveraines utilisent leurs monnaies.
Une telle tutelle explique certainement pourquoi, quand Emmanuel Macron a remporté l’élection présidentiel en mai dernier, les journalistes de l’Afrique francophone ont déclaré, ironiques, accueillir leurs « souverain Macron », le désignant comme « nouveau président de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, du Mali, du Sénégal, de Djibouti… » et près de 30 autres nations issues de la colonisation et virtuellement souveraines.
En effet, l’impérialisme moderne à la française étend désormais son emprise au delà des frontières africaines et des salons parisiens, touchant jusqu’à ces pays qui jusqu’alors n’avait jamais connu le joug républicain.
Ce mois-ci, Teodoro Nguema Obiangue Mangue, vice-président de la Guinée équatoriale – une ancienne colonie espagnole – a été jugé à Paris pour détournement de fonds publics et blanchissement d’argent, avec une décision attendue pour le 27 octobre.
Si l’on exclut le fond et le fait que les accords passés par le Vice Président étaient parfaitement légaux au regard de la loi de son pays, ce procès représente sur la forme une absence flagrante de respect des standards internationaux en termes d’immunité diplomatique. Plus grave encore, ce procès est une démonstration supplémentaire de l’emprise néocolonialiste de l’Etat français sur les affaires d’un Etat africain.
Comment la France se sentirait si un allié plus puissant – disons les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne – soumettait l’un de ses nombreux politiciens corrompus à un procès ?
L’idée n’est pas si farfelue quand on sait que la France est un des pays occidentaux les plus corrompus.
En début d’année, la prestigieuse revue Foreign Policy est allé jusqu’à s’étonner. «
Pourquoi la France est-elle si corrompue ? » s’est-elle demandée dans un article, allant même jusqu’à reconnaître que si la France « n’est pas particulièrement corrompue au niveau mondial… elle fait figure de dernière de la classe [en Occident] ».
Selon l’indice de
perception de la corruption 2016 de Transparency International, la France est 23ème au classement des 176 nations, juste derrière l’Estonie et juste devant les Bahamas. Il suffit simplement de regarder l’histoire des présidents français qui ont suivi Charles de Gaulle après sa démission en 1969 pour comprendre l’étendue des « affaires » de corruption touchant les gouvernements successifs de la cinquième république. Plus récemment, la candidature du favori François Fillon à l’élection présidentielle a été ternie par une série d’articles du Canard Enchaîné en février 2017 qui
révélaient que ce dernier avait employé sa femme et ses enfants pour « ne presque rien faire », accumulant dans la foulée un pactole familial de près d’un million d’euros.
Comme l’a rapporté
Reuters qui a suivi de près l’affaire Fillon, « la corruption politique en France est fréquente et rarement punie par la loi – surtout si l’élu qui s’y adonne a atteint une certaine hiérarchie dans le monde politique ».
Alors que nombre de ses politiques ont, par le passé et encore aujourd’hui, été accusés de détournement de fonds et impliqués dans de multiples affaires, comment la France peut-elle se prévaloir de l’autorité morale suffisante pour juger le Vice-Président de la Guinée équatoriale ?
La réponse est simple : elle ne le peut pas.