Quand le sang des uns fait la gloire - totalement usurpée - des autres
Tandis que Charles de Gaulle - sous-secrétaire d’État à la Guerre - était occupé avec Paul Reynaud - président du Conseil, ministre des Affaires étrangères et ministre de la Guerre - à donner le généralissimat des armées françaises à l’un des principaux protagonistes de la "catastrophe" survenue à Sedan quelques jours plus tôt (général Huntziger), le préfet de Chartres - Jean Moulin - se préparait à défendre, jusqu’à la mort si nécessaire, l’honneur des troupes noires de l’armée française.

Loin des combinaisons d’états-majors parmi lesquelles nous n’allons pas tarder à retrouver un colonel Groussard comme interface avec l’envahisseur nazi - ce qui ne faisait que compléter le joli travail de Reynaud, De Gaulle et quelques autres, en attendant de voir débouler les compères Pétain et Laval -, Jean Moulin, préfet dit "rouge", parce qu’ancien chef de cabinet du ministre de l’Air du temps du Front populaire Pierre Cot, touchait le fond du malheur humain et de ce qui fonde le véritable héroïsme.
Arrivés à Chartres, les Allemands exigent de lui qu’il signe un document attestant les crimes qu’auraient perpétré, dans son département, les troupes sénégalaises régulièrement intégrées aux armées françaises. Il s’y refuse. On le frappe, et on l’emprisonne.
Jean Moulin décrira lui-même plus tard ce qui s’était alors produit. Je ne retiendrai ici que quelques courtes phases d’un événement développé, dans ses tenants et aboutissants, dès les premières pages de "Fallait-il laisser mourir Jean Moulin ?" Nous sommes le 18 juin 1940 ; il est une heure du matin :
« Je sais qu’aujourd’hui je suis allé jusqu’à la limite de la résistance. Je sais aussi que demain, si cela recommence, je finirai par signer. » (Fallait-il laisser mourir Jean Moulin ? Michel J. Cuny - Françoise Petitdemange, Éditions Paroles Vives 1994, page 10)
La conclusion s’impose alors d’elle-même : Jean Moulin se condamne à mort. À défaut de couteau, il se tranchera la gorge avec l’un de ces débris de verre jonchant le sol de la salle à manger qui lui sert de cellule :
« Cinq heures sonnent à une horloge. J’ai perdu beaucoup de sang. »
Les Allemands arrivent :
« Ils ne se sont aperçus de rien, au premier abord. Puis, tout à coup, je les vois s’agiter, affolés de la vision qu’ils ont eue de cet homme, aux passementeries brillantes, qui les regarde, debout, couvert de sang, un trou béant à la gorge. » (page 11)
Et c’est durant ce même 18 juin 1940 qu’en un tour de main, l’un des chaînons principaux dans la défaite de 1940, Charles de Gaulle, allait se glisser frauduleusement dans le glorieux rôle du résistant de la première heure.
Pendant ce temps, qu’en a-t-il été du colonel Groussard, l’ancien camarade de bureau de Charles de Gaulle au ministère de la Guerre ? Il faut d’abord remarquer que Jean Moulin le connaissait, et qu’il le connaissait même très bien. De sorte que lorsque l’ancien préfet de Chartres viendra pour la première fois à Londres (octobre-décembre 1941), il indiquera ceci, dans le rapport qu’il fera remettre à De Gaulle :
« Pendant que se trouvaient sans liaison les mouvements anglophiles français, le maréchal Pétain pouvait envoyer à Londres, avec toutes les possibilités dont peut disposer un Chef d’État, un émissaire secret, le colonel Groussard. » (Fallait-il laisser mourir…, page 380)
Mais que se sera-t-il donc passé entre De Gaulle et Groussard à cette occasion ?... S’il s’est passé quelque chose… Eh bien, Jean Moulin montre tout de suite à De Gaulle - c’est-à-dire dès son rapport, et alors qu’il n’a encore jamais rencontré l’homme du 18 juin - qu’il est lui-même très bien informé des liens étranges qui existent entre un envoyé de Vichy… et le De Gaulle de Londres :
« Il fut décidé qu’on ferait remettre par Fourcaud à Groussard, dès son retour en France, une somme globale de deux millions destinée à entretenir et développer ses réseaux pendant deux mois. » (page 380)
Et quels réseaux ? Jean Moulin, dans son rapport à De Gaulle de l’automne 1941, s’avance au-delà du possible, et nous laisse pratiquement sans voix. Parce que nous comprenons aussitôt qu’il s’est alors offert comme un homme qu’il ne faudrait pas hésiter à abattre le moment venu :
« Enfin, il faut dire un mot de l’ex-association, dite des "Cagoulards", qui a joué un rôle si important dans l’avènement de Pétain. Ici, dès le début, deux tendances ou plutôt, deux partis nettement opposés : l’un pro-nazi avec Deloncle, l’autre qui crut pouvoir jouer la carte anglaise à travers Pétain, et qui eut son apogée lorsque le colonel Groussard, alors chef des éphémères G.P. [groupes de protection] procéda à l’arrestation de Laval. » (page 382)
Et De Gaulle, qu’est-ce donc dans tout cela ? La carte anglaise de la Cagoule ?...
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