Quand les sanctions internationales favorisent ce qu’elles prétendent combattre
La multiplication des sanctions économiques décidées par les Etats-Unis à l'encontre d'Etats ou de personnalités publiques étrangères poursuit un but avant tout politique. Bien souvent, ces sanctions arbitraires aggravent l'état des droits humains qu'elles sont supposées défendre, tout en privant leurs victimes de tout recours.
Après quatre années de présidence Trump, l'élection de Joe Biden est sans conteste une bonne nouvelle du point de vue de la stabilité géopolitique mondiale et, en particulier, en ce qui concerne l'influence américaine sur les relations internationales. Mais s'il est un domaine à propos duquel la victoire du candidat démocrate ne devrait pas infléchir le cours de la diplomatie étasunienne, c'est bien celui de l'extraterritorialité du droit américain : une doctrine redoutable, à la fois instrument et démonstration d’hégémonie des Etats-Unis, qui se manifeste de la plus éclatante des manières par un régime de sanctions unilatéralement décidées à l'encontre de tous ceux que la première puissance du monde considère comme ses « ennemis ».
Des sanctions qui violent les droits humains qu'elles prétendent défendre
Donald Trump et son administration ont fait un usage extensif de ces sanctions, qu'elles soient économiques ou diplomatiques, dirigées contre des Etats ou des particuliers. Tant et si bien qu'au-delà même de la question de leur légalité, ces mesures s'avèrent souvent attentatoires aux droits de l'homme qu'elles ont, pourtant, comme ambition de faire respecter. Des pays comme Cuba, la Syrie, l'Iran ou encore le Venezuela, frappés comme tous les autres par la pandémie de Covid-19, ont parce qu'ils font l'objet de sanctions américaines toutes les difficultés du monde à assurer à leurs populations un accès minimal aux médicaments et au matériel médical, mais aussi à l'essence, à l'électricité ou encore à l'eau et à la nourriture, aggravant encore les conditions d'existence de leurs habitants.
Une forme de « double peine » qui n'épargne pas les particuliers. Sans doute conscientes du caractère injuste et des répercussions humanitaires de sanctions pénalisant sans distinction de larges pans de populations, les autorités américaines ciblent de plus en plus certains individus, gelant leurs avoirs financiers, leur interdisant de voyager ou d'exercer certaines activités. Autant de restrictions manifestes à leurs libertés de mouvement ou d'expression – imposées, qui plus est, hors de tout cadre légal, violant ainsi le droit de ces personnes à bénéficier d'un procès équitable, celui d'assurer leur défense et s'asseyant allègrement sur leur présomption d'innocence. Plusieurs personnalités, au parcours parfois dénué du moindre soupçon, ont récemment fait les frais de la vindicte de l'Oncle Sam.
Les sanctions « ubuesques » contre la CPI
En septembre, les Etats-Unis ont ainsi imposé une série de sanctions inédites à... la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda. Celle-ci avait eu l'impudence d'autoriser, en mars dernier, l'ouverture d'une enquête contre l'armée américaine, soupçonnée de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité lors de son intervention en Afghanistan. Inacceptable, pour Washington, qui par la voix de son secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, a déclaré que « nous ne tolérerons pas les tentatives illégitimes de la CPI de soumettre les Américains à sa juridiction » – les Etats-Unis ayant signé, mais jamais ratifié, le Statut de Rome portant création de la CPI. CPI qui n'a pas manqué de dénoncer de « graves attaques contre la Cour, le système de justice pénale internationale (et) l'Etat de droit en général », à l'unisson de plusieurs ONG, comme Human Rights Watch, estimant que ces sanctions « constituent une perversion ahurissante », ou Amnesty International, qui a condamné une décision « ubuesque ».
Quand des ONG s'acharnent sur une victime des sanctions américaines
Les Etats-Unis ont également émis des sanctions contre un homme d'affaires israélien, Dan Gertler, accusé, sans preuves tangibles, de corruption, bien que ce soit sans doute davantage sa proximité avec l'ancien président congolais Joseph Kabila qui ait motivé ces mesures. Gertler fait aujourd'hui l'objet d'une campagne de dénonciation orchestrée par deux ONG – Global Witness et la Plateforme de Protection des Lanceurs d'Alerte en Afrique (PPLAAF) – qui, dans un rapport publié cet été, accusent le businessman d'avoir mis en place un complexe système financier lui permettant de contourner les sanctions américaines à son encontre. Problème : ces allégations et informations sont, selon la défense du premier concerné, fausses ; et, plus grave encore, elles auraient été obtenues de manière « frauduleuse ».
« Les documents utilisés par (les deux ONG) ont été détournés et falsifiés », selon l'avocat français d’Afriland First Bank RDC, accusée d’avoir laissé transiter par les comptes de ses clients près d’une centaine de millions de dollars liée à Dan Gertler et à ses partenaires. Me Eric Moutet évoque également de « fortes pressions sur certains témoins », des personnes liées à Global Witness et PLLAAF ayant à l’en croire dicté de faux témoignages et proposé de l'argent à des agents de banque, en échange de documents confidentiels. L'avocat a porté plainte contre les deux organisations, pour vol, abus de confiance, chantage, corruption privée, violation du secret bancaire, dénonciation calomnieuse, faux et usage de faux, recel en bande organisée. Dans leur rapport, les deux ONG affirmaient pourtant ne pas être en mesure « de prouver de façon irréfutable que Gertler a bien établi ce réseau complexe pour échapper aux sanctions américaines depuis 2017 ». Leur acharnement n'en paraît que plus injustifié.
L'Europe dans les pas des Etats-Unis ?
Enfin, début novembre, les Etats-Unis ont déclenché une série de sanctions visant Gebran Bassil, un politicien libanais que l'administration américaine soupçonne, officiellement, de corruption et d'abus de pouvoir. Une décision dont le caractère éminemment politique n'a échappé à aucun observateur, Washington cherchant par là à affaiblir le Hezbollah et, indirectement, le régime iranien. Et « un indicateur que Trump peut être encore à l'origine de beaucoup de faits accomplis avant de rendre le tablier, estime dans L'Orient-Le Jour Joseph Bahout, de l'Institut Issam Farès. C'est en tout cas une mine qu'il laisse à Joe Biden ».
De son côté, l'Union européenne (UE) semble vouloir rattraper son « retard » sur les Etats-Unis et vient d'annoncer, par la voix de la présidente de la Commission, le renforcement de son régime mondial de sanctions, afin de lui conférer plus de « souplesse ». Objectif revendiqué : « défendre les droits de l'homme et les libertés fondamentales », selon Ursula von der Leyen. A moins qu'il ne s'agisse, comme outre-Atlantique, de renforcer la capacité de l'Europe à user d'une arme avant tout politique, unilatérale et arbitraire.
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