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Accueil du site > Tribune Libre > Quand T. Piketty évoque l’effacement de la Révolution de 1917 par (...)
#17 des Tendances

Quand T. Piketty évoque l’effacement de la Révolution de 1917 par l’effondrement de l’U.R.S.S. en 1989-1990

Ayant avancé toutes les bonnes raisons qu'il a de s'en tenir à son analyse en termes de parts de gâteau, nous ayant même mis assez brutalement en garde contre toute velléité de contrarier son appétit, Thomas Piketty nous explique - et peut-être à une frange politique particulière - qu'il dispose éventuellement de la bonne manière de poser la question de la dimension des parts... en démocratie méritocratique :

PNG « Compte tenu de tous ces éléments, quel est le "bon" niveau de partage capital-travail ? Est-on bien sûr que le "libre" fonctionnement d'une économie de marché et de propriété privée conduise partout et toujours à ce niveau optimal, comme par enchantement ? Comment dans une société idéale, devrait-on organiser le partage capital-travail, et comment faire pour s'en approcher ?  » (Idem, page 75.)

Pour peu que l'on veuille bien continuer à voir dans le tiret qui lie le capital à l'exploitation du travail tout ce qui s'y trouve de tragique, il est assez évident que le reste s'inscrit délibérément dans un contexte purement fantasmatique : "bon" niveau, partage, "libre" fonctionnement, niveau optimal, société idéale.

Mais nous ne perdons pas de vue qu'au-delà de l'emballage idéologique qu'il croit devoir donner à son travail - pour des raisons qui le regardent, et qui ne sont peut-être pas toutes aussi mauvaises qu'il y paraît pour l'instant -, Thomas Piketty a rassemblé une masse considérable d'informations qui devraient nous permettre d'avancer avec lui sur un terrain jusqu'alors méconnu, et susceptible de devenir particulièrement révélateur de certaines faussetés idéologiques et politiques de notre univers quotidien, en nous permettant de détricoter toute une partie de l'idéologie économique dominante.

Et voilà que cela démarre en fanfare :
« Que sait-on exactement de l'évolution du partage capital-travail depuis le XVIIIe siècle ?  » (Idem, page 75)

Pour celles et ceux qui ont eu l'occasion de se pencher un peu sur la trajectoire de vie d'un Voltaire, cette question retentit comme un électrochoc...

Or, la page suivante nous inflige un second choc, puisque, sans que nous ayons pu en trouver la moindre trace dans ses "Hauts revenus en France au XXe siècle" (Hachette Littérature 2006), voici que Thomas Piketty nous fournit une liste très améliorée des chocs du "premier XXe siècle" (1914-1945)...
« À savoir la Première Guerre mondiale, la révolution bolchevique de 1917 [bravo, monsieur Piketty !], la crise de 1929, la Seconde Guerre mondiale. » (Idem, page 76.)

Ce qu'il fait suivre immédiatement des conséquences que ces chocs ont pu avoir - mais dans ce cas, que faudra-t-il attribuer plus particulièrement à la survenue de la première révolution prolétarienne accomplie ? - sur :
« […] les nouvelles politiques de régulation, de taxation et de contrôle public du capital. » (Idem, page 76.)

En tout cas, selon les documents qu'il a pu consulter à force d'années de dépouillement, le résultat de ces bouleversements serait bien là, et Thomas Piketty l'affirme :
« Ils ont conduit à des niveaux historiquement bas pour les capitaux privés dans les années 1950-1960. » (Idem, page 76.)

Voici une première chose. Mais l'appétit venant en mangeant, Thomas Piketty nous offre une suite qui détonne, là aussi, avec le contenu de son précédent ouvrage par le fait que l'anéantissement des fruits de la révolution bolchevique et la montée en puissance d'une autre révolution (une contre-révolution !) y occupent une place qui n'est peut-être pas qu'anecdotique :
« Le mouvement de reconstitution des patrimoines se met en place très vite, puis s'accélère avec la révolution conservatrice anglo-saxonne de 1979-1980, l'effondrement du bloc soviétique en 1989-1990, la globalisation financière et la dérégulation des années 1990-2000, événements qui marquent un tournant politique allant en sens inverse du tournant précédent, et qui permettent aux capitaux privés de retrouver au début des années 2010, malgré la crise ouverte en 2007-2008, une prospérité patrimoniale inconnue depuis 1913. » (Idem, page 76.)

Suspense : Thomas Piketty va-t-il vraiment sortir de sa petite affaire de partage des sucreries à l'intérieur de la chère démocratie méritocratique ?... Pas sûr.

Thomas Piketty en est donc venu, en 2013, à placer enfin la Révolution bolchevique de 1917 parmi les bouleversements qui avaient porté atteinte à l'extrême richesse, en capitaux et en fruits des capitaux, rassemblée au début du vingtième siècle par la centième partie la plus fortunée des ménages français.

Ensuite, nous l'avons vu évoquer l'effondrement soviétique des années 1989-1990 parmi les événements qui auront débouché, au début des années 2010, sur une reconstitution à peu près achevée de la situation patrimoniale existant à la veille de la première guerre mondiale.

Arrivé à ce point, que trouve-t-il à nous dire de ce réta-blissement récent des grandes fortunes privées ?
« Tout n'est pas négatif dans cette évolution et dans ce processus de reconstitution des patrimoines, qui est en partie naturel et souhaitable. » (Idem, page 76.)

"Naturel et souhaitable"... Thomas Piketty aurait-il choisi son camp ? Celui du "gâteau" auquel, nous le savons, il tient tellement ?... Rien n’est moins sûr. Nous n’allons peut-être pas tarder à savoir pourquoi…

Quoi qu'il en soit, après avoir franchi les quatre premiers chapitres : présentation des "concepts de production intérieure et de revenu national, de capital et de travail, et de rapport capital / revenu" ; "évolution générale des taux de croissance" ; "transformations de la composition du capital et du rapport capital / revenu depuis le XVIIIe siècle, en commençant par le cas du Royaume-Uni et de la France" ; idem pour "l'Allemagne et l'Amérique", nous découvrirons les chapitres 5 et 6 qui
« […] tenteront d'étendre ces analyses à l'ensemble des pays riches, et dans la mesure du possible à l'ensemble de la planète, et d'en tirer les leçons pour la dynamique du rapport capital / revenu et du partage capital-travail au niveau mondial en ce début de XXIe siècle  ». (Idem, page 78.)

Et sans doute jusque dans l'illustration qu'en ont fourni, le 16 août 2012, les coups de fusil sud-africains de Marikana.

Michel J. Cuny


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11 réactions à cet article    


  • Eric F Eric F 4 décembre 09:43

    Merci de cette très intéressante présentation, que l’on soit ou non d’accord avec le jugement que vous y portez.

    En fait, on peut retenir que la part des grandes fortunes patrimoniales dans la richesse nationale avait baissé après la première guerre mondiale du fait de la crainte de la contagion communiste (révolution bolchevique 1917), et que cela s’est accentué avec les mesures suite à la crise de 1929 (de type new deal) et suite à la Libération (programme social).

    Cette situation a prévalu dans les 30 glorieuses, et s’est perpétuée ensuite, mais a eu un coup de canif dans les pays anglo-saxons par le courant conservateur Thatcher-Reagan. Notons quand même que la France a ces années là au contraire connu le gouvernement d’Union de la gauche -malgré ses limites-.

    La chute du bloc soviétique après 1989 a coupé court à la crainte de contagion communiste, et ion a connu le capitalisme décomplexé ’’no alternative’’.

    Les disparités de revenus ont explosé avec la mondialisation économique et financière, salaires tirés vers le bas par la concurrence low cost, profits tirés vers le haut par l’augmentation des marges, rémunérations des dirigeants de grand groupes pharaoniques par la taille planétaire du marché.

    Que faire ? deux optiques :
    -Réformiste avec des régulations volontaristes au sein d’instances multilatérales mondiales (un forum social mondial en quelque sorte), pour un partage plus équitable par crainte d’émeutes populaires voire par la conception fordiste que des salariés mieux payés augmentent la demande (ne nous illusionnons pas sur des soucis éthiques).
    -Révolutionnaire en poussant à une plus utopique encore révolution mondiale pour la collectivisation des moyens de production. Notons au passage que d’éventuels mouvements en ce sens catalyseraient la première option


    • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 4 décembre 13:24

      @Eric F
      Merci pour tous les éléments à caractère historique que vous apportez, et pour les réflexions que vous vous efforcez d’en dégager. Il s’agit de vrais jalons qui pourront nous servir dans la suite de ce que nous essayons d’étudier ici.


    • Étirév 4 décembre 10:28

      Avant de pouvoir dire : Voilà ce qu’il faut, il faut pouvoir dire : Voilà ce qui est.
      Partout dans le monde occidental, la bourgeoisie est parvenue à s’emparer du pouvoir, auquel la royauté l’avait tout d’abord fait participer indûment ; peu importe d’ailleurs qu’elle ait alors aboli la royauté comme en France, ou qu’elle l’ait laissée subsister nominalement comme en Angleterre ou ailleurs ; le résultat est le même dans tous les cas, et c’est le triomphe de l’« économique », sa suprématie proclamée ouvertement. Mais, à mesure qu’on s’enfonce dans la matérialité, l’instabilité s’accroît, les changements se produisent de plus en plus rapidement ; aussi le règne de la bourgeoisie ne pourra-t-il avoir qu’une assez courte durée, en comparaison de celle du régime auquel il a succédé ; et, comme l’usurpation appelle l’usurpation, après les Vaishyas (caste dont les fonctions propres étaient celles de l’ordre économique), ce sont maintenant les Shûdras (caste la plus inférieure) qui, à leur tour, aspirent à la domination : c’est là, très exactement, la signification du bolchevisme.
      Les pays se sont ruinés sans s’en apercevoir. Comme personne n’apporte de solution miracle (c’est impossible au niveau actuel du Plan), les hommes qui sont au pouvoir visible tentent de créer l’illusion que tout va bien. C’est la raison pour laquelle tout a été fait pour corrompre la classe politicienne. Et les peuples continuent de flatter, pour le temps qui leur reste, ceux qui donnent l’impression d’écarter d’eux toutes les calamités. Inutile de vous dire que cette espérance est et sera trompée. Tous les accords de paix dont vous avez entendu parler depuis la « guerre du Golfe », tous les évènements de Russie faisant croire à une nouvelle ère où le Communisme serait renvoyé au cimetière sont des « composantes » du Plan. Pensez-vous réellement que cette « Organisation » qui a financé Lénine, qui a donné la moitié du monde à Staline avec la complicité des dirigeants de l’époque accepterait de tout arrêter alors qu’elle est si proche du but ? Croyez-vous sérieusement que tous les montages secrets qui ont permis au Socialisme d’être planétaire vont s’arrêter là ?
      Comprenez que le Communisme ne sera réellement mort que le jour où son « père nourricier », à savoir le Capitalisme ultra libéral de la Haute Finance, ne sera, lui-même, plus de ce monde !
      LIEN


      • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 4 décembre 13:47

        @Étirév
        Merci pour le caractère synthétique de ce que vous présentez ici. Voilà qui nous offre de très larges perspectives...


      • amiaplacidus amiaplacidus 4 décembre 11:14

        Le problème principal du capitalisme, à mon avis, ce n’est pas la répartition des revenus du travail, certes un gros problème.

        C’est surtout la mainmise par une minorité sur le pouvoir, par le biais du capital accumulé par la confiscation, au cours des années, d’une partie importante des revenus du travail.

         Mainmise que cette minorité tente tant bien que mal, de dissimuler à travers une « démocratie » prétendument représentative. Les gouvernements « démocratiques », qu’ils soient de droite ou de gauche ne font qu’obéir aux suggestions. Contrairement à ce que disait (voulait ?) le Gal De Gaulle, la politique se décide à la corbeille de la bourse.

        .

        Pour moi, le renversement du capitalisme passe par la conscientisation des travailleurs. C’est aux travailleurs de prendre le pouvoir, malheureusement, les syndicats ont complétement « foiré » dans leur travail d’éducation politique et économique des prolétaires.

        .

        À mon avis la solution, c’est l’autogestion (pour un résumé : https://fr.wikipedia.org/wiki/Autogestion) .

        Il existe des bien des SCOP (http://www.les-scop.coop/), mais ce sont des réalisations à petite échelle, fonctionnant en système capitaliste.

        .

        Il a existé un modèle à plus grande échelle, en Yougoslavie, modèle développé d’abord dans le cadre d’une économie dirigée et planifiée, avec les inconvénients de ce type d’économie, en particulier innovation en panne.

        Dès les années 1970, c’est l’économie de marché qui a prévalu en Yougoslavie, les Assemblées Générales (AG) des travailleurs décident de ce qui doit être produit, des modes de productions et de rémunération. Bref, l’AG se comporte comme une banale entreprise capitaliste. Avec cette importante différence : c’est l’ensemble des travailleurs qui décide, à la majorité ce qu’il faut faire.

        Malheureusement, l’expérience Yougoslave n’a pas survécu à Tito. Ce dernier réprimait sévèrement les tentatives nationalistes des diverses républiques yougoslaves. À sa mort, les différents nationalismes se sont affichés, aidé par des soutiens extérieurs qui ne voulaient en aucun cas qu’une expérience autogestionnaire réussisse et la Yougoslavie a éclaté en morceaux.


        • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 4 décembre 13:55

          @amiaplacidus
          Merci de nous offrir un exemple très précis, qui pose la question  s’agissant de cette époque-là plus particulièrement  des interventions... allemandes, qui auront fini par nous valoir cette Europe où trône, avec toujours plus de pouvoir et d’influence, l’impératrice Ursula... représentatrice d’intérêts qui viennent de très loin dans le temps et dans l’espace.


        • Seth 4 décembre 14:21

          @amiaplacidus

          Ben wala : on commence comme ça et non content d’être titiste, on finit marxiste pur et dur ! smiley


        • Seth 4 décembre 14:27

          @Michel J. Cuny

          Et M. Cuny, on arrête avec la germanophobie, c’est insupportable !

          Là aussi, on commence comme ça et on finit par dire que l’esprit allemand n’a jamais changé d’un iota, on recherche ce que doivent les Allemands au yanki après leur défaite et ce qu’ils ont exactement payé comme dommages de guerre, l’importance que ça a eu dans leur économie et on est sur une pente glissante alors que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !

          Et tant qu’on y est on va trouver de bonne raison au soutien mordicus des Teutons aux Sionistes, etc, etc...


        • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 4 décembre 16:13

          @Seth
          Vous êtes un vrai prophète !... Voici, par exemple, ce que j’écrivais, il y a trois ans...
          https://unefrancearefaire.com/2021/03/05/et-si-depuis-bruxelles-ursula-von-der-leyen-nous-conduisait-a-la-catastrophe/


        • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 4 décembre 18:15

          @Michel J. Cuny
           
           ’’ Et si, depuis Bruxelles, Ursula von der Leyen nous conduisait à la catastrophe ?…’’
            >
          C’est ce que je crois depuis longtemps.
          Elle serait payée pour ça. Mais pour qui ?


        • Michel J. Cuny Michel J. Cuny 4 décembre 20:20

          @Francis, agnotologue
          Je suis un peu désemparé de ne pas pouvoir répondre, aussi directement que vous l’espérez peut-être, à votre dernière question « Mais pour qui (agirait-elle ainsi) » ?

          C’est qu’il s’agit d’un enjeu dont il est possible de montrer qu’il remonte jusque dans les siècles précédents, parce qu’elle est l’héritière d’une énorme tradition familiale qui réunit les éléments essentiels de l’exploitation de l’être humain par l’être humain, jusqu’à intégrer  plus récemment  certains éléments de la politique économique nazie.

          Si vous avez beaucoup de temps et de patience à consacrer à cette très grave question, je vous invite à lire la série des articles que je lui ai consacrés, et qui, aussi nombreux et documentés soient-ils, ne sont qu’un début.

          Voici le lien vers le premier de ses articles... en bas, le lien est donné vers le suivant, et ainsi de suite...
          https://wordpress.com/post/unefrancearefaire.com/16548

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