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Accueil du site > Tribune Libre > Quand la République déserte la ville.

Quand la République déserte la ville.

Pulvérisée à force d’atonie puis d’impuissance, la République a cédé aux mains de l’adversité, des pans entiers de son territoire. Là-bas, l’ordre est relatif et les valeurs républicaines se diluent dans l’espace sans imprégner de leurs nuances, les murs, les parkings ou bien encore les cages d’escaliers -pour la caricature. On l’a banni, la République. On l’a banni des « banlieues » comme on bannissait autrefois des villes et de ses murs, les scélérats et les malpropres. La République est une malpropre ; une étrangère, un « idéal barbare » aux yeux de la cité et de ceux qui y vivent. Parce qu’elle a déçu, qu’elle a délaissé, stigmatisé, que parfois elle a tué, la République a quitté les banlieues. Non sans que parfois d’ailleurs, on l’y ait forcé.

On a souvent pointé du doigt et dés lors qu’il a fallu trouver une raison, une cause aux maux de ces territoires, les écueils d’un urbanisme fonctionnel et déshumanisé, oubliant trop souvent, et contrairement à ce qu’il souhaitait, l’individu à la faveur de ses prolongations matérielles.
 
Le confort. Au début, c’est vrai qu’ils n’en manquaient pas ces territoires ! Véritable révolution du modernisme, les « cités », les « grands ensembles », appelez ça comme vous voudrez -crise sémantique sur la question oblige-, ont d’abord constitué des exemples quasi-prototypiques du « mieux vivre » au quotidien, tant tôt pour les classes ouvrières et urbaines, les néo-urbains, tant tôt pour les « blessés du logement » et de la guerre. Le confort. C’était bien d’abord, et puis très rapidement, tout a foutu le camp. Après avoir répondu, dans l’urgence, à la pénurie de logements, les « grands ensembles » ont périclité : Plus assez « modernes », plus assez dans « l’air du temps » ? A l’époque, nous sommes dans les années 70, la société bouge, les mentalités avec. L’individu, profitant du tournant culturel et identitaire de 68, devient le socle d’une société qui se livre tout entière ou presque, au grand « je », celui du désir particulier et de l’envie toute personnelle. L’individu appelle désormais l’individuel. Le logement n’y échappera pas. Branché sur un modèle américain parcourant le monde occidental, annihilant les océans, le « français » rêve désormais d’espaces et de campagnes, de jardin et d’entre-soi (en pavillon). Loin, très loin des grands ensembles, le logement connaît alors la révolution de l’individu et déploie ses formes aux frontières des villes, aidé par l’Etat et sa quête à la solvabilité des ménages.
 
Pourtant l’individualité a un prix, même avec l’assistance de l’Etat. Partent alors ceux qui le peuvent et ne restent plus que les autres. Des immigrés pour la plupart. Les derniers arrivés, ceux de l’Afrique du Nord, du Maghreb, mais aussi de l’Afrique Noire.
 
Conçus comme des appendices de la ville moderne et de son système routier, les « grands ensembles » paraissent physiquement vivre sur eux-mêmes, tournant le dos au monde et à ses respirations. Sans le savoir, l’urbanisme moderne a ainsi, au travers de l’organisation et des formes qu’il n’a cessé de prôner, créé les conditions, le terreau urbain favorable non seulement à l’incubation de la misère, mais également à sa reproduction et à son ancrage territorial. Dans les années 80, alors que les attributions de logements sociaux continuent de réunir au sein des ces isolats urbains, les populations les plus pauvres et les moins bien intégrées de la société, l’Etat se lance dans une politique de déconcentration industrielle. A la fin d’un modèle urbain, pressé par l’essor de l’individu, succède bientôt la fin du travail pour des populations peu mobiles, parce que peu intégrées, et largement tributaires des soubresauts de l’économie locale. Isolés, largement dépendants dans leur fonctionnement de l’outil automobile, les « grands ensembles » ont ainsi figé l’espace dans un temps urbain, économique et social aujourd’hui largement révolu. Les murs sont là et posent les limites entre deux mondes qui, foncièrement, ne se ressemblent pas (cf. stratification spatiale, stratification sociale et ségrégation face aux jeux du marché foncier).
 
Au-delà de la forme et de la question urbaine, c’est bien la République qui a déserté la ville. Par ses actions (économiques notamment), passées et présentes elle a conduit les grands ensembles au ghetto urbain. Par ses actions passées, ou plutôt ses inactions, elle s’est également condamnée. Aujourd’hui, les quartiers dits « difficiles », les ZUS (symptomatiques d’un mal français) regroupent près de 4 millions de personnes, soit 7% de la population du pays !
 
Marginalisées, ostracisées, les « banlieues » et ceux qui y vivent, des jeunes surtout -qui tiennent leur quartier et leurs parents d’une main de fer- renvoient à la République et au monde le regard qu’on leur porte. Un regard sublimé en retour, par la douleur, la violence et le mépris de tout. Elle a déserté les esprits, la République. Pire, elle a fini par revêtir en leur sein, le symbole d’un refus, celui d’intégration et d’accomplissement individuel, par le travail notamment, par la reconnaissance aussi.
 
Dans sa théorie du bouc émissaire, René Girard a montré comment un groupe d’individus débute son processus de socialisation par l’individualisation et la construction d’une « figure repoussoir » qu’il charge en substance de tous les maux, in fine de toutes les causes à ses maux. Dans le cas des « banlieues », le bouc émissaire paraît tout trouvé : Il sera la République et tout ce qui pourra se revendiquer, de près ou de loin de cette dernière. Laisser prospérer des communautés fermées (comme tend à le faire l’Etat), livrées à elles-mêmes, et se reconnaissant en tant que groupe au travers de ce qu’elles combattent, et de ce qui, légitimement, peut être vu comme « un mal », c’est prendre le risque de voir se multiplier les crises et les conflits semblables aux évènements tragiques d’octobre à novembre 2005.
 
La République a déserté la « banlieue » et les âmes de ceux qui y vivent. Elle l’a abandonné, alors on l’abandonne à son tour. Là bas, elle paraît impuissante au fond -sur les questions de société ou bien même d’éducation-, et trop spectaculaire en surface. La République et ce qu’on en voit, c’est d’abord la police : distante, « barbare », plus répressive qu’avant. La question des « banlieues », ce problème, on le traite d’abord par la mécanique de l’autorité légitime qu’on met en scène : La bonne République contre les méchants et leurs trafics. Ca y est l’amalgame est déjà fait. Toutes ces gesticulations pallient finalement à l’absence et à l’incapacité notoire des responsables politiques de prendre part au débat. Il faut bien dire que contrairement à un conflit social qui pourrait être surmonté par la médiation syndicale, la question des « banlieues » ne se résoudra que par des réformes profondes et certainement coûteuses.
 
Dans Le Monde Diplomatique de novembre 2005, Dominique Vidal souligne à la suite de la crise des banlieues, la quasi-absence d’espaces politico-associatifs organisés au sein de ces quartiers conduisant les jeunes à recourir aux formes d’expression les plus extrêmes. Sans fusibles républicains, la violence alors presque légitime, ne semble plus avoir de limites.
 
Pour ne plus déserter, la République doit semble-t-il réinvestir son image, aidée des médias mais aussi réinvestir les prolongations au travers desquelles elle intervient au sein des « banlieues » et imprégner de son essence les associations locales encore présentes et leurs réseaux. Le problème n’a jamais été l’immigration et les « banlieues », mais bien plutôt la manière dont la République, en désertant peu à peu la question, a fini par la traiter.
 

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6 réactions à cet article    


  • Firedog Firedog 27 avril 2010 11:37

    Très bon article, qui je pense décrit bien la réalité de la situation


    • J. Thonnelier J. Thonnelier 27 avril 2010 19:09

      Merci ;)

      Mais cela reste une réalité parmi des centaines d’autres. Et je ne crois pas que cela soit possible de poser « la réalité » d’une situation complexe en quelques lignes.

      COrdialement.


    • Ronald Thatcher rienafoutiste 27 avril 2010 13:04

      « Sans fusibles républicains, la violence alors presque légitime, ne semble plus avoir de limites. »
      Qu’est-ce que vous voulez dire par la ? c’est parce que la republique n’est pas assez presente en banlieue que la violence presque legitime et sans limites existe ? vous parlez bien des flics la non ? fusibles, fusibles... c’est n’importe quoi cette phrase !
      Je ne vois pas ce que la republique irai foutre en banlieue, parce que des banlieues il y en a partout, pas qu’a paris. C’est aux villes, aux departements d’etre presents dans les banlieues, avec des programmes de modernisations, de developpement culturel, d’infrastructures en tout genre. La republique n’est presente que pour signer une partie du cheque. C’est incroyable ca, pauvres petits banlieusards, victimes des tous les maux du monde et que la republique ne vient pas aider. Arretons de trouver des explications au desordre qui regne en banlieue en partant du principe que les locaux sont defavorises. Z’ont qu’a venir dans certains bleds de provinces, la est la vrai desertion de la republique et de ses services. La est la misere et l’isolement, mais la violence n’y est jamais apparue. Entre nous, cette article est sirupeux de complaisance dans cette conjoncture social a tendance explosive. Un laboratoire pour sociologues a ciel ouvert.


      • J. Thonnelier J. Thonnelier 27 avril 2010 18:51

        Bonjour,

        Ici j’entends bien évidemment la République au sens large du terme, et bien évidemment, toutes interventions publiques sur cet espace de ville (qu’il se trouve en couronne parisienne ou bien ailleurs) peuvent être vues comme des interventions de la République.

        Et, oui, je crois bien que c’est parce que la République n’est pas assez présente au sein de ces espaces que le problème se fait. La République ici non seulement au sens, de la manière dont elle devrait être percue (sens noble du terme, la république légitime et qui vous donne vos chances) mais également au sens, comme je le dis, de ses prolongations (culturelles, éducatives notamment)

        Cordialement ;)


      • Lisa SION 2 Lisa SION 2 27 avril 2010 17:21

        Bonjour et bon article,

        vous dites ; «  la question des « banlieues » ne se résoudra que par des réformes profondes et certainement coûteuses. » je me permet de donner mon avis : la question des banlieues doit certesd, passer par un électrochoc de type puissant tel, par exemple la dépénalisation des drogues douces voire même la légalisation à terme du cannabis avec évidemment, le droit de cultiver au balcon. De cette manière le flux généré par les trafics devrait chuter nettement autour les matières les plus dangereuses. Cette réforme n’est même pas coûteuse puisqu’elle peut entrainer des rentrées dues à de nouvelles taxes induites. Rappelez vous, votre premier pétard, il vous a été offert gracieusement par un dealer en quête de futur client. Il vous a enfumé ensuite en vous faisant croire qu’en c’était de la « skunk » ou du « double zéro » ou autre excellente matière venue de très loin, au point qu’il vous est impensable de croire que vous pouviez vous prendre votre pied lors de votre récréation de fin de semaine avec zéro francs...et pourtant c’est bien vrai.

        Si tous les banlieusards le savaient et en avaient ce droit universel, rien de ce violent bordel de trafic sur le territoire existerait.

        amicalmant. L.S.


        • J. Thonnelier J. Thonnelier 27 avril 2010 20:12

          Bonjour,


          Si mon regard d’urbaniste m’amène à considérer cet article comme un bon résumé des cours que l’on peut avoir, notamment ;), mon regard de sociologue me pose d’autres questions.

          Si, sur le fond, je suis d’accord avec une partie de ce qui est écrit ici, je regrette cependant que cela reste au stade d’une prise de position quasiment philosophique, sans ancrage dans la réalité, comme c’est souvent le cas. Comment analyser un tel phénomène depuis l’extérieur ? Sont-ce de simples suppositions ? Une écriture si définitive ne laisse pas de place à la discussion, et c’est peut-être ce qui est dommage.

          Comment situer cet article ? Mea Culpa d’un urbaniste sur sa profession ? Profession de foi d’un politique ? Essai philosophique dithyrambique ? Etude sociologique ? Un peu de tout ? Un positionnement plus franc permettrait d’appréhender cet article avec la sérénité qui s’impose.

          Enfin, sur le principe, discuter entre lecteur « érudits » d’un tel site d’une difficulté aussi évidente sans inclure à un quelconque degré les populations en questions me pose toujours un certain problème. Mais c’est un point de vue personnel.

          Mais je ne cherche pas à accabler ici, juste à préciser les choses de mon point de vue (puisque c’est le but des commentaires :)

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