Quand la police laisse courir les délinquants
Régulièrement, des responsables syndicaux de la police nationale se plaignent de retrouver très vite dans la nature des délinquants traduits en justice. Mais s’il est vrai que des magistrats ont parfois la main trop légère dans certaines affaires, force est de reconnaître que la police porte elle aussi une part de responsabilité dans l’impunité de certains voyous. En voici la preuve par l’exemple...

Les statistiques de la délinquance sont à l’ordre du jour et alimentent, tant sur les antennes radiotélévisées que sur les blogs et les réseaux sociaux, les débats sur l’insécurité et l’action des acteurs judiciaires, à commencer par les ministres de tutelle. Comme souvent, dans un pareil contexte, ce sont les magistrats qui sont pointés du doigt, d’un côté par des citoyens excédés d’être exposés à des actes d’incivisme et de délinquance, de l’autre par des syndicalistes policiers confrontés au quotidien à des actes délictueux pas toujours réprimés à la hauteur de leurs attentes, notamment en cas de récidive. À cet égard, le fait est qu’une partie des juges a pour les prévenus impliqués une lecture du code plutôt bienveillante. Mais contrairement à ce qui est trop souvent affirmé, ces magistrats-là sont loin d’être majoritaires, et les justiciables amenés dans les prétoires le constatent à leurs dépens, particulièrement lorsqu’ils sont jugés en comparution immédiate. De cette réalité contrastée, quiconque a suivi des audiences de correctionnelle peut témoigner.
Qu’il y ait ici et là des décisions de justice manifestement un peu trop tolérantes ne fait toutefois pas de doute. Mais si certains magistrats ont une vision trop bienveillante, voire quelque peu laxiste de leurs devoirs vis-à-vis de la société, ils ne sont pas les seuls : n’en déplaise aux discours récurrents des porte-paroles syndicaux, des policiers montrent également peu d’empressement à poursuivre les délinquants. De cela, j’en avais eu la confirmation par l’une de mes connaissances, ex-commissaire de police rompu à toutes les ficelles du métier et confronté, au cours de sa carrière, à l’incurie de certains services. Mais n’étant pas dans « la maison », je n’avais jamais eu l’occasion de constater ces carences par moi-même. Jusqu’à une soirée de décembre, il y a de cela quelques années en arrière...
Ce soir-là, ma belle-sœur, alors âgée de près de 80 ans, a été agressée dans une ruelle du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne) par un garçon d’une vingtaine d’années. Agrippée à son sac à main, la pauvre femme a été projetée au sol et contrainte par la violence à lâcher son bien. Dans le sac volé, il y avait ses clés, de l’argent liquide, sa carte de crédit, ses papiers d’identité et de nombreux autres petits objets auxquels on peut être attaché lorsqu’on a derrière soi près de huit décennies d’existence. Il va de soi que ma belle-sœur a été non seulement meurtrie sur le plan physique, mais également traumatisée par cette expérience. Par chance, mon épouse et moi habitions alors tout près de là : j’ai pu accompagner ma belle-sœur au commissariat de Gentilly pour déposer plainte tandis que mon épouse partait monter la garde chez elle pour prévenir toute tentative de cambriolage. Après quoi, il a fallu faire appel en urgence à un artisan pour changer la serrure, sans compter les autres tracas qui ont suivi dans les jours suivants et miné le moral de la vieille dame, ancienne petite main modiste, qui de sa vie n’avait jamais nui à quiconque et ne pouvait évidemment comprendre que l’on puisse s’en prendre à sa personne.
Or, il se trouve que si ma belle-sœur n’avait, à son âge, plus la force de s’opposer à la puissance physique d’un délinquant d’une vingtaine d’années, elle avait en revanche conservé sa vivacité d’esprit et enregistré du voleur un signalement précis qui a, bien évidemment, été communiqué à la police lors du dépôt de plainte. Rien ne s’est passé par la suite, les policiers ayant manifestement d’autres chats à fouetter qu’à rechercher un voleur de vieilles dames. Il eût pourtant été très facile d’interpeller l’individu en question.
Dès le lendemain de l’agression, je m’étais en effet rendu au Kremlin-Bicêtre pour tenter de repérer le type en question dans les rues autour de la station de métro à partir de laquelle il avait vraisemblablement suivi ma belle-sœur. Je pensais avoir du mal à reconnaître cet individu que je n’avais pas vu personnellement et qui, selon toute vraisemblance, avait changé de look depuis la veille. Eh bien non, bingo ! au bout de quelques dizaines de minutes, il était là, avenue de Fontainebleau, à proximité du métro. Aussi incroyable que cela puisse paraître, l’agresseur était habillé avec le même pantalon, le même blouson, et surtout la même casquette rouge que la veille. Hallucinant de naïveté !
Discrètement, je me suis alors mis à surveiller ses agissements et j’ai très vite compris sa méthode en le voyant emboîter le pas à des femmes seules qui descendaient dans le métro d’un côté de l’avenue. Son but : arracher leur sac dans l’escalier d’accès et s’enfuir à toutes jambes dans l’espace RATP pour ressortir de l’autre côté de l’avenue tandis que la victime se serait époumonée en sous-sol. Manque de chance, ce jour-là, il y avait à chaque fois du monde qui surgissait et l’empêchait de passer à l’action. Ai-je été repéré ou pas ? Aucune idée, mais au terme d’une demi-heure de ce manège, le type, bredouille, a quitté les lieux d’une démarche tranquille, en prenant l’avenue de Fontainebleau en direction de Paris. Calé à 100 m derrière lui, je le suivais dans l’espoir de trouver une indication sur lui-même ou son domicile.
C’est alors qu’en regardant à tout hasard si un véhicule de police ne surgissait pas dans le secteur, j’ai vu arriver dans mon dos une voiture de patrouille de la police nationale. Aussitôt j’ai fait signe et le véhicule s’est arrêté à ma hauteur. Je leur ai désigné le voleur qui marchait plus loin sur le trottoir en précisant, d’une part que cet homme avait agressé la veille une femme de 80 ans, plainte ayant été déposée au commissariat de Gentilly, d’autre part qu’il venait, sans succès, de poursuivre ses agissements sous mes yeux au métro Kremlin-Bicêtre. « Possible, mais on ne peut rien faire, nous sommes affectés à la surveillance de l’autoroute » m’a-t-il été répondu. « OK, mais vous êtes assermentés, et rien ne vous empêche sinon d’interpeller l’individu, du moins de procéder à un contrôle d’identité, le temps que l’un de vous contacte le commissariat de Gentilly pour vérifier le dépôt de plainte et le signalement de l’agresseur. Après quoi, il sera facile de retrouver le type. » Manifestement, ils n’en avaient strictement rien à faire, l’interpellation des agresseurs de vieilles dames étant le cadet de leurs soucis. « Pas notre boulot ! » m’a-t-il été dit dans un grognement agacé juste avant que la voiture de police ne redémarre.
Comme je l’ai déjà indiqué plus haut, rien ne s’est passé durant les mois qui ont suivi, et le voyou à la casquette rouge a sans doute continué à détrousser des femmes, avec une préférence marquée pour les plus âgées et les plus faibles d’entre elles.
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