Entre Jules Guesdes et Jean Jaurès existait une véritable opposition de fond sur la conception du socialisme. Devait-il ou non accepter la démocratie bourgeoise ou alors être un parti de classe hors du système institutionnel ?

Entre Bertrand Delanoë et Ségolène Royal, le débat n’est pas (malheureusement) au même niveau. Quelles différences existe-t-il entre les deux protagonistes médiatiques du congrès de 2008 ?

Sur le fond ? Bien malin celui qui sera capable de le montrer.

Sur la forme ? Des sondages, des coups médiatiques… Là encore, c’est la même chose.

Sur la méthode ? Un temps, Royal voulait la présidentielle sans le parti, mais maintenant qu’elle veut le parti et la présidentielle, en cela elle rejoint Delanoë et lui retire l’avantage pour les militants d’apparaître comme plus attaché à la structure partisane.

Néanmoins, malgré ces similitudes, beaucoup de militants qui s’opposent à ce que représente Ségolène Royal voient en Bertrand Delanoë un sauveur. Ce comportement compréhensible pour des militants traumatisés par la campagne présidentielle et le flou idéologique qui l’a entouré, contraire à toute les traditions socialistes, en incapacité à apparaître comme une alternative crédible à Nicolas Sarkozy, allant même jusqu’à conforter les prises de positions les plus délirantes de la droite.

Donc, le traumatisme engendré chez beaucoup de militants par Ségolène Royal leur fait chercher une autre personnalité. En somme, c’est tout sauf Ségolène qui prime. A ce jeu là, Bertrand Delanoë a une longueur d’avance sur les autres concurrents déclarés.

D’abord parce qu’il s’est construit ainsi. En s’affichant comme héritier de Lionel Jospin, tout en essayant de prendre ses distances, il s’exonère de faire du fond, faisant croire ainsi que la pensée de Delanoë est celle de Jospin, et en plus il apparaît comme étant adoubé par le principal pourfendeur du royalisme.

Ensuite, parce qu’il s’organise ainsi. Dans les jours à venir, il sortira un papier de fond, dont la lecture n’aura sans doute que peu d’intérêt, comme d’habitude lorsqu’un écrit n’a que pour mission de récolter une liste de signataire pour afficher une puissance. La question que se pose la presse « Delanoë, combien de division ? » trouvera une réponse. Là-dessus, tous les noms sont bons à prendre. Tous ceux qui ne sont pas royalistes, de préférence d’ailleurs dans les jeunes pousses du parti identifiés à l’aile gauche, sont donc approchés. Beaucoup signeront sans doute ce texte, mais la conviction n’y sera pas. Le but sera d’empêcher Ségolène Royal de gagner.

Mais il y a tromperie sur la marchandise Delanoë. Quiconque écoute avec attention ses brillants discours, peut constater d’abord un flou entretenu sur le fond, mais aussi un vocabulaire récurrent : le réalisme. Pour exemple, ans son discours lors du conseil national qui a suivi les victoires aux municipales : « Nous avons d’abord conçu des projets, novateurs, de gauche, et adaptés à une réalité regardée en face », mais aussi : « Opposer aux décisions probables du gouvernement, une analyse et des options progressistes résolument inscrites dans le réel. » et : « Nous pouvons chercher et trouver les voies qui feront de nous ce grand parti de gauche, populaire, moderne, construisant son offre politique sur la créativité, l’audace et le réalisme, au service du progrès social. »

A chaque fois, la même idée, le Parti socialiste doit être moderne et réaliste. Mais qu’est ce que le réalisme ? Cela il ne le définit pas. Libre à chacun de l’interpréter… Le réalisme a souvent servi d’adjectif pour expliquer le renoncement à certains combats de la gauche et des socialistes. Nous sommes donc en droit d’attendre une explication sur ce sujet. En tout cas, ceux qui pensent retrouver le jospinisme chez Delanoë se trompent grandement…

Au final d’ailleurs, des discours similaires à ceux de Ségolène Royal, l’incantation à la sainte vierge en moins.

Alors, est ce que le Congrès de Toulouse verra l’affrontement entre deux personnalités identiques, construites sur les sondages et la farouche envie d’un destin personnel ? Verra-t-on un affrontement entre l’Ipsos et l’Ifop ? Entre Marianne et Libération ?

Si c’est le cas, nous connaissons le vainqueur : Ségolène Royal. Elle a l’avantage d’avoir déjà été candidate, de ne pas être parisienne, et d’avoir un appareil à sa disposition avec François Rebsamen.

Sur quoi peut compter Bertrand Delanoë si le duel annoncé a lieu ?
  • Paris ? Ce n’est pas évident, il n’en est pas encore le patron au sein du Parti, il devra convaincre (ou acheter…) Jean-Christophe Cambadélis et les strauss kahniens.
  • Les Bouches-du-Rhônes ? Même pas en rêve…
  • Le Pas-de-Calais ? Lens, sans doute, grâce à Guy Delcourt, mais il se sera très dur de convaincre Kucheida et Percheron, et sans eux, adieux les mandats du Pas-de-Calais ;
  • L’Isère ? Vallini ne choisira pas s’il n’est pas certain du vainqueur, quant à Migaud il ne suivra pas et Destot ne suffit pas ;
  • Le Rhône ? Entre Collomb et Demontès, cela semble bien difficile ;
  • En Bretagne ? Le Morbihan sans doute grâce à Le Drihan, le reste n’est pas joué ;
  • Le Nord ? Difficile… Martine Aubry peut récupérer cette fédération, mais à condition qu’elle incarne la suite de Pierre Mauroy et que donc elle soit elle même dans la bataille. Autrement, Royal emporte les mandats de la fédération.

Donc, on le voit, à priori peu de suspens dans ce congrès. Le duel Royal/Delanoë compte tenu des similitudes entre les deux tournera à l’avantage de la première, parce qu’elle a déjà été candidate. A quoi cela sert de changer de nom pour avoir la même chose ? Autant conserver la même…

Une hypothèse qui commence à fleurir avec le printemps dans la presse, peut néanmoins bouleverser la victoire plus que probable de Ségolène Royal. L’hypothèse Martine Aubry.

Cette dernière a plusieurs avantages :
  • Elle est l’antithèse sur le fond comme sur la forme de Royal ;
  • Elle est une des grandes gagnantes des municipales, forte d’une assise locale ;
  • Elle est une figure marquante à gauche de ce qui s’est fait de mieux sous le gouvernement Jospin : la CMU, l’APA, les 35 heures…

Mais Martine Aubry, combien de divisions ?

C’est la que le bas blesse : peu !

Cependant, sa notoriété, sa popularité, son sérieux peuvent jouer en sa faveur. Si elle décide à mener la bataille, elle pourra sans doute compter sur plusieurs soutien de poids.
  • Claude Bartolone, Didier Migaud, Alain Vidalies, Marie-Noëlle Lieneman, bref, la gauche fabiusienne ;
  • Bernard Soulage, Alain Bergounioux, Catherine Trautman, Michel Destot, bref, la gauche rocardienne ;
  • Jean-Christophe Cambadélis, la gauche OCI ;
  • Benoît Hamon, qui rejoindrait les camarades de NPS déjà partis en éclaireurs ;
  • Sans oublier le cercle de Réformer, les aubryistes convaincus, et donc la gauche catholique.

Au final, si l’on rajoute à cela, la gauche ouvriériste et mauroyiste Lilloise, Martine Aubry pourrait rafler la mise dans les fédérations du Nord, du Pas-de-Calais, de Bretagne, de l’Isère, du Rhône, de l’Est et d’autres de moindre poids, mais nécessaires pour être majoritaire.

Ce scénario n’est qu’une hypothèse. Il faudrait bien entendu que la patronne des ch’tis sorte de ses corons.

Aurons-nous la possibilité de choisir entre le chabichou et les frites ou devrons-nous nous contenter d’un duel d’image entre la dame blanche du Poitou et le Frédéric Taddei du Parti socialiste ? Les semaines à venir nous le diront, mais en attendant, gardons le regard tourner vers le Nord : des beffrois jaillît parfois la lumière.