Quand les écologistes s’en prennent aux beaux arts
Y a-t-il un rapport entre l'écologie et les beaux arts ? Et peut-on les opposer ? A leur manière, de jeunes activistes anglais nous ont fourni une réponse.
L’œuvre d’art est-elle toujours un objet d’admiration ? Pour la plupart de ceux qui fréquentent les musées, la réponse ne fait pas de doute. Oui, un tableau de maître, quel que soit son style ou son école, continue d’incarner une certaine idée de la beauté. C’est elle qu’on respecte à travers lui, mais c’est aussi la solennité du musée dans lequel il est exposé, une capacité à défier les modes et à se couler dans la longue durée. Cela ne le met pas toujours à l’abri des dégradations volontaires, tant certaines oeuvres (comme La Joconde) focalisent les passions. Depuis quelques décennies, nombreux ont été les attentats contre des tableaux, des photographies et des installations. Leurs motifs sont souvent d’ordre religieux, expression cinglante d’une indignation, ou simplement subjectifs, par un retournement du geste désacralisant propre à l’art contemporain contre l’oeuvre même, qui met ainsi le regardeur sur un pied d’égalité avec l’artiste. Mais, à ma connaissance, on n’avait pas encore opposé l’urgence écologique à l’art.
C’est chose faite depuis quelques semaines en Angleterre, avec l’irruption, fin juin, d’activistes écologiques dans cinq institutions britanniques (la National Gallery et la Royal Academy of Arts, entre autres). Sous le prétexte de dénoncer les ravages de l’industrie pétrolière sur la planète, ils ont taggé et enduit de colle des chefs-d’œuvres comme Pêchers en fleurs de Vincent Van Gogh, Thomson’ Aeolian Harp de William Turner, La charrette de foin, de John Constable ou une copie de La Cène de Léonard de Vinci. La sincérité de ces jeunes gens n’est pas en cause, mais leur manque de nuances et l’extrémisme de leurs méthodes le sont en revanche et doivent être questionnés.
Où est, en effet, le rapport entre l’objet de leur dénonciation – le pétrole – et les tableaux qu’ils ont pris pour cibles ? Veulent-ils ainsi nous dire que la campagne peinte par Van Gogh et Constable est menacée par cette industrie ? Mais celle qu’ils ont représentée n’existe plus depuis longtemps et ce sont justement leurs œuvres qui la sauvent et l’inscrivent dans la mémoire collective. Cherchent-ils à brocarder l’hypocrisie des grandes compagnies pétrolières qui, tout en ravageant la nature, investissent dans le mécénat artistique ? Cette double postulation peut, certes, offenser des âmes pures. Mais, à un niveau plus modeste, on peut aussi lutter contre les nuisances du capitalisme et apprécier, sans déchirement moral, une nature idéalisée que l’argent permet aussi de sauvegarder. En commettant ces actes de vandalisme médiatisé, ces jeunes militants ont surtout montré leur inculture profonde et leur mépris pour la civilisation.
Car ce sont moins des écarts que des symptômes d’une écologie radicale qui ne cesse de progresser, elle aussi. Elle ne dénonce pas seulement le caractère désastreux des activités humaines sur l’ensemble du vivant mais elle conteste aussi la prépondérance de l’humanité sur le reste de la nature. Avec elle c’est notre civilisation qui est toute entière mise en accusation et, parmi ses productions, il y a aussi les oeuvres d’art. Pour ce courant écologiste, tout ce qui vient de la nature a un caractère sacré tandis que, dans le même mouvement, il dévalorise les plus hautes productions de l’esprit humain. Nietzsche ne se trompait pas lorsqu’il prophétisait le nihilisme pour les deux siècles à venir. On voit ainsi la cohérence de ces commandos anti-art et le travail de sape qu’ils sont déterminés à faire pour accélérer l’écroulement de notre vieux monde. Sans comprendre, hélas, qu’ils en sont aussi les parfaits rejetons.
Jacques Lucchesi
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