Quand la musique rencontre la littérature : Ravel...
Une musique d'une infinie douceur qui suscite la rêverie, une musique envoûtante qui vous enveloppe dans des tourbillons de notes... une musique qui va crescendo puis s'apaise...
Une merveille d'élégance, de subtilité, d'envolées soudaines de notes...
Tel est le quatuor en fa majeur de Ravel...
Le quatuor Les Vennes a interprété ce morceau lors des Jeudis de Nîmes... pour le plus grand bonheur des spectateurs... Ce quatuor est né en 2021, dans le cadre d'études musicales au conservatoire royal de Liège. Il est constitué de très jeunes musiciens : Agathe Lust, altiste, Georges Moissonnier, violoncelliste, Solenn Hubert et Alexandre Brun violonistes.
"Le quatuor à cordes est un genre difficile, auquel les compositeurs s'attaquent rarement avant leur maturité. Âgé de vingt-sept ans seulement au moment de sa composition, Ravel signe pourtant un chef-d'œuvre : ce n'est pas "un essai qui se répète ou se corrige, mais l'expression parfaite, dans ce genre, d'une personnalité qui dispose de tous ses moyens. […] Il appartient à cette catégorie d'œuvres où le maître a laissé parler son cœur d'une manière particulièrement délicate."
Une oeuvre raffinée, tendre, comme l'était sans doute la personnalité de Maurice Ravel...
Une personnalité que l'on découvre dans le roman de Jean Echenoz, intitulé Ravel.
Bruno Paternot, récitant, comédien, nous en lit alors des extraits choisis...
Ce roman retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937). L'auteur lui-même ajoute son grain de sel : "Ravel fut grand comme un jockey, donc comme Faulkner ... un artiste méticuleux et élégant, fumeur de Gauloises et amateur de viande bleue. Le voici qui sort de sa baignoire, à la fin de l'année 1927. Ravel se prépare à quitter sa maison "structurée comme un quart de brie" de Monfort-l'Amaury. Direction la gare Saint-Lazare, puis la gare maritime du Havre où le paquebot France doit le conduire en Amérique du Nord. Le compositeur a cinquante-deux ans, il lui en reste seulement dix à vivre.
Et voici son portrait peint par Echenoz :
"Un mètre soixante et un, quarante-cinq kilos et soixante-seize centimètres de périmètre thoracique ; Son visage aigu rasé de près dessine avec son long nez mince deux triangles montés perpendiculairement l’un sur l’autre. Regard noir, vif, inquiet, sourcils fournis, cheveux plaqués en arrière et dégageant un front haut, lèvres minces, oreilles décollées sans lobes, teint mat. Distance élégante, simplicité courtoise, politesse glacée, pas forcément bavard, il est un homme sec mais chic, tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre."
Autour de lui gravitent les ombres de sa gouvernante Mme Révelot, son amie Hélène, la danseuse et mécène russe Ida Rubinstein, son voisin Zogheb, et les musiciens tels Paul Wittgenstein ou encore George Gershwin à qui il refuse de donner quelques cours de compositions lors d’un séjour à New York : "C’est aussi qu’il n’aime pas prendre des élèves et puis bon, Gershwin, on dirait que son succès universel ne lui suffit plus, il vise plus haut mais les moyens lui manquent, on ne va quand même pas l’écraser en les lui donnant."
"Une fois qu’ils ont échangé un petit regard et un signe de tête, ils attaquent le premier mouvement de la sonate que Ravel a terminée cette année, dédiée à Hélène et créée lui-même avec Enesco au violon, toujours salle Érard, au mois de mai. C’est peu dire que Ravel est gêné, presque un peu contrarié. D’ordinaire, au concert, il sort fumer une cigarette quand c’est au tour d’une de ses œuvres d’être exécutée. Il n’aime
pas être là quand on le joue.
Mais pas moyen de se défiler, c’est de bon cœur qu’on a voulu lui faire une petite surprise, il s’efforce de sourire en maugréant intérieurement. D’autant plus que sa nouvelle sonate ils ne l’exécutent pas, juge-t-il, très bien. Et quand au bout d’un bon quart d’heure ils ont achevé le dernier mouvement, Perpetuum mobile, se pose maintenant un autre problème : applaudir ou pas : car applaudir son œuvre est aussi déplaisant que ne pas applaudir les interprètes. Dans le doute il se lève en battant ostensiblement les mains vers les deux contractuels, puis serre les leurs avec chaleur avant de saluer en même temps qu’eux sous les acclamations de toute la première classe du France..."
Lors de cette croisière, il donne à la demande générale un petit concert :
"Légèrement assis sous le clavier que ses mains ne dominent pas mais abordent à plat, comme en contre-plongée, il fait courir ses doigts trop brefs, très noueux, un peu carrés. Ils comptent dans leurs rangs des pouces exceptionnellement puissants... pouces presque aussi longs que des index. Ce ne sont pas vraiment des mains de pianiste et d'ailleurs il ne possède pas une grande technicité, il joue rapidement, en accrochant tout le temps. Qu'il gouverne avec tant de maladresse un piano s'explique aussi par la paresse dont il ne s'est jamais défait depuis l'enfance : lui si léger n'a pas envie de se fatiguer sur un instrument tellement lourd... bref, il joue mal, mais enfin bon il joue. Il sait qu'il est le contraire d'un virtuose, mais comme personne n'y entend rien, il s'en sort tout à fait bien."
En mer comme ailleurs, le pauvre cherche le sommeil jusqu'à l'aube, "pour finir par n'en décrocher qu'un d'occasion, de seconde main, de qualité médiocre, voire n'en trouver aucun."
La structure du Boléro elle-même, qui fera son succès, ne découlerait en fait que d’un mouvement d’humeur : "Bon, ils veulent qu’on répète, ils tiennent vraiment à ce qu’on répète, eh bien d’accord, on répètera. Ils en auront, de la répétition."
Ce qui pourrait fonder un intérêt du lecteur – le dévoilement du processus de création – devient en fait monstration de tout ce qui est hasard et caprice, effets du quotidien entrant dans ce processus.
"Quand il vient de composer le boléro qui portera son nom aux confins ultimes de toute notoriété possible et qu'il se demande si, des fois que ça marcherait comme La Madelon, une petite voix amicale, sortie des dessous de l'écriture, lui répond : Mais ça marchera beaucoup mieux, Maurice, ça marchera cent mille fois mieux que La Madelon."
"Or l’ennui, Ravel connaît bien : associé à la flemme, l’ennui peut le faire jouer au diabolo pendant des heures, surveiller la croissance de ses ongles, confectionner des cocottes en papier ou sculpter des canards en mie de pain, inventorier voire essayer de classer sa collection de disques qui va d’Albéniz à Weber, sans passer par Beethoven mais sans exclure Vincent Scotto, Noël-Noël ou Jean Tranchant, de toute façon ces disques il les écoute très peu. Combiné à l’absence de projet, l’ennui se double aussi souvent d’accès de découragement, de pessimisme et de chagrin qui lui font amèrement reprocher à ses parents, dans ces moments, de ne pas l’avoir mis dans l’alimentation. Mais l’ennui de cet instant, plus que jamais démuni de projet, paraît plus physique et oppressant que d’habitude, c’est une acédie fébrile, inquiète, où le sentiment de solitude lui serre la gorge plus douloureusement que le nœud de sa cravate à pois."
" A contrario de cet ennui, Ravel éprouve un plaisir évident à paraître en public, non pour recevoir l’admiration suscitée par son œuvre mais pour la mise en scène de lui-même qu’elle permet. L’œuvre la plus composée qu’il propose, c’est sa garde-robe présentée « compte tenu du principe de la partie pour le tout."
Le Ravel d’Echenoz, c’est aussi l’histoire d’un déclin. L’ennui grandit, l’esprit s’égare, la maladie gagne. Et chaque seuil descendu est l’occasion de tester des méthodes d’ensommeillement.
Echenoz dépeint une personnalité fragile, tourmentée, particulièrement attachante.
Le blog :
http://rosemar.over-blog.com/2023/08/quand-la-musique-rencontre-la-litterature-ravel.html
Sources :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatuor_%C3%A0_cordes_de_Ravel
https://www.unidivers.fr/ravel-jean-echenoz/
http://www.pianobleu.com/ravel.html
http://jeanjadin.blogspot.com/2012/05/note-de-lecture-jean-echenoz.html
Vidéos :
47 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON