Que faut-il avoir fait pour ’mériter’ d’être tué par la police ?
Le meurtre de Rayshard Brooks montre à quel point les appels à la « réforme » de la police sont une supercherie
Par Caitlin Johnstone
Source : Medium, le 15 juin 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
Un homme noir du nom de Rayshard Brooks a récemment été tué par un policier d'Atlanta qui lui a tiré dans le dos alors qu'il tentait de s'enfuir.
Des séquences vidéo des caméras-piétons de la police et d'un témoin qui se trouvait à proximité montrent clairement que Brooks a résisté à l'arrestation après avoir échoué à un alcootest. La police l'avait approché alors qu'il dormait dans sa voiture sur le parking d'un fast-food Wendy. Pour échapper à l'arrestation, il a frappé un policier et s'est emparé d'un Taser que la police avait tenté d'utiliser sur lui avant d'essayer de fuir les lieux. Des séquences vidéo des caméras du parking montrent clairement que Brooks s'enfuyait et, sans cesser de courir, a pointé le pistolet Taser sur la police derrière lui. C'est alors qu'il a été abattu de deux balles dans le dos par un officier nommé Garrett Rolfe.
New video released by the GBI shows the moment #Atlanta police shot and killed #RayshardBrooks in the parking lot of a Wendy’s. Police say Rayshard Brooks grabbed a taser and pointed it at police before an officer fired shots. pic.twitter.com/8DEeOdtyqF
— Courtney Bryant (@CourtneyDBryant) June 13, 2020
Une nouvelle vidéo publiée par le FBI montre le moment où la police d'Atlanta a abattu #RayshardBrooks dans le parking d'un Wendy's. Selon la police, Rayshard Brooks s'est emparé d'un pistolet Taser et l'a pointé sur la police avant qu'un officier ne lui tire dessus. (Vidéo Twitter)
Il n'y a aucune justification rationnelle pour ce tir. Si quelqu'un vous fuit avec une arme à courte portée, il est littéralement impossible pour lui de représenter une menace imminente pour vous. Le simple fait de laisser Brooks sortir de la portée du pistolet Taser, comme il essayait déjà de le faire, aurait neutralisé toute menace potentielle pour les deux agents sur les lieux, car il aurait été littéralement impossible pour Brooks de les atteindre pendant qu'il continuait à courir dans la direction où il courait.
Rémi Fraisse
Ce fait incontestable et évident n'a pas empêché les gens de bêler des excuses idiotes [et criminelles] justifiant les actions de la police dans mes notifications sur les réseaux sociaux depuis que la fusillade [unilatérale] a eu lieu.
- Ils prétendent que Brooks aurait pu taser un policier et prendre son arme (mais encore une fois, laissez donc Brooks se mettre hors de portée du Taser et il n'y a absolument aucun risque que cela se produise).
- Ils prétendent qu'ils ne pouvaient tout simplement pas laisser un « dangereux » criminel courir avec une arme de police (mais ce n'est qu'un Taser ; n'importe qui peut en acheter chez Walmart. Que va-t-il faire ? Un « massacre » au Taser ?).
- Ils prétendent que le policier a dû exécuter Brooks parce qu'il représentait un « danger pour la société » (mais le travail d'un policier n'est pas d'agir comme juge, jury et bourreau pour déterminer si quelqu'un représente une menace générale pour la société ; c'est à cela que servent les tribunaux) .
- Ils prétendent que si vous donnez un coup de poing à un flic, vous méritez tout ce qui vous arrive (ils considèrent donc, parce que ce sont des larbins adorateurs de l'autorité, que frapper un policier est plus grave que tuer un civil par balle).
- Ils prétendent que si vous ne suivez pas les instructions de la police, vous risquez bien sûr d'être tué (mais justement, puisque la police fait des choses inexcusablement brutales, c'est bien le problème que les gens essaient de résoudre).
Même en mettant de côté tout débat sur la police telle qu’elle existe aux Etats-Unis aujourd’hui, il n’y avait absolument aucune excuse pour le comportement de Rolfe. Les policiers avaient toutes les informations sur Brooks. Ils avaient sa voiture. Ils savaient où il habite. Ils auraient pu le suivre dans leur voiture et appeler des renforts. Ils auraient pu aller l'arrêter plus tard avec des renforts.
« J'étouffe », crie Cédric Chouviat à 7 ou 8 reprises.
Mais Rolfe a décidé de tuer. Après avoir vu toutes les manifestations contre la brutalité policière qui font rage dans tout son pays depuis le meurtre de George Floyd, après avoir été confronté à toute l'indignation du public à propos de la police tuant des hommes noirs jour après jour, gros titre d'actualité après gros titre d'actualité, après que sa société l'a forcé à réfléchir à la violence policière et à son rôle dans celle-ci, Garrett Rolfe a tout de même décidé de tuer. Après tout cela, il a vu un homme noir qui fuyait loin de lui, ne posant aucune menace pour lui, et il a décidé de le tuer.
Le fait que les policiers soient si bien vaccinés contre l'exigence du public que les forces de l'ordre changent de comportement montre bien la farce monumentale qu'est le prétendu programme de « réforme » de la police : si les responsables des récits officiels y poussent activement et essayent d'y enfermer le mouvement de protestation actuel, c'est seulement parce qu'ils espèrent ainsi étouffer dans l’œuf le soutien massif à la revendication d'abolition de la police.
Let me pick up on what @staceyabrams just said. #DefundThePolice slogan is being used to divide us. She called for transformation of police, that's much stronger than just reform but not distracting like defunding. #TransformThePolice is appealing to most people & sounds strong.
— Cenk Uygur (@cenkuygur) June 14, 2020
Permettez-moi de reprendre ce que @staceyabrams [députée noire démocrate de Géorgie]
vient de dire. Le slogan #Dé-financerLaPolice est utilisé pour nous diviser. Elle a appelé à la transformation de la police, qui est beaucoup plus forte que la simple réforme, mais pas une simple distraction comme le démantèlement. #TransformerLaPolice est un slogan attrayant pour la plupart des gens et sonne fort.
Il y a actuellement une querelle dans le nouveau mouvement de protestation américain entre ceux qui souhaitent abolir, dé-financer, démanteler et / ou désarmer la police, et ceux qui veulent « réformer » ou « transformer » la police. Les premiers font pression pour un changement révolutionnaire qui repousse les structures de pouvoir abusives et appelle à la création d'un paradigme social radicalement différent, tandis que les seconds veulent garder les institutions policières dans leur état irrémédiablement corrompu et allouer plus de fonds pour des séminaires de formation à la « désescalade » où des adultes d'un âge avancé sont invités à ne pas commettre d'actes de violence gratuits.
Steve Maia Caniço
Des séminaires de formation qu'en l'occurrence, l'officier Garrett Rolfe venait juste de terminer.
« Selon le Georgia Peace Officer Standards and Training Council, Rolfe avait récemment reçu une formation sur le recours à la force », rapporte le journal AJC d'Atlanta. « Le 24 avril, il a suivi un cours de neuf heures sur les options de désescalade, selon son dossier. Et le 9 janvier, Rolfe a été formé à l'utilisation de la force létale à l'académie de police du comté de DeKalb. »
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Et pourtant, vous trouvez des responsables faux-agressifs [jeu de mots révélant ce qui se cache derrière le terme « progressistes »] des récits du système comme Cenk Uygur qui font la promotion du programme de réforme et caractérisent les appels au dé-financement de la police comme une « distraction ».
J'ai écrit récemment que « si ces manifestations cessent, ce ne sera pas parce que des tyrans du Parti républicain comme Donald Trump et Tom Cotton auront plaidé avec succès pour l'intervention de l'armée américaine qui écrasera toute velléité contestataire. Ce sera parce que des manipulateurs libéraux auront réussi à la coopter et à faire stagner son élan. » C'est exactement le genre de chose dont je parlais.
Let me pick up on what @staceyabrams just said. #DefundThePolice slogan is being used to divide us. She called for transformation of police, that's much stronger than just reform but not distracting like defunding. #TransformThePolice is appealing to most people & sounds strong.
— Cenk Uygur (@cenkuygur) June 14, 2020
Le gouverneur de New York Andrew Cuomo suggère aux manifestants de mettre fin à leur mouvement à la lumière des nouvelles réformes : « Les gens sont encore en train de manifester. Vous n'avez pas besoin de protester. Vous avez gagné. Vous avez gagné. Vous avez atteint votre objectif. La société dit que vous avez raison. La police a besoin d'une réforme systémique. » (Twitter)
Ceux qui prétendent que ces manifestations sont le résultat d'une sorte d'opération psychologique orchestrée par le haut avancent souvent en guise de preuve le fait qu'elles sont soutenues par les libéraux du système, les médias grand public et les multinationales, mais cette perspective manque une distinction très importante dans la dynamique qui est en jeu ici. S'il est vrai que ces grandes institutions ont exprimé leur soutien général aux manifestations et à l'idée que la vie des Noirs est importante (Black Lives Matter), ce qu'aucune d'entre elles n'a fait est de soutenir le dé-financement ou l'abolition des forces de police américaines. Aucune des élites dirigeantes de l’empire ne soutient une telle chose.
La raison pour laquelle vous voyez de la manipulation et des tentatives de cooptation et d'instrumentalisation dans ce nouveau mouvement est que c'est exactement ce qui se passe. Mais ce n'est pas la force motrice de l'enthousiasme derrière les manifestations. Au contraire, on peut voir une tentative de détournement d'un véritable programme révolutionnaire qui remet en question les institutions du pouvoir actuelles (y compris des tentatives de plus en plus courantes de manipuler le récit en affirmant que les demandes de dé-financement et d'abolition ne sont en fait que des appels à la réforme).
L’appel généralisé à l’abolition de l’État policier américain, partie intégrante de la glu qui maintient en place l’empire US centralisé, est révolutionnaire. Il n'est pas exagéré de dire que cet appel est aussi intéressant et enthousiasmant qu'un appel général à mettre fin à l'impérialisme américain, et qu'il est tout aussi menaçant pour les structures du pouvoir en place. En revanche, l'appel à la « réforme » est beaucoup plus timoré : ce n'est qu'un verbiage faux-agressif Obamaesque conçu pour faire stagner un véritable mouvement de changement révolutionnaire. Cette revendication est aussi intéressante et aussi menaçante pour les structures de pouvoir de l'établissement que de dire que les États-Unis devraient pousser au changement de régime en Syrie plutôt qu'en Iran.
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Les partisans de l'abolition de la police font pression pour quelque chose qui nécessiterait une reconfiguration complète du pouvoir dans la société, où le complexe industriel pénitentiaire et la guerre contre la drogue (telle qu'elle a été conçue) prendraient fin, et où ce que nous considérons comme le maintien de l'ordre pourrait par exemple être principalement remplacé par quelque chose qui ressemblerait plus au travail social. Les partisans de la « réforme » de la police avancent un programme leurre qui distrait les gens depuis des générations, tandis que derrière un voile de verbiage insignifiant sur les programmes de sensibilisation et de formation communautaires, les forces de police sont devenues de plus en plus militarisées.
It's not just that Biden doesn't want to defund the police, per his spox, its that he believes cops just don't have enough resources for reform. Would be laughable if it wasn't so dire. https://t.co/3lbnjQOBML pic.twitter.com/yCKf2iwQP9
— austin walker (@austin_walker) June 8, 2020
D'après son porte-parole, ce n'est pas que Biden ne veut pas dé-financer la police, mais il pense que les policiers n'ont tout simplement pas assez de ressources pour ces réformes [qu'ils appelleraient eux-mêmes de leurs vœux]. Ce serait risible si ce n'était pas si terrible.(Twitter)
C'est là que se trouve actuellement la véritable énergie révolutionnaire aux Etats-Unis, et il n'est donc pas étonnant que les manipulateurs du système fassent tout ce qu'ils peuvent pour la coopter et la transformer en quelque chose d'inoffensif qui ne perturbera pas le moins du monde les structures réelles du pouvoir. Obama a fait toute sa carrière politique en disant aux Américains penchant à gauche qu'ils obtenaient ce qu'ils veulent sans vraiment le leur donner, et maintenant, nous avons le prince démocrate Andrew Cuomo qui dit aux manifestants de New York : « Vous n'avez pas besoin de protester. Vous avez gagné. Vous avez gagné. Vous avez atteint votre objectif. La société dit que vous avez raison. La police a besoin d'une réforme systémique. »
Que faut-il avoir fait pour mériter de perdre un œil ou une main ?
C'est un exemple typique de manipulation libérale visant à détourner le zeitgeist (« esprit du temps ») révolutionnaire vers une fosse de goudron conceptuelle impotente pour plusieurs années, pendant que les barreaux de la prison seront renforcés.
Comme je l'ai expliqué il y a quelque temps dans mon article « Comment distinguer les vraies informations de la poudre aux yeux », on peut comprendre ce qui se passe réellement en regardant où va l'argent, où vont les armes, où vont les ressources et où vont les gens. On peut voir dans ces revendications de démantèlement de l'État policier un groupe de personnes qui se démènent en exigeant de changer radicalement ces quatre choses, et on peut voir les gestionnaires narratifs libéraux défendre leur programme pour empêcher la moindre de ces quatre choses de changer réellement. Et s’ils gagnent, on pourra voir les gens, la police, les armes et les ressources continuer à se déplacer plus ou moins exactement de la même manière qu’ils se déplaçaient auparavant.
Ils essaient de remplacer une véritable impulsion révolutionnaire par de la poudre aux yeux stérile. Ils ont appris qu'il est beaucoup plus facile de neutraliser de telles impulsions avec un accord vide et un tas de mots sans substance que de leur dire non et de les piétiner. J'espère que les gens ont également appris cela.
Voir notre dossier sur George Floyd
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