Quand Rachel sort avec Ali
En Israël, une jeune fille juive a le droit de sortir avec un garçon arabe, mais les autorités voient cette fréquentation d’un très mauvais œil.

Une municipalité israélienne a formé une équipe spéciale de conseillers et de psychologues dont la tâche sera d’identifier les jeunes femmes juives qui sortent avec des hommes arabes afin de les « sauver ». Cette initiative, lancée par la municipalité de Petah Tikva, une ville juive de 200.000 habitants située près de Tel Aviv, est la dernière d’une série d’actions menées par des organismes officiels, des rabbins, des organismes privés et des groupes d’habitants, le but étant d’empêcher les rencontres et les mariages interraciaux. D’autre part, les médias israéliens ont annoncé ce mois-ci que les résidents de Pisgat Zeev, une grande colonie juive au milieu des faubourgs palestiniens de Jérusalem-Est, ont formé une patrouille pour empêcher les hommes arabes de fréquenter les filles juives locales.
L’hostilité aux rapprochements qui se développent entre les différentes communautés ethniques est partagée par beaucoup de Juifs israéliens, qui considèrent un tel comportement comme une menace pour le judaïsme de l’Etat. Un sondage fait à ce sujet en 2007 a montré que plus de la moitié des Juifs israéliens considèrent le mariage mixte comme une « trahison nationale ».
Depuis la fondation de l’Etat en 1948, des analystes ont noté qu’une série de mesures légales et administratives ont été prises par Israël pour limiter les possibilités que des liens étroits se développent entre les citoyens juifs et arabes, ces derniers comportant un cinquième de la population.
L’isolement des communautés et la séparation des systèmes d’éducation font que les jeunes Arabes et les jeunes Juifs ont peu d’occasions de se familiariser les uns avec les autres. Même dans un petit nombre de « villes mélangées », les Arabes sont groupés le plus souvent dans des banlieues distinctes. En outre le mariage civil est interdit en Israël, ce qui signifie que dans le petit nombre de cas où des Juifs veulent se marier avec des Arabes, ils ne peuvent le faire qu’en quittant le pays pour accomplir les formalités de mariage à l’étranger. Le mariage est reconnu au retour du couple.
Le docteur Yuval Yonay, sociologue à l’université d’Haïfa, estime que le nombre de mariages interraciaux est trop faible pour pouvoir être étudié. « La séparation entre les Juifs et les Arabes est si bien enracinée dans la société israélienne qu’il serait étonnant de voir quiconque parvenir à échapper à cette règle, » a-t-il dit.
L’équipe de Petah Tikva s’est constituée en réponse directe à une information donnée par la presse. Deux filles juives âgées de 17 et 19 ans accompagnaient un groupe de jeunes hommes arabes lorsque, selon divers témoignages, ils ont battu à mort un homme juif, Leonard Karp, le mois dernier sur une plage de Tel Aviv. La fille la plus âgée était de Petah Tikva. La fréquentation de jeunes hommes arabes par des jeunes filles juives a relancé la crainte de voir s’éroder dans l’esprit de certains jeunes le tabou interdisant la fréquentation interraciale.
Traduisant l’opinion générale, Monsieur Hakak, porte-parole de la municipalité de Petah Tikva, a dit que les « filles russes », les jeunes femmes juives dont les parents sont arrivés en Israël au cours des dernières deux décennies après la chute de l’Union soviétique, étaient particulièrement vulnérables à l’attention des hommes arabes. De son côté, le docteur Yonay pense que les femmes russes sont moins fermées à l’idée d’avoir des rapports avec les hommes arabes, car, dit-il, « elles n’ont pas subi l’éducation religieuse et sioniste » à laquelle les Juifs israéliens sont davantage sujets.
Monsieur Hakak a dit que la municipalité a créé une ligne directe que les parents et les amis des femmes juives peuvent utiliser pour donner sur elles des informations. « Nous ne pouvons pas dire aux filles ce qu’elles doivent faire, mais nous pouvons envoyer chez elles un psychologue à leur maison pour leur donner des conseils, ainsi qu’à leurs parents, » a-t-il dit.
Motti Zaft, l’adjoint au maire, a aussi indiqué que la municipalité sanctionne les propriétaires de la ville qui subdivisent illégalement des appartements pour les louer bon marché à des célibataires arabes qui cherchent du travail dans la région de Tel Aviv. Il a estimé que plusieurs centaines d’Arabes ont emménagé de cette façon.
L’hostilité de Petah Tikva à l’égard des hommes arabes qui se mélangent aux femmes juives de la ville est partagée par d’autres communautés. À Pisgat Zeev, une colonie de 40.000 Juifs, on apprend qu’une patrouille d’environ 35 hommes, connue sous le nom de « feu pour le judaïsme », essaye d’arrêter la fréquentation interraciale. Pisgat Zeev a attiré, fait exceptionnel pour une colonie, une population minuscule mais croissante de familles arabes venant de Jérusalem-Est ainsi que de l’intérieur d’Israël. Étant donné que Pisgat Zeev est à l’intérieur des frontières municipales de Jérusalem, les Arabes qui ont le droit de résider en Israël peuvent y vivre tant que des colons juifs sont disposés à leur louer des appartements.
Un membre de la patrouille, qui s’est identifié au Jerusalem Post sous le nom de Moshe, a déclaré : « Notre but est d’être en contact avec ces filles pour essayer de leur expliquer les dangers qui les menacent. Au cours des 10 dernières années, 60 filles de Pisgat Zeev sont entrées dans des villages [Palestiniens en Cisjordanie]. Et pour la plupart d’entre elles, on n’en a plus entendu parler ». Il a nié avoir exercé des violences ou des menaces contre des hommes arabes.
L’année dernière, la municipalité de Kiryat Gat, une ville de 50.000 Juifs au sud d’Israël, a lancé un programme dans les écoles pour avertir les filles juives du danger de fréquenter des hommes bédouins de la ville. On a montré aux filles une vidéo intitulée « dormir avec l’ennemi », qui décrit les couples mixtes comme un « phénomène artificiel ». On voit sur cette vidéo Haim Shalom, chef des services sociaux de la ville, déclarer : « Les filles, en toute innocence, vont avec des Arabes qui les exploitent. »
En 2004, à Safed, au nord d’Israël, des affiches sont apparues partout dans la ville pour avertir les femmes juives que quand des hommes arabes leur proposent de venir avec eux, ils les conduisent « à recevoir des coups, aux drogues dures, à la prostitution et au crime ». Le principal rabbin de la ville, Shmuel Eliyahu, a déclaré à un journal local que la « séduction » des filles juives était « une autre forme de guerre » menée par des Arabes.
Les campagnes de Kiryat Gat et de Safed sont soutenues par une organisation religieuse appelée Yad L’achim, qui anime une équipe d’anti-assimilation consacrée officiellement au « sauvetage » des femmes juives. L’organisation dit recevoir plus de 100 appels par mois au sujet des femmes juives vivant avec les hommes arabes, en Israël et en Cisjordanie. Elle lance des opérations de « sauvetage paramilitaire [des femmes] des villages arabes hostiles » en coordination avec la police et l’armée.
La méfiance entre des communautés qui n’ont pas les mêmes traditions existe dans tous les pays. L’enquête de Jonathan Cook fait apparaître quelques-unes de ses conséquences à l’intérieur même d’Israël. Il serait intéressant qu’il puisse faire des enquêtes sur le même sujet dans d’autres pays du Proche-Orient.
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON