Quand le Baccalauréat est donné par le Public, le Privé peut le vendre !
Acadomia, une officine de soutien scolaire, ne manque pas d’air. Même le ministre de l’Éducation nationale a été choqué par sa campagne publicitaire. C’est dire ! Son affiche est pourtant des plus sobres. Rien à voir, cette fois, avec une précédente campagne où l’on voyait une gamine boudeuse tenir un drapeau tricolore avec pour slogan explicatif ce beau solécisme : « Elle a pris le pouvoir sur le français » (1).
Un paradoxe tonitruant
Le réflexe inné d’attirance n’est donc stimulé que par le paradoxe tonitruant contenu dans cette promesse insolite. Il n’en faut pas plus, c’est vrai, pour capter l’attention au point même de susciter la stupéfaction. C’est la première fois, en effet, que l’examen du Baccalauréat est quasiment mis en vente et fait l’objet d’une offre commerciale à la façon des produits proposés en supermarchés : « Satisfait ou remboursé ! »
Cette assimilation n’est elle pas un amalgame ? Le Bac n’est tout de même pas un paquet de lessive ni un appareil ménager. Le nombre de produits défectueux peut être statistiquement évalué pour oser un pareil slogan sans courir le risque de perdre de l’argent ; et ils sont échangés à l’occasion. Mais le Bac, qui peut assurer qu’un élève l’aura à coup sûr ? Acadomia aurait-elle le sésame que d’autres n’auraient pas, même l’Éducation nationale ? On suppose pourtant qu’elle ne s’engage pas à la légère au risque de se mettre financièrement en péril par le remboursement promis.
Le leurre de la restriction mentale
Comme toujours, quand l’offre est trop alléchante, un astérisque renvoie à une note de bas de page en minuscules destinée à passé inaperçue dans un premier temps, du genre « Voir conditions en magasin et sous réserve d’éligibilité (sic) ». Acadomia use de cette rouerie : « Voir conditions et détails du programme à l’intérieur ». Ce faisant, on est en présence de deux leurres.
L’un est la restriction mentale si prisée des Jésuites, que Blaise Pascal a combattue dans ses « Provinciales » au 17ème siècle (2). Elle permet d’affirmer quelque chose sans s’exposer au péché de mensonge par une mise hors-contexte délibérée mais ignorée de son interlocuteur. Ainsi peut-on prétendre qu’on n’a pas volé un objet, même si on l’a effectivement volé, à condition d’ajouter « in petto » qu’on ne l’a pas volé à 11 heures puisque c’était à 15 heures ! Acadomia peut donc promettre la lune tout en se protégeant contre l’accusation de publicité mensongère par des conditions restrictives masquées que le badaud est invité à découvrir.
Le leurre du pied dans la porte
C’est le deuxième leurre, le leurre du pied dans la porte qui consiste à demander d’abord peu pour obtenir ensuite davantage de quelqu’un. Acadomia se garde bien, en effet, d’afficher les conditions restrictives de son offre mirobolante ; elle invite le badaud à pousser la porte d’ une de ses succursales où l’on se fera un plaisir de le mettre au parfum. Mais le plus dur sera fait : une fois à l’intérieur, le badaud pourra être pris en charge et travaillé au corps.
L’Express.fr du 16 septembre 2009 s’est renseigné sur ces conditions. Elles seraient suffisamment « vagues » pour pouvoir être opposées facilement et éviter le remboursement : le « manque d’assiduité de l’élève, (le) non-respect du programme fixé, (l’) absence lors des épreuves du bac »...
Un Bac qui peut être vendu puisqu’il est donné
Surtout, on suppose qu’Acadomia a fait ses statistiques qui l’autorisent à s’avancer sans trop de risque. Il n’est pas nécessaire d’imaginer de sordides hypothèses comme celui de trafic clandestin de diplômes dont on a parlé du côté de Toulon. Il n’est que de voir les résultats du Bac à la session 2009 : 88,8 % pour le baccalauréat général, 79,7 % pour le baccalauréat technologique, 87,1 % pour le baccalauréat professionnel. « Le niveau ne cesse pas de monter » ! Encore un petit effort et les 99,90 % seront bientôt atteints ! Mais on sait comment : lors des délibérations de jury, des taux de succès sont préalablement établis et les examinateurs sont priés de donner les points nécessaires aux candidats en dessous de la moyenne, en faisant jouer le coefficient de leur discipline, pour que le quota prescrit de reçus soit obtenu.
Le Ministre avait raison d’être scandalisé par la publicité d’Acadomia. Il serait plus crédible s’il l’était aussi par les méthodes de son institution qui tendent à brader le Baccalauréat et à en faire un chiffon de papier que presque tout le monde aujourd’hui peut obtenir. Acadomia ne prend donc pas beaucoup de risques à le garantir et à promettre de rembourser le client en cas d’échec. Quand le Service Public donne le Bac, le Privé peut se permettre de le vendre. Paul Villach
(1) Paul VILLACH, « Une officine de soutien scolaire, Acadomia, affiche son ignorance sans le savoir », AGORAVOX, lundi 7 janvier 2008.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/une-officine-de-soutien-scolaire-33882
(2) Blaise Pascal, « Provinciales », 9ème lettre : « On peut jurer qu’on n’a pas fait une chose, quoiqu’on l’ait faite, en entendant en soi-même qu’on ne l’a pas faite un certain jour, ou avant qu’on ne fût né, ou en sous-entendant quelque autre circonstance pareille, sans que les paroles dont on se sert aient aucun sens qui puisse le faire connaître… »
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