Quand la « City » de Londres brandit l’étendard de la vertu
Comme chacun sait, la rigueur morale est l’une des valeurs cardinales des activités de la première place financière mondiale : la « City » de Londres. Une affaire récente l’a d’ailleurs montré de manière éclatante...

L’histoire serait tout à fait anecdotique, et même un tantinet cocasse, si elle n’illustrait pas le formidable cynisme des dirigeants de la « City ». Petit rappel des faits :
En novembre 2013, un citoyen britannique de 44 ans, le dénommé Jonathan Paul Burrows, était pris en flagrant délit par une patrouille de la police des transports de Londres à la gare de Cannon Street. Sa faute : avoir utilisé une carte d’abonnement falsifiée qui lui permettait de ne régler qu’un tiers du coût réel de ses trajets sur le réseau de la Southeastern Trains entre Stonegate (Sussex) et Londres. À la clé, une économie substantielle de 14,30 £ par trajet (environ 19 €). Or, le manège durait depuis 5 ans, et c’est une fraude vertigineuse de 23 000 £ (environ 30 000 €) qui a pu être établie par les responsables commerciaux de Southeastern Trains. Pris la main dans le sac, Jonathan Paul Burrows a été contraint de régler à la compagnie de transport la totalité des impayés sur la base de trajets simples, soit 43 000 £ (environ 57 000 €). En contrepartie, le fraudeur a bénéficié d’un abandon des poursuites acté par les responsables de Southeastern Trains dans le cadre d’un « out-of-court settlement » (arrangement à l’amiable).
Les choses auraient normalement dû en rester là si, dans le sillage du Daily Mail, les médias populaires ne s’étaient pas emparés de l’affaire au mois de mars 2014 en présentant Jonathan Paul Burrows comme « Le plus grand fraudeur de l’histoire des transports ». Une publicité évidemment peu flatteuse pour un cadre de haut niveau, gérant de l’antenne britannique du fonds de gestion de patrimoine américain Blackrock Asset Management. Comme on peut aisément l’imaginer, la révélation de cette fraude record a suscité, chez les usagers des transports britanniques, un tollé d’autant plus grand que ces derniers ont été stupéfaits d’apprendre par la presse que Jonathan Paul Burrows était bien loin d’être dans le besoin : avec 1 million de livres de salaire annuel, et la possession dans le Sussex de deux manoirs d’une valeur de 4 millions de livres, le fraudeur était clairement un privilégié. La pression des indignés s’en est trouvée renforcée et Jonathan Paul Burrows a été contraint de démissionner de son lucratif poste à la Blackrock.
Le banquier n’en avait pas fini pour autant de payer sa faute : désireux de saisir l’opportunité de redorer une image écornée par des scandales financiers antérieurs, les responsables de la très puissante Financial Conduct Authority (Autorité des Marchés Financiers) se sont à leur tour emparés de l’affaire et ont tenu à le faire savoir par la voix de Tracey McDermott. Drapée dans la dignité outragée des garants de la vertu, la patronne de la « délinquance financière » à la FCA s’est exprimée ainsi : « Burrows a tenu un rôle de premier plan dans l'industrie des services financiers. Sa conduite a porté préjudice aux normes que nous avons édictées. Les personnes habilitées doivent agir en toutes circonstances avec honnêteté et intégrité. En cas de manquement, nous agissons. » Et de fait, les responsables de la FCA ont agi en prononçant, le 15 décembre 2014, le bannissement définitif de Jonathan Paul Burrows de toute activité financière « senior » dans le cadre de la « City » de Londres.
Le « vilain tricheur » ayant été triplement sanctionné, la morale serait sauve si l’arrangement avec la Southeastern Trains n’était apparu comme scandaleux aux yeux des voyageurs lambda exposés, pour des faits de fraude bien moins graves, à de sévères poursuites judiciaires. Quant à l’attitude « exemplaire » de la Financial Conduct Authority, que vaut-elle en regard des scandales financiers sur lesquels la FCA a fermé les yeux sans vergogne, ou ne les a ouvert que très tardivement, lorsqu’il ne lui a plus été possible de faire autrement ? Cela a notamment été le cas dans la spectaculaire affaire dite des manipulations des cours du Libor (taux interbancaire de Londres) qui, au terme de plusieurs années d’enquêtes et de procédures, a valu à six banques des États-Unis, du Royaume-Uni et de Suisse une amende record de 4,2 milliards de dollars !
Relativement à ces monstrueuses dérives financières – ô combien emblématiques de la déliquescence des mœurs dans les milieux d’affaires ! – et à toutes celles dont les naïfs que nous sommes n’ont pas connaissance, le cas de Jonathan Paul Burrows apparaît finalement comme caractéristique d’un comportement de Pied Nickelé ; et ô combien hypocrite son bannissement par la FCA de tout rôle majeur dans la gestion financière alors qu’en 20 ans de carrière il n’a jamais commis la moindre faute professionnelle ! Morale de cette histoire : même à 1 million de livres par an, il peut y avoir des lampistes : Jonathan Paul Burrows, sacrifié sur l’autel de la Vertu des marchés, l’a appris à ses dépens. Comme en France un certain Jérôme Kerviel.
À lire également, cette étonnante histoire : Le fraudeur repenti (août 2013)
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