Quand les lumières s’éteignent…
En cette fin d’été, après la dernière tuerie de Barcelone, après la énième cérémonie compassionnelle et après une nouvelle couche de mesures sécuritaires, plus rien. Le réseau responsable des attentats a été démantelé, chacun peut retourner à ses occupations habituelles. Pointer du doigt la responsabilité idéologique de l’islam salafiste dans les attentats dans le monde et dénoncer l’emprise de ce même islam radical dans les quartiers laissés en déshérence me fera passer auprès de mes amis de la gauche dite radicale pour un islamophobe que je ne suis pas. Pourtant il faut bien vaincre cette torpeur qui nous paralyse et affronter à nouveau ce monstre qu’est l’absolutisme religieux qui enferme l’esprit humain.
Après les guerres civiles de religion particulièrement meurtrières au XVI ème siècle certains prétendaient avoir vaincu définitivement ce fanatisme religieux, puis plus tard la terreur révolutionnaire, avec la philosophie libérale qui est censée défaire les liens qui assujettissent l’individu à des principes moraux et philosophiques. Principes qui ne feraient que limiter sa propre liberté d’agir et d’entreprendre et ainsi entraver la production de richesse.
Pourtant en ce début du XXI ème siècle, après plus de 250 ans d’expansion de ce monde capitaliste moderne, administré par un État philosophiquement neutre, qui se garde de penser et s’abstient de dire où est le bien ou le mal, force est de constater que l’emprise du religieux sur le politique et l’organisation de la société est à nouveau de plus en plus forte. Un islam guerrier, conquérant, alimenté idéologiquement par le courant salafiste se manifeste depuis quelques décennies, par des attentats meurtriers perpétrés indistinctement sur tous les continents. Cet islam totalitaire s’étend aussi à bas bruit sur l’ensemble des territoires, modifiant profondément le comportement et les relations entre les individus dans les quartiers. Si la lutte par tous les moyens contre cet islam qui prône la guerre sainte est une urgence absolue, il faut s’interroger sur cette montée du religieux dans l’espace public qui n’est pas le seul fait de l’islam. Les religions évangélistes dogmatiques ne cessent aussi de se développer dans les mêmes quartiers, comme en Afrique et en Amérique Latine. Les communautés juives Loubavitch sont de plus en plus visibles dans l’espace public.
Les États où le politique et la religion sont dans un concubinage malsain sont loin de disparaître. L’ Iran, les pays du golfe avec l’Islam, les États unis, le Brésil avec les évangélistes, où 80 de leurs représentants siègent à l’Assemblée Nationale ( lien ), Israël, autoproclamé État de culture juive, voit s’accroitre l’influence des partis religieux et depuis peu la Turquie où la laïcité ne cesse d’être piétinée par Erdogan sont les exemples les plus en vue. En France le courant traditionaliste de l’église catholique s’est retrouvé autour du mouvement sens commun pour appuyer la candidature Fillon aux dernières élections, sept députés de chez Les Républicains se revendiquent de ce mouvement. Si toutes ces religions monothéistes sont en guerre les unes contre les autres, toutes se retrouvent autour des mêmes combats contre l’émancipation de la femme, contre l’avortement, contre la mixité dans les lieux publics, contre la reconnaissance de l’homosexualité tout en louant la famille traditionnelle et le patriarcat. Fustigeant la dissolution des mœurs dans les sociétés occidentales, toutes sont peu ou prou des ardents défenseurs de l’économie libérale. ( lien)
Qu’est-ce qui explique cette renaissance de ces nouveaux tyrans de la pensée tant en Occident comme en Orient ?
UN MONDE ATOMISÉ OÙ TOUT N’EST PLUS QUE MARCHANDISE.
« une nation, est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Ernest Renan ( lien )
Dans nos sociétés libérales, L’État, qui ne pense plus, sans idées ni idéal, est réduit à « l’administration des choses » (Saint Simon). Il laisse l’individu libre de s’agiter en tout sens dans sa condition de travailleur et de consommateur, avec pour seule limite dans son action celle de ne pas nuire à autrui. « L’autorité du Droit libéral se bornant à arbitrer le mouvement brownien des libertés concurrentes » (JC Michéa - L’empire du moindre mal ). Liberté toute relative qui se réduit bien souvent en fait à sa capacité limitée à consommer.
Dans un monde où ce que l’on partage en commun ( langue, culture, histoire, valeurs universelles, services et espaces publics) se réduit comme peau de chagrin et où le marché envahit tous les domaines de la vie, l’individu libre, mais lesté par le solde de son compte en banque ne s’y retrouve plus. Laissé livré à lui-même, sans repères, il erre dans une société où l’insécurité culturelle ne fait que croître. L’école n’est plus capable de transmettre un socle de connaissances suffisamment solide pour donner à chacun les capacités de communiquer et d’échanger, de confronter les idées avec une égalité de moyens, de donner les outils nécessaires pour appréhender son environnement, assimiler et s’approprier son héritage culturel, surmonter les peurs et pouvoir démonter les préjugés et les fausses vérités que les religions véhiculent. Au contraire les savoirs laissent place aux opinions. Sur de multiples sujets comme par exemple l’égalité entre les hommes et les femmes, le darwinisme, la Shoah… , les professeurs sont de plus en plus contestés dans leur enseignement. Les vérités historiques et scientifiques sont remises en cause et personne ne s’émeut qu’un vice président américain soit un fervent défenseur des thèses créationnistes. « Est-ce que je crois à l’évolution ? J’embrasse l’idée selon laquelle Dieu a créé les cieux et la Terre, les mers et tout ce qu’il y a dedans. La manière dont il l’a fait, je ne peux rien en dire, mais je crois en cette vérité fondamentale ». (Mike Pence ) Ainsi le vice président de cette nation impériale considère que la théorie de l’évolution n’est qu’une théorie parmi d’autres et affirme qu’il devrait par conséquent être possible d’enseigner en parallèle à celle de l’évolution d’autres théories dans les classes comme les thèses créationnistes. ( lien ) Déjà en Turquie l’enseignement de l’évolution est abolie ( lien) . Aujourd’hui c’est en Pologne et en Hongrie que cet enseignement est remis en cause.
DE NOTRE IMPUISSANCE DEVANT LA MONTÉE DU RELIGIEUX LE PLUS DOGMATIQUE.
En quelques décennies on est passé d’une pratique religieuse apaisée et intégrée dans un environnement culturel local, pratique relativement bien encadrée par la loi, avec dans certains pays la séparation des églises et de l’État , à une pratique conquérante et à un prosélytisme qui ne cesse d’envahir l’espace public. Affirmer sa foi, par une tenue vestimentaire ostentatoire, est devenue la règle. On prône haut et fort ses croyances, on impose ses pratiques et on finit par remettre en cause certaines conquêtes sociales et induire une régression des droits de la femme, dans la cité comme dans l’espace privé. Ces affirmations dogmatiques suintent et perturbent des institutions publiques laïques comme l’école ou des services publics comme l’hôpital. Les exemples abondent ( Lire le témoignage d’un principal de collège ).
Dans ce monde ou plus rien ne fait lien, où l’individu est réduit à un comportement de plus en plus grégaire dans une compétition sans fin, certains, pour exister, se raccroche à des bouées communautaires et identitaires. Déboussolé, il se jette dans les bras de leaders politiques autoritaires et démagogues. Au lieu de rechercher ce qui nous ressemble, ce qui nous rassemble, ce qu’on a de commun, ce que l’on pourrait partager on en est à affirmer ce qui nous distingue, ce qui nous sépare. On brandit bien haut le drapeau de son identité sexuelle, de sa couleur de peau, de sa foi, oubliant du même coup que nous faisons partie d’une même communauté de destin et que nous ne pouvons pas être indifférents aux autres. Aujourd’hui nous voyons monter cette vague de radicalisation des esprits par le dogme religieux mais nous sommes totalement désarmés pour lutter pied à pied à chaque fois que dans notre quotidien, on doit faire face à un comportement dogmatique. Ce sont nos propres principes libéraux qui nous retiennent : « Nous n’ exigeons rien de personne et nous ne reconnaissons à personne le droit d’exiger rien de nous. » ( 1 )
Avec la perte des liens qui unissent toute communauté, les gens s’impliquent de moins en moins dans l’espace public. Une prudente réserve devient la règle. Aujourd’hui il est devenu impossible à l’épicier du coin de gronder un enfant qui traverse imprudemment la rue , sans être accuser de s’occuper de ce qui ne le regarde pas, quitte à priver ce gamin d’un geste éducatif. A fortiori il est aussi devenu impensable de tenter de lutter contre l’emprise religieuse auprès d’une personne de notre entourage, du quartier, sans s’attirer les foudres de la dite communauté religieuse ou pire des « bien-pensants ».
Les attentats organisés et perpétrés par des terroristes qui sont sous la coupe de cette idéologie islamiste radicale se succèdent et les institutions comme les citoyens sont totalement désarmés pour combattre se fléau. Après l’effet de sidération vient la compassion avec les victimes puis mis à part quelques mesures sécuritaires, rien ne change. Au lieu d’affronter ces prédicateurs de haine, on fait l’autruche au nom d’une paix civile totalement fictive à préserver entre toutes les communautés.
Ainsi « De nos jours la démocratie est plus sérieusement menacée par l’indifférence que par l’intolérance et la superstition. » ( 2 )
Alors que faire devant ce désastre communautariste qui laisse place à tous les excès et qui ne cessent de fragmenter nos sociétés en divers groupes identitaires, hostiles les uns envers les autres ? Jusqu’à qu’en continueront nous à pleurer les morts dans des cérémonies compassionnelles après chaque tragédie, impuissants que nous sommes à penser une réaction à la hauteur des enjeux ?
Pour en finir avec ces chimères et lutter frontalement contre cet islam radical et l’obscurantisme religieux où qu’il sévisse, il est nécessaire de reconstruire notre commun, de décider des principaux moraux et philosophiques qui le régissent. Principes universels liés à la condition humaine, que nous sommes prêts à respecter et à défendre sans aucune concession.
Face au désert de la pensée, fruit de décennies d’un libéralisme mercantile, Il est urgent d’ équiper les citoyens des outils intellectuels nécessaires pour affronter ce fanatisme religieux qui ne cesse de s’étendre aux quatre coins du monde. L’école comme l’ensemble des institutions doivent se mobiliser pour assurer cette mission.
Mais le problème est que pour rassembler les citoyens dans une nation autour de grands principes humanistes il est nécessaire non seulement d’assurer pour chacun l’égalité des droits comme le prétend l’idéologie libérale mais aussi de lutter en permanence contre les inégalités matérielles que ne cesse d’accroitre l’économie libérale. La première des violence n’était-elle pas l’injustice ? Divisions sociales qui marginalisent et excluent une partie de la population de l’espace politique en les livrant à l’emprise de ces marchands d’un bonheur dans l’au-delà.
L’État et les institutions publiques ne peuvent plus rester neutres face à l’obscurantisme que voudrait imposer ce nouveau désordre religieux. Pour mettre hors d’état de nuire ces nouveaux monstres de la pensée, aucune concession ni faiblesse ne peut être tolérée. Il faut en finir avec l’illusoire tolérance libérale , chère à M. Friedman qui célèbre dans le Marché le mécanisme magique permettant d’unir quotidiennement » des millions d’individus, sans qu’ils aient besoin de s’aimer, ni même de se parler » . ( 3 ) Prôner la coexistence avec des disciples d’une guerre sainte, des « fous de Dieu » ou des prêcheurs de contre-vérités qui prône l’assujettissement d’une partie de l’humanité est totalement irresponsable.
Enfin de cette démocratie fictive dite « représentative « qui ne repose que sur deux valeurs : la liberté et la croissance (4) et qui incite les citoyens à la passivité entre deux élections, il faut aller vers une démocratie réellement participative dans toutes les instances, véritable « gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple« , (5) qui incite à l’implication de chacun d’entre nous dans la bonne marche des institutions et dans tout ce qui constitue la vie publique pour construire un « vivre ensemble » capable de porter à la fois un idéal et des valeurs qui ainsi pourrait mettre un terme avec cette « privatisation » et ce dévoiement des valeurs humaines universelles par les religions.
L’espoir ne peut venir que d’une politique du bien commun inclusive, il en va de la survie de toute société humaine.
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( 1) Christopher Lasch – La Révolte des élites et la trahison de la démocratie – Édition Champs Essais – Page 96.
( 2 ) ibid – Page 98
( 3 ) J.C. Michéa – L’empire du moindre mal – Édition Champs Essais.
(4) Ibid – Note A : Alain Gérard Slama dans le Figaro Magazine du 6/01/2007 » Les deux valeurs cardinales sur lesquelles repose la démocratie sont la liberté et la croissance »
(5) Ibid
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