Quand la Chine dit « Non » : les jeux Olympiques (et « l’Occident ») à reculons...
« La Chine peut dire Non »... Qui ne le savait pas ? Nous étions prévenus depuis 1995, date de publication d’un essai de Song Qiang, qui portait ce titre et qui, diffusé à des millions d’exemplaires et célébré par les autorités chinoise, a été comme un livre annonciateur d’une nouvelle ère. Une ère qui est couronnée par les JO de cette année 2008. Parce que le CIO a dit Oui.
Parce que les Chinois savent que la « grande puissance émergente » qu’elle est sait utiliser au maximum ce qui a fait la force, mais fait la faiblesse actuelle de l’« Occident » : le décalage entre les principes et les valeurs proclamées et les actes, ce « cynisme voyou » habillé de vertus qui se retourne contre lui.
La Chine peut dire NON aux injonctions des « Occidentaux » en matière monétaire et commerciale. Elle peut dire NON à l’« Empire américain » qu’elle soutient financièrement. Elle peut dire NON aux suppliques « européennes » en matière de droits de l’homme. Elle peut dire NON à la suppression de la peine de mort (10 000 exécutions par an !) Elle peut dire NON aux normes environnementales exigées par la seule santé publique et le simple bon sens. Elle peut même dire NON à ce que les responsables chinois avaient eux-mêmes promis. Ou décidés.
« La Chine m’inquiète », pour reprendre le titre d’un livre récent[1]... « La Chine à reculons », dénonce Le Monde dans son éditorial du jour. « A reculons », par rapport à quoi, à qui, à quels critères ?
Evidemment, les mille et une protestations des ONG et des autorités qui militent pour les droits de l’homme et pour le respect de valeurs proclamées (et reconnues par tous les pays membres de l’ONU) sont légitimes. Elles n’ont pas attendu quelques nouveaux cas de censure sur le net, quelques nouvelles arrestations et quelques nouveaux pics de pollution pour affirmer haut et fort ce qui aurait dû être déterminant au moment du choix du CIO : Des Jeux à Pékin, pourquoi faire ? Tout s’est passé comme si c’est le CIO qui voulait Pékin et non Pékin qui était candidate devant le CIO...
Heureusement d’ailleurs qu’elles se font entendre, ces voix de l’exigence éthique et morale, de l’humanité respectée, de l’humain ! Et tant pis (tant mieux même) si elles gênent bien des milieux d’affaires, boulimiques de profits et de performances dans les jeux de l’économie-casino planétaire ou des chevaliers de la Réalpolitik qui ne voient dans la Chine « éveillée » qu’un grand marché à exploiter, une terre d’investissements à ensemencer, et un partenaire à ménager. Pour l’exploiter.
Combien de sinophiles n’aiment la Chine que par intérêts égoïstes ? Les Chinois le savent : c’est ce qui les fait sourire quand « on » les accuse de « cynisme »... Comme ils savent que les promesses, dans les grandes puissances d’hier, n’engagent souvent que ceux qui les écoutent. Comme ils ont pleinement conscience que personne ne viendra gérer à leur place leurs contradictions internes, leurs évolutions intérieures chargées de périls, les retombées socialement négatives de leur croissance qui fait rêver les hyper-capitalistes en crise de foi en eux-mêmes.
Il n’y a pas Une, mais des Chines. Avec 56 ethnies différentes. Des privilégiés et des laissés-pour-compte. Des ruraux et des urbains. Des rivalités multiples qui s’affirment, s’additionnent, se heurtent de front. Et une société de plus en plus complexe. Et explosive, en dépit de l’image « disciplinée » qu’elle veut donner d’elle-même.
Depuis que Deng Xiao Ping, voilà trente ans, avait chanté les vertus de l’enrichissement (plus personnel que collectif), on savait que le capitalisme sauvage pouvait se développer dans des structures « communistes sans communisme ».
Depuis la répression symbolisée par les événements de la place Tien An Men, en 1989, on savait que les maîtres du système ne laisserait pas le régime totalitaire se dissoudre dans une démocratisation même fantasmée et que la violence d’Etat (ce « totalitarisme conscient », cet « autoritarisme d’un nouveau genre ») saurait tenir en joue les porteurs d’espérances libertaires. S’imposer grâce à un « national populisme » et à des exhortations qui endorment les masses. Et faire oublier les référence confucéennes au « gouvernement par la vertu »... ou la sagesse héritée de Meng Tzeu, dit Mencius qui bien avant notre ère (372-289 av J.-C.) témoignait de l’universalité des concepts fondateurs de nos « droits de l’homme ».
Les Chinois, comme d’autres « peuples émergents », disent Non aux opinions dites internationales parce qu’ils ne veulent plus recevoir de leçons venues d’un Occident (à redéfinir d’ailleurs) qui n’est plus le « Centre » du monde et qui est piégé par ses propres incohérences.
En l’occurrence, ce sont les JO qui vont « à reculons ». Non parce que l’on peut faire des parallèles entre Berlin 36 et Pékin 2008 (avec tout ce que les comparaisons peuvent avoir de faux), mais parce que les « Jeux » ne sont plus des Jeux. Mais des affaires et du spectacle. Cela n’a vraiment rien d’une information...
Reste l’espérance d’un mieux. Demain ou après... Jean-Claude Guillebaud le relève dans l’excellent chapitre qu’il consacre à la Chine dans son dernier essais [2] : les censures d’internet (effectuées avec des complicités très « occidentales » ) n’empêchent pas quelque 210 millions d’internautes et 550 000 journalistes de faire circuler l’information et les idées en Chine.
N’ayons pas une image trop granitique, monolithique de la Chine plongée dans une mutation authentiquement révolutionnaire. « Ce n’est pas silence dans les rangs » ! Et les JO (c’est l’espoir ou l’illusion ou la bonne conscience des « patrons » du CIO) peuvent indirectement faire pousser quelques fleurs dans cette puissance où tant ont été coupées.
Les Chinois eux-mêmes peuvent un jour se rendre compte qu’il est dans leur intérêt de savoir aussi dire Oui. Sur des choses essentielles qui touchent à la conception même de la nature humaine. Ils savent, selon la formule de Deng Xiao Ping, « traverser la rivière en tâtant les pierres ». Il est des circonstances où le pragmatisme et le réalisme dictent de tenir compte aussi de certains idéaux. C’est aussi un constat à faire dans ce que l’on appelle encore l’Occident...
Daniel Riot
[1] Par Jean-Marie Domenach, Editions Perrin, 2008
[2] Le Commencement d’un monde, par Jean-Claude Guillebaud, Seuil. La plupart des citations et références de cet éditorial sont extraites du chapitre 9 : « la Chine peut-elle dire non ? »
14 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON