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Accueil du site > Tribune Libre > Quand la politique perd son sens, l’émotion triomphe

Quand la politique perd son sens, l’émotion triomphe

 

Dans cette campagne présidentielle qui commence bien tôt, et qui se limite pour l’instant à deuxprotagonistes surmédiatisés, il n’aura pas échappé aux observateurs de la vie politique l’émergencede deux mutations majeures.

La première mutation concerne le court-circuitage systématique des organes intermédiaires de la démocratie représentative : parlement, partis, institutions représentatives... Les deux candidats préférés des médias s’adressent désormais, sans intermédiaire, au peuple. Quand Nicolas Sarkozy s’emporte contre la justice, il déclare : « Les Français me comprennent » et trouve ses propos justifiés par un opportun sondage publié le lendemain. Quand Ségolène Royal parle, elle dit : « C’est aux Français que je m’adresse », éludant ainsi la tradition du débat avec les militants. Les deux candidats pratiquent, à grands renforts de sondages, une démocratie de l’opinion, déliée de toute intermédiation politique habituelle. Les politiques modernes s’affranchissent ainsi des intermédiaires et entrent en collision directe avec les citoyens. Cette mutation s’inscrit dans le grand courant de démédiatisation qui marque nos sociétés. Les médias traditionnels ont ouvert la voie en abandonnant leur fonction d’intermédiation, de donneur de sens, pour proposer le réel directement aux spectateurs. En direct live.

La deuxième mutation concerne ce que d’aucuns appellent la peopolisation des politiques. En réalité, il s’agit d’un mouvement qui fait prédominer l’émotion, l’éphémère, l’instantané, l’image, au détriment du fond et du contenu.

Ces deux mutations sont extraordinairement liées et s’articulent sur la notion de sens.

Arrêtons-nous un instant sur le sens du sens.

Le mot sens contient plusieurs sens. Le latin sensus lui fait désigner à la fois la faculté de sentir et celle de juger ; le dérivé francique sinno introduit l’étymologie de direction. Doté de ses deux racines étymologiques, le mot sens prend, selon Littré, une série d’acceptions différentes : c’est d’abord l’appareil qui met les êtres humains et les animaux en rapport avec les objets du dehors, par le moyen des impressions que ces objets font directement sur lui (les cinq sens). C’est aussi la faculté de comprendre les choses et d’en juger sainement (le bon sens, le sens commun) ; c’est l’idée, la pensée, la signification, la manière de comprendre (le sens d’un texte, donner du sens). C’est enfin la direction (aller dans ce sens, le sens contraire).

André Comte-Sponville, s’interrogeant sur ce mot, résume la définition des dictionnaires à la formule : « Le sens, c’est ce qui sent ou ressent, ce qu’on suit ou poursuit, enfin ce qu’on comprend. » Quand on évoque l’idée de quête du sens, ce sont les deux dernières acceptions qui prévalent. Elles sont situées dans la sphère de l’action, dans celle du sujet capable de désirer et de vouloir. Merleau-Ponty avait remarqué cette tension vers l’action : « Sous toutes les acceptions du mot sens, nous retrouvons la même notion fondamentale d’un être orienté ou polarisé vers ce qu’il n’est pas. » Chercher le sens, c’est essayer de comprendre, trouver la direction du savoir, donner les clés d’une explication.

Les hommes politiques ont, par nature, toujours joué ce rôle : intermédiaires et guides, explorateurs et explicateurs du -sens du- monde. L’effondrement de la crédibilité et l’état de méfiance qui s’est généralisé à leur égard a progressivement vidé le mot sens de la plupart de ses acceptions. Les politiques (comme les médias de masse) ne cherchent plus à nous faire comprendre, à donner du sens à leur projet ; ils se contentent d’apparaître (le plus souvent possible), dénués de tout artifice (y compris dans leur vie privée ou en maillot de bain), vides de tout contenu (si ce n’est quelques thèmes ou emportements habilement choisis comme déclencheurs d’émotions). Une présence imaginale « en direct », une confrontation a-médiatisée entre eux et le spectateur-électeur. Une collision, dans laquelle le mot sens ne conserve plus que son origine latine première : sentir, toucher les sens, les sentiments. En un mot : émouvoir.

Ce triomphe de l’émotion sur la raison est éminemment contemporain, et touche de plein fouet tous les acteurs de la scène politique, locale comme mondiale. Le pape Benoît XVI en a fait l’expérience malheureuse récemment. Il est une des sources de la grande confusion de nos sociétés.


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23 réactions à cet article    


  • Antoine Diederick (---.---.24.211) 29 septembre 2006 14:28

    Bonjour Monsieur Ayache,

    Quand le « sens » devient suspect qu’est ce qui fait sens ?

    C’est vrai, les hommes politiques aiment agréger les évènements pour donner du sens, dire le sens, leur sens.

    Grands ordonnateurs de sens, les hommes politiques, oui bien sûr, c’est absolument obligatoire et à double sens ou facette.

    Donner du sens, c’est se définir soi-mme et définir la relation à l’autre et donc à un électorat et parfois à un lectorat. Mon discours dit qui je suis, comment il faut me voir et comment je vous vois.

    Et puis, démiurges de sens ou tentation d’être charismatiques, c’est flatteur pour l’ego smiley

    Et tant qu’à faire oui, de l’émotion et de la dramatisation et voilà l’affaire bien lancée.

    Emoticons et émotions !!!!


    • (---.---.6.85) 29 septembre 2006 15:02

      « Les deux candidats préférés des médias s’adressent désormais, sans intermédiaire, au peuple. »

      Tiens, le but de la Révolution de 1789 (la fin des corps intermédiaires) serait donc enfin réalité ? En tous cas, je ne vois pas ou est la nouveauté. De Gaulle passait son temps à s’adresser directement au peuple, et heureusement, car sinon..

      « Les hommes politiques ont, par nature, toujours joué ce rôle : intermédiaires et guides, explorateurs et explicateurs du -sens du- monde. »

      Oui, ca c’est jouer précisement sur l’émotion. La politique ce n’est pas du sens, mais de la gestion, comme pour une entreprise. Le sens n’est la que pour faire rêver les gens et qu’ils votent bien, mais ce n’est que du barratin et de l’idéologie. On nous a sufisement bassiné avec le sens de l’histoire qui aller voir triompher le socialisme contre le capitalisme que tout le monde comprend ce que je veux dire. Cette histoire de sens n’est au fond qu’une réponse démagogique à des problémes existentiels/spirituels/philosophique/moraux/méthaphysiques, bref religieux du citoyen de base. Or justement, il ne faut pas tout mélanger.

      L’Etat est en faillite, ca n’a aucun sens, mais il faut tout de même le réformer, même si ceci non plus n’a pas de sens.


      • Forest Ent Forest Ent 29 septembre 2006 17:41

        Eh oui, il semble bien que les médias aient pris le pouvoir en direct. A moins que les électeurs ne réservent encore des surprises.

        C’est un jeu dangereux : à mettre trop en avant des candidats qui leur plaisent, ils pourraient se retrouver avec des élus qui ne plaisent vraiment à personne.


        • parkway (---.---.18.161) 2 octobre 2006 14:20

          cher forest ent,

          raymond devos vous suivrait bien en affirmanrt qu’il n’y a plus de bon sens, puiqu’ils sont tous uniques ou interdits !!!

          On nous oblige à l’anneau ’l’unique sarko -sego’, et on nous cache les elfes...


        • (---.---.237.59) 29 septembre 2006 19:08

          Bonne annalyse, monsieur Ayache.

          Les politiques nous offrent le contre-sens et ils s’efforcent de nous persuader de leurs sens uniques.

          Ils deviennent virtuels et s’en accommodent ! Mais je ne suis pas sûr que ce soit une émotion triomphante, mais un aveu d’échec cuisant.

          Adieux Sego-Sarko et bien d’autres, ne changez rien, vous ne resterez qu’une image dans le flou.

          Philgri


          • superclikman (---.---.158.38) 29 septembre 2006 21:12

            J’ai bien peur que ce soit Jospin qui « reste une image dans le flou »


          • superclikman (---.---.158.38) 29 septembre 2006 21:16

            je clique par ici, je clique par là, je suis super clikman, je clique par là, je clique par ici ......clik clik c’est moi super clikman.


          • Sam (---.---.63.244) 29 septembre 2006 23:22

            Un raccourci d’idées très répandues et pas fausses.

            Mais on peut se demander qui de la poule et de l’oeuf. La télévisions, comme le stigmatisa un cinéaste invité sur un plateau ou DSK faisait son boulot, remarqua que le nombre et la dispositon des caméras dans cette émission politique, était exactement une mise en image faite pour le divertissement, techniquement parlant.

            Pour résumer, la position et le nombre des caméras étaient ceux d’une émission de divertissement.

            Par ailleurs, il apparaît relativement souvent des politiques (je pense, sans le soutenir aucunement, à Bayrou) des politiques à l’antenne qui tentent d’exposer des concepts articulés, avec exemples et corrélations afférentes.

            Ils ne peuvent en général aller au bout, ou finissent par bafouiller sous la pression, ou résument leurs thèse à tel point que le télégraphique est incompréhensible.

            Il faut dire que la chaine a placé autour d’eux vingt intervenants pour une heure d’émission et trois sujets différents.

            Les politiques ne cherchent que l’émotion ?..


            • (---.---.10.175) 30 septembre 2006 09:22

              Baser la démocratie UNIQUEMENT sur la COM.MUNICATION est une ESCROQUERIE ...


              • superclikman (---.---.131.120) 30 septembre 2006 22:29

                c’est vrai que Bayrou a un probleme de beguéement et que cela peut poser un probléme pour « les spécialistes de la communication », j’ai meme entendu certain commentateur d’agoravox pretendre que Bayrou refléchissait avant de parler et que ceci pouvait constituer un handicap par rapport à Sarkosy qui lui parlait sans réfléchir........ ? On peut se poser la question...... !


              • Rocla (---.---.164.42) 1er octobre 2006 08:38

                Y en a même qui parlent sans ni réfléchir ni bégayer . Bafouillent en éructant ...

                Rocla


              • chantecler (---.---.4.88) 1er octobre 2006 08:44

                @ Rocla:c’estexactement ça:quand le cortex est dépassé par le bouillonement hormonal,les gens ne savent plus ce qu’ils disent:ils en oublient même la question.C’est trés bien expliqué dans l’article « guerre et coup d’épée » du mardi vendémiaire où je t’invite à nous rejoindre.


              • Rocla (---.---.164.42) 1er octobre 2006 08:53

                Chanteclerc

                Mais comment tu fais pour chanter et éclairer en même temps ?

                Rocla


              • chantecler (---.---.4.88) 1er octobre 2006 08:58

                @Rocla:J’ai plein de choses,même une lampe de poche.


              • Rocla (---.---.164.42) 1er octobre 2006 09:09

                là j ’ hallucinogène , avec pile , ampoule et ça qui fait les contacts ?

                Rocla


              • chantecler (---.---.4.88) 1er octobre 2006 09:26

                Ca fonctionne avec le programme microsoft et en USB2.


              • jennifer (---.---.4.88) 1er octobre 2006 09:29

                @ Demian:Que veux-tu:c’était ça ou la massue des pithécantropes:c’est un progrés non ?


              • jennifer (---.---.4.88) 1er octobre 2006 09:37

                Le jour où le bulletin de vote sera remplacé par un QCM à dépouillement informatisé,on sera cuit !


              • Rocla (---.---.164.42) 1er octobre 2006 09:48

                J’ peux pas résister ,Monsieur et Madame Mélusine ont une fille quel est son prénom ?

                Ben Jennifer Mélusine ,r’ venez demain .

                Rocla


              • rantanplan (---.---.4.88) 1er octobre 2006 09:50

                Imagine un politique qui ne dirait que la vérité:on est dans la merde,il va falloir se serrer la ceinture,vous allez en baver !Ce mec là n’a aucune chance de se faire élire ! Mais s’il vous dit :« on est tous dans la même galère,et ceux qui ne veulent pas ramer on les envoie dans les mines de sel »ça change tout,non ?


              • parkway (---.---.18.161) 2 octobre 2006 14:26

                je te signale demian que pour appliquer la quadrature du cercle, il faut une ligne droite, bien alignée,dans le bon SENS !

                (henri vincenot l’explique très bien dans un livre sur les cathédrales)


              • Rocla (---.---.164.42) 1er octobre 2006 09:55

                La vérité est les Carambar ,exemple ,connaîssez-vous celle de la chaise ? Elle est pliante . C ’est ça la vraie vérite .Les chaises pliantes , la seule vérité dont on ne peut démontrer le contraire . A part un ou deux .

                Rocla


                • parkway (---.---.18.161) 2 octobre 2006 14:31

                  rocla, encore une vérité politique :

                  après les elections, la situation va changer,

                  donc nous changerons de politique.

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