Que s’est-il réellement passé entre Henda Ayari et son violeur présumé Tariq Ramadan ?
Vous connaissez peut-être le suisse Tariq Ramadan, islamologue estimable pour les uns, et prédicateur douteux pour les autres. Tariq Ramadan est passé régulièrement à la télé française pendant plus de 20 ans.
Henda Ayari est la femme qui a déclenché « l'affaire Tariq Ramadan » : le 20 octobre 2017, elle l'accuse de viol et porte plainte contre lui pour des faits remontant au printemps 2012.
Au total 4 femmes porteront plainte contre lui pour viol, et une pour agression sexuelle. Tariq Ramadan est mis en prison en février 2018, notamment, selon les juges, pour empêcher qu'il puisse faire pression sur les plaignantes.
Pour le moment, les informations disponibles dans la presse concernent principalement Henda Ayari et Paule-Emma Aline.
Paule-Emma Aline a été surnommée « Christelle » par les médias, et a déposé plainte quelques jours après Henda Ayari.
Pendant les 12 mois qui vont suivre les dépôts de plainte d'Henda Ayari et Christelle, Tariq Ramadan va tout nier en bloc, affirmant qu'il n'aurait même pas eu de relations charnelles avec les deux plaignantes.
Mais, un an après les dépôts de plaintes, fin octobre 2018, les avocats de Christelle versent au dossier judiciaire plus de 400 SMS échangés entre Christelle et le théologien. Le contenu de ces SMS ne laisse guère de doute sur la nature de la relation entre Christelle et l'islamologue : ce dernier ne peut plus nier, et il reconnaît désormais avoir eu une relation sexuelle avec elle.
Les avocats de Tariq Ramadan versent alors eux aussi au dossier judiciaire près de 400 SMS, mais il s'agit cette fois de SMS échangés entre Tariq Ramadan et Henda Ayari.
Tariq Ramadan change là aussi de version, et reconnaît avoir eu également une relation sexuelle avec Henda Ayari.
Sa nouvelle ligne de défense est que les relations sexuelles qu'il a eues avec les deux plaignantes auraient été sadomasochistes mais consenties.
Cependant, les avocats de Henda Ayari et Christelle ne reconnaissent plus aucune crédibilité à Tariq Ramadan rappelant les mensonges passés de Tariq Ramadan, et la façon dont il a traité les plaignantes. L'avocat de Christelle déclare : « Ça fait 11 mois que Monsieur Ramadan ment. Ça fait 11 mois que Monsieur Ramadan et ses soutiens salissent, insultent les plaignantes : 'elles sont folles, elles sont menteuses, elles sont mythomanes' ». L'avocat de Henda Ayari déclare : « Au début, nos clientes ont été menacées de mort et viols à plusieurs reprises. Monsieur Ramadan a toujours dit "il faut dénoncer cette campagne de calomnie, ce sont mes ennemis de toujours", ne faisant qu’accroître la pression sur mes clientes. » (1)(13). L'avocat d'Henda Ayari déclare aussi que Tariq Ramadan a fait les trois quarts du chemin en avouant des relations sexuelles avec les plaignantes, et qu'il devrait faire le dernier pas et avouer ses crimes (1).
Mais Tariq Ramadan clame toujours son innocence.
Sa nouvelle version des faits est-elle crédible ?
Cet article vous permettra de vous faire votre propre opinion en ce qui concerne le dossier Henda Ayari / Ramadan. Vous y trouverez tous les éléments les plus importants qui ont été divulgués par la presse ainsi que ceux disponibles dans le livre publié par Henda Ayari en 2016.
Un viol
Dans le livre d'Henda Ayari « J'ai choisi d'être libre », celle-ci explique qu'elle fut adepte de la religion salafiste, et elle relate comment elle a pu se libérer de ce « mouvement sectaire » qui la « détruisait peu à peu ».
Dans ce livre, elle écrit tout un chapitre sur un certain théologien qu'elle nomme Zoubeyr. Et elle décrit un viol commis par ce Zoubeyr à Paris, dans une chambre d'hôtel en 2012 (7).
5 ans plus tard, en octobre 2017, lorsqu'elle dépose plainte contre Tariq Ramadan, elle déclare que Zoubeyr est en réalité Tariq Ramadan.
Il suffit donc de lire son livre pour avoir sa version des faits (7).
Lorsque Henda Ayari se rend à Paris pour rencontrer Tariq Ramadan au printemps 2012, elle va d'abord chez une amie, puis se rend en taxi à l'hôtel de Ramadan, après que celui-ci lui a envoyé son numéro de chambre d'hôtel.
Remarquons au passage que durant le mois de juillet 2018, quelques article de presse ont avancé, de façon un peu trompeuse, que la version des faits d'Henda Ayari « s'effondrait » après que les enquêteurs aient découvert qu'elle ne pouvait pas être à Paris le jour qu'elle avait indiqué comme étant le jour du viol par Ramadan (24). Mais en réalite, elle n'avait donné que des pistes pour les enquêteurs : Henda Ayari n'a jamais prétendu se rappeler les lieux et dates précises du viol (25). Il est tout à fait naturel que, des années après les faits, Henda Ayari ne se rappelle plus une date précise, ou bien le nom d'un hôtel parisien en particulier, dont elle a dû écrire l'adresse une fois et la lire une fois au chauffeur de taxi. Désormais, Tariq Ramadan a avoué avoir eu des relations sexuelles avec Henda Ayari, et tout cela n'a plus aucune importance. Mais il est bon de rappeler ce passage de l'affaire Ramadan, car il invite à la plus extrême circonspection : il ne faut jamais trop rapidement tirer des conclusions des informations qui filtrent peu à peu dans la presse.
Pour en revenir à la description des faits par Henda Ayari dans son livre, elle explique qu'après avoir rejoint Tariq Ramadan dans sa chambre d'hôtel, la relation avec lui a peu à peu tourné au « cauchemar » : elle indique clairement qu'elle a exprimé son refus pendant l'acte sexuel, donc qu'il s'agit d'un viol.
Elle écrit : « cet homme Zoubeyr se transforma sous mes yeux en un être vil, vulgaire, agressif aussi bien physiquement que verbalement. Par pudeur, je ne donnerai pas ici de détails précis sur les actes qu'il m'a fait subir. Il suffit de savoir qu'il a très largement profité de ma faiblesse, et de l'admiration que je lui vouais. Il s'est permis des gestes, des attitudes et des paroles que je n'aurais jamais pu imaginer. Et quand je me suis rebellée, quand je lui ai crié d'arrêter, il m'a insultée et humiliée. Il m'a giflée. Il m'a violentée. J'ai vu à son regard fou qu'il n'était plus maître de lui-même. J'ai eu peur qu'il me tue. Je voulais partir mais en même temps je n'arrivais pas à croire à la réalité de ce que j'étais en train de vivre, que c'était bien lui, Zoubeyr, qui me traitait ainsi. J'étais complètement perdue. Je me mis à pleurer sans retenue. Il se moqua de moi. Je me souviendrais toujours de ses mots : - alors petite, tu pleurniches ? Arrête de jouer les malheureuses ! Tu ne savais pas ce qu'était un homme, hein ? Eh bien, maintenant, tu le sais ! » (7)
Le système Ramadan : une « mécanique de contrôle et de menaces »
Selon une enquête du journal Mediapart, Tariq Ramadan obtenait le silence de ses victimes présumées par une « mécanique de contrôle et de menaces » (26).
Henda Ayari rapporte de façon très précise dans son livre une conversation avec l'islamologue où ce dernier aurait menacé ses enfants. Après la nuit du viol présumé, Henda Ayari promet à Ramadan de se taire et de rester discrète sur leur rencontre. Mais elle ne tient pas sa promesse et se confie partiellement à son ami Salim, lui racontant qu'elle a rencontré Tariq Ramadan. Tariq Ramadan appelle Henda Ayari le lendemain très en colère et lui dit : « tu n'est pas digne de confiance ! Tu es incapable de tenir ta langue ! Je suis au courant de ce que tu as dit à ton ami Salim hier ! ». Henda Ayari n'en revient pas : elle est certaine que Salim n'a pas pu parler à Ramadan et en conclue qu'elle a été mise sur écoute téléphonique par Ramadan. Elle est alors prise par la colère (p 289 et 290 du livre J'ai choisi d'être libre).
« - T'es un pervers ! Je vais porter plainte contre toi et je suis sûre que tu as maltraité d'autres femmes, je vais les retrouver et elles porteront plainte aussi !
- Henda, me coupa-t-il d'une voix sèche et calme, Henda, tu t'emballes ma chère... Tu ferais mieux de ne plus parler à tort et à travers. Tu devrais savoir que je ne suis pas seul... Beaucoup de gens sont derrière moi, Henda... Tu es surveillée, et nous savons tout de toi. Tout. Le passé comme le présent. Tu as trois enfants n'est-ce pas ? Et tu ne voudrais pas qu'il leur arrive quelque chose... Alors une bonne fois pour toutes, je te conseille de fermer ta bouche. » (7)
Selon l'enquête de Médiapart, tous les témoignages des femmes ayant eu des relations sexuelles avec Tariq Ramadan mentionnent une « emprise » que l'islamologue aurait exercée sur elles, « profitant de son statut d'intellectuel célèbre » (26).
Henda Ayari affirme en outre qu'elle subissait des menaces de l'entourage de Tariq Ramadan (12).
Trouver des alliés pour affronter les menaces
Les enquêteurs qui s'occupent de l'affaire ont découvert que Henda Ayari avait été en contact avec plusieurs détracteurs de l'intellectuel. Notamment, sur une période de six mois, en 2017, Henda Ayari passe 156 coups de téléphone vers un numéro qui correspond à celui de Fiammetta Venner, la compagne et collaboratrice de Caroline Fourest (5). Et Caroline Fourest est connue pour être l'une des principales adversaires de Tariq Ramadan.
Henda Ayari affirme qu'elle avait besoin de trouver du soutien, étant tombée sous l'« emprise » de Tariq Ramadan, et subissant ses menaces et celles de son entourage. Elle avait donc besoin de nouer des contacts pour pouvoir affronter le poids de ces menaces (12).
Entre manipulations, soumission, désirs : une relation très complexe entre Henda Ayari et l'islamologue suisse
Selon les avocats d'Henda Ayari, celle-ci était soumise à une emprise extrêmement puissante de la part de Tariq Ramadan, qui effectuait sur elle d'intenses pressions psychologiques (4).
Dans son livre, Henda raconte l'« emprise » qu'elle vit après la nuit du viol présumé (7) :
« Plus je réalisais ce qui s'était passé dans cette chambre d'hôtel, plus je me sentais mal. (...) Il m'avait dit que je n'étais pas une vraie femme, donc je l'avais déçu. Or je ne voulais pas le perdre. Je ne voulais pas qu'il m'oublie. Je me sentais coupable ! J'étais sous son emprise ».
« Au téléphone, sur Skype, ou par SMS et Facebook, Zoubeyr et moi continuions à dialoguer. Je me sentais comme droguée. (...) j'aimais et je détestais cet homme. Je crevais de trouille qu'il me rejette, et pourtant je ne lui faisais plus aucune confiance. Durant plusieurs mois, je continuai malgré tout à lui parler comme si je lui avais pardonné sa brutalité. Il me parlait de polygamie. Peut-être allait-il m'épouser ? »
« Il me dit qu'il allait organiser son emploi du temps afin que nous nous voyions deux fois par mois, mais que ce serait toujours moi qui le rejoindrai à Paris, et que je devais être disponible quand il me ferait signe. (...) j'avais très envie de le revoir. »
« J'aurais dû aller porter plainte. Mais puisque je n'en avais pas été capable, il fallait au moins qu'il comprenne à quel point il s'était mal conduit, et qu'il me présente des excuses, sincères cette fois. Alors je repris contact. Je lui envoyai à nouveau un SMS, dans lequel je lui dis qu'il me manquait, que j'avais réalisé que tous les torts étaient de mon côté, que je regrettais mon comportement (...). » (7)
Le syndrome de Stockholm
Henda Ayari, après sa nuit avec Tariq Ramadan où elle affirme avoir été violée, semble présenter des symptômes analogues à ceux d'un syndrome de Stockholm.
Elle écrit dans son livre : « Je me sentais comme droguée. » « Je crevais de trouille qu'il me rejette » « j'avais très envie de le revoir. » (7).
Le professeur Edmundo Oliveira écrit : « Parmi les différentes approches scientifiques de la « nouvelle victimologie », une des plus intéressantes nous semble être celle qui s’emploie à étudier la complexité du Syndrome de Stockholm, à partir du sentiment de sympathie ressenti par la victime pour son agresseur, ce qui conduit cette dernière à se laisser aller jusqu’à adopter une attitude pouvant atteindre la soumission totale. » (17)
Le psychiatre américain, Frank Ochberg, qui a inventé le terme de syndrome de Stockholm, définit parmi les critères de ce syndrome « de l’attachement voire de l’amour » de la victime pour l'agresseur (27).
Cela est d'autant plus plausible dans le cas d'Henda Ayari que celle-ci déclare dans son livre que, avant de rencontrer Tariq Ramadan, elle s'était dit : « Bien sûr, il fallait que je fasse très très attention, je me connaissais, je savais que je risquais de m'emballer, j'étais capable de tomber folle amoureuse de lui, or il n'en était pas question : il était marié, je le savais ! ». Donc une attirance pour le théologien préexistait (7).
Les messages troublants de Henda Ayari à Tariq Ramadan
Henda Ayari a envoyé des centaines de SMS à Tariq Ramadan après la nuit du viol présumé.
Ses avocats expliquent que pour comprendre ces messages qu'elle a envoyés à Ramadan, il faut impérativement les replacer dans un contexte très spécifique qu'ils présentent ainsi : Henda Ayari « était sous l'emprise d'un homme qui exerçait sur elle des pressions psychologiques extrêmement fortes. Des menaces de mort ont également été formulées [...]. La manipulation est le mode opératoire habituel de M. Tariq Ramadan. Nous le démontrerons devant la justice et non devant les médias. » (4)
Les messages envoyés par Henda Ayari pendant l'été 2014, deux ans après la nuit du viol présumé, font partie des plus troublants. Elle dit notamment à Tariq Ramadan qu'il lui manque. Et dans un de ses messages, elle lui écrit : « Bon je te propose un week-end complet. Tu m'invites dans un hôtel sympa. Si possible avec grande baignoire. On va kiffer tout le week-end », message suivi d'autres messages à caractère sexuel (3).
Henda Ayari, interrogée sur ces messages par les policiers le 12 décembre 2017, deux mois après avoir porté plainte contre Ramadan, explique pourquoi elle écrivait cela à Tariq Ramadan :
« je voulais le manipuler, prendre le dessus sur lui » « je voulais me prouver que je n'étais pas une femme faible et soumise. (...) je voulais le faire souffrir pour me venger (...), qu'il soit en demande de moi pour qu'il souffre autant que j'avais souffert. ». Devant les juges, le 24 mai 2018, elle leur réaffirme qu'elle voulait prendre « une sorte de revanche » (11).
D'une manière générale, il faudra donc assister au procès et aux plaidoiries des avocats d'Henda Ayari pour comprendre dans quel contexte se situe chacun des messages d'Henda Ayari, de quelle pièce du puzzle il s'agit et quelle est sa signification exacte. Mais cette proposition par Henda Ayari d'un week-end érotique avec Tariq Ramadan illustre le fait que, d'une manière générale, les échanges épistolaires qui ont suivi la nuit du viol présumé entre Henda Ayari et Ramadan montrent que leur relation n'est pas simple à décrypter.
Autre exemple, le 6 juin 2013, un an après la nuit du viol présumé, Henda Ayari écrit à Tariq Ramadan qu'elle n'a « pas la moindre rancoeur » contre lui, même si elle ne désire plus continuer la relation avec lui. Et, selon un journaliste du Parisien, les messages d'Henda Ayari envoyés à cette époque montrent toute l'admiration qu'elle éprouvait encore « pour cet homme qui a su fédérer de nombreux adeptes ». Elle lui écrit par exemple : « Tu as tes défauts comme moi mais aussi des qualités alors stp ne me bloque plus. Ne me prive pas de ta page et laisse-moi juste lire tes beaux écrits que j'ai toujours aimés tant lire pour méditer dessus. » » (4).
Autre exemple encore, dans d'autres messages envoyés au théologien, elle fait allusion à certaines personnes qui l'auraient influencée. Elle écrit à Tariq Ramadan pendant l'été 2014, soit deux ans après la nuit où elle aurait été violée : « des personnes qui te haïssent m'ont monté la tête contre toi en te faisant passer pour un monstre pervers et sans cœur. », et : « À l'époque, j'étais pas bien et instable psychologiquement à cause de mes blessures du passé. Je regrette mon comportement et surtout d'avoir été influencée par des parasites extérieurs contre toi malgré tout. Je ne pourrai jamais t'oublier et j'ai de l'affection et de la bienveillance pour toi et je sais que toi aussi. » (3), et encore : « Une certaine personne m'a vraiment monté contre toi et m'a dit des choses très graves sur toi. Je l'ai crue et je le regrette car par la suite j'ai constaté que c'était une folle et une hystérique. Je pense qu'elle m'a menti sur beaucoup de choses te concernant. » (4)
Des failles que pourrait exploiter l'avocat de Tariq Ramadan
On reproche à Tariq Ramadan d'avoir menti.
Mais Henda Ayari elle aussi a fait des déclarations contradictoires. Par exemple, elle avait dit dans un premier temps ne pas avoir eu de contact avec Tariq Ramadan après le viol présumé (2), qui s'est déroulé au printemps 2012. Or cela est faux. Elle a été en contact avec lui longtemps après, comme elle l'a reconnu par la suite (4). Il est clair qu'Emmanuel Marsigny, avocat de Tariq Ramadan, pourra s'en servir contre elle.
Dans le même registre, Emmanuel Marsigny pourra aussi se servir des différences entre la version du viol racontée par Henda Ayari dans son livre, et la version qu'elle a donnée sur les plateaux de télé après avoir portée plainte contre le théologien suisse.
En effet, par exemple, lorsque Henda Ayari se rend sur le plateau de télé de Bfm TV, elle donne une version sensiblement différente (voir l'article Agoravox qui analyse les différences entre les deux versions données par Henda Ayari : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/henda-ayari-la-femme-qui-accuse-213383).
L'avocat de Tariq Ramadan, Emmanuel Marsigny, un homme habile, pourrait tenter d'exploiter ces variations de versions de Henda Ayari lors du procès : cela lui permettrait de mettre en balance les changements de versions de Tariq Ramadan avec les changements de versions de Henda Ayari.
Pourquoi Tariq Ramadan a-t-il menti ?
En octobre 2018, Tariq Ramadan a avoué sans détour qu'il avait menti lorsque, pendant un an, il a prétendu ne pas avoir eu de relation sexuelle avec Henda Ayari.
Tariq Ramadan avait conservé près de 400 textos échangés entre lui et Henda Ayari datant de septembre et octobre 2012, soit quelques mois après la nuit du viol présumé. Son avocat ne remet à la justice ces 400 textos que le 19 octobre 2018, soit une année après que Tariq Ramadan ait été accusé de viol par Henda Ayari en octobre 2017 (11). Il le fait au moment où Christelle, une autre plaignante, produit elle aussi des SMS qui démontrent que Tariq Ramadan a menti. D'après l'avocat de Tariq Ramadan, Christelle disait « qu'elle avait perdu son téléphone. Poussée dans ses retranchements, elle a été contrainte de fournir son téléphone portable » (14 - vidéo à 3mn35s).
L'avocat de Tariq Ramadan explique le mensonge de son client en disant ceci : « Il a voulu protéger sa vie privée, sa famille, éventuellement son statut d'homme public et il a dû attendre de très nombreux mois que les investigations lui permettent enfin de libérer sa parole. » (9)
Son avocat ajoute : « Aujourd’hui il peut reconnaître avoir eu des relations sexuelles en toute sécurité juridique puisqu’on est aujourd’hui en mesure de démontrer que ces relations étaient souhaitées et consenties. » (9) « il est soulagé que l'enquête ait permis d'apporter les éléments matériels qui démontrent qu'il n'y a jamais eu de relations imposées ni forcées » « Dans cette affaire, on est allé trop vite, on l'a accusé, placé en détention sans rien vérifier. Si nous avions eu ces éléments matériels depuis le début, alors on aurait pas été dans cette situation » (14)(23).
Son avocat dit aussi que Tariq Ramadan n'aurait pas dû « nier bêtement » pendant des mois (10).
Devant les juges, en octobre 2018, Tariq Ramadan déclare aux sujets de ses mensonges (20) :
« C'était une position bête et je l'admets. Je me suis enfermé là-dedans bêtement »
« J'ai vraiment pensé qu'on allait aller vers un non-lieu. J'étais à mille lieues de penser... Alors, aujourd'hui, en repensant à ces trois mois (entre les dépôts des plaintes et sa garde à vue, ndlr), je me dis que j'ai été d'une grande naïveté ».
Les juges, après lui avoir rappelé ses mensonges répétés devant eux, lui demandent : « Que valent vos nouvelles déclarations ? » .
Il répond : « Je suis soulagé parce que j'ai dit une parole de vérité. Ce qu'elles valent, avec ce que vous avez sous la main maintenant, c'est que vous savez qu'il y a eu relation consentie sans viol ».
Pour synthétiser tout cela, on pourrait dire que Tariq Ramadan a menti parce qu'il espérait pouvoir sortir de prison rapidement et qu'il n'aurait pas à déballer sa vie intime : celle-ci est en total désaccord avec ce qu'il professe à ses auditeurs musulmans, c'est à dire être fidèle à leur épouse. Un peu curieusement, les dires de son avocat pourraient aussi laisser entendre que Ramadan voulait peut-être pousser Christelle dans « ses retranchements » : en niant les relations sexuelles il la mettait sous pression et l'inciter à prouver ce qu'elle disait, donc à dévoiler le contenu de son téléphone portable « perdu ». Ce contenu est à double tranchant : d'un côté il prouve que Ramadan a eu des relations sexuelles avec Christelle, et d'un autre, il pourrait suggérer que ces relations étaient consenties. Ramadan avait donc peut-être estimé intéressant que Christelle donne à la justice ce portable. Dans ce cas là, on pourrait dire que Ramadan avait un double intérêt à mentir : protection de son image et aussi faire pression sur Christelle.
L'enquête du journal Le Monde, les souffrances d'Henda Ayari
Le journal Le Monde a lu les 400 SMS échangés entre Henda Ayari et Tariq Ramadan entre septembre et octobre 2012, soit quelques mois après la nuit du viol présumé.
Au vu de ces SMS, Le Monde estime que ceux-ci « accréditent la thèse d’une relation sexuelle consentie avec le théologien ».
Vous pouvez vous renseigner sur le contenu de cette enquête ici :
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-surprenante-enquete-du-journal-210075
En voici le résumé :
Pour le moment, Henda Ayari a toujours déclaré n'avoir passé qu'une seule nuit avec Tariq Ramadan, celle du viol présumé.
Le 17 septembre 2012, donc quelques mois après la seule nuit passée avec Ramadan, Henda Ayari lui envoie le SMS suivants (11) :
« Viens me voir à Dijon on pourrait profiter un peu l'un de l'autre tu penses pas (...) J'espère vraiment que tu as gardé un bon souvenir de moi comme moi de toi même si c'était court (...) Envie de prendre mon temps pour te découvrir (...) t'apaiser avec mes caresses et ma douceur mon lyon (sic) t'es le seul homme qui me fait cet effet j'espère que toi non plus tu m'as pas oublié ni oublié ces bons moments qu'on a partagés une seule fois certes, mais si fort et intense pour moi inoubliable et toi dis-moi ce que tu en as pensé stp ».
Tariq Ramadan répond : « C'était bien, mais si tu t'étais lâchée cela aurait pu être mieux encore. Je sais que tu m'aimes, que tu veux être mienne (...) T'es une jalouse et tu veux tout me donner. Je sais que tu souffres depuis moi. Alors donne tout à ton maître et obéis à ton amour » (6).
Remarquez que Henda Ayari dit à Tariq Ramadan qu'elle a gardé un bon souvenir de lui « même si c'était court ». Elle lui dit aussi que le seul moment qu'elle a passé avec lui était un « bon » moment, « fort et intense », et même « inoubliable ». Lorsqu'elle écrit ces messages, soit elle est en train de jouer une comédie à Ramadan, soit elle n'a pas été violée.
Le journal Le Monde en déduit pour sa part que les SMS accréditent la thèse d'une relation consentie. Et il semblerait que les principales souffrances de Henda Ayari soient dues au fait que, après cette nuit du viol présumé, elle avait du mal à joindre Tariq Ramadan, qui ne lui répondait pas assez à son goût. Et elle déclare être « jalouse » des autres maîtresses de Ramadan.
Comment Henda Ayari peut-elle expliquer la teneur de SMS envoyés à Tariq Ramadan après la nuit du viol présumé ?
Les policiers qui ont analysé eux aussi les SMS « enamourés envoyés par Henda Ayari pendant plusieurs mois après le viol présumé » (28) estiment également qu'ils « mettent à mal les déclarations et les accusations » de la plaignante. Mais en mars 2019, lorsque les juges refusent la « démise en examen » de Tariq Ramadan, ils affirment que les policiers enquêteurs n'ont pas tenu compte des explications d'Henda Ayari sur ces SMS (28). A priori, ces explications sont pour le moment celles que l'on peut lire dans l'enquête du journal Le Monde citée ci-dessus : « je voulais le manipuler, prendre le dessus sur lui » « je voulais me prouver que je n'étais pas une femme faible et soumise. (...) je voulais le faire souffrir pour me venger (...), qu'il soit en demande de moi pour qu'il souffre autant que j'avais souffert. »
Ces explications sont intrigantes : le meilleur moyen de faire souffrir Tariq Ramadan n'était-il pas de porter plainte contre lui ?
Les avocats d'Henda Ayari devront donc faire la lumière sur toutes les questions que posent la lecture des SMS entre Henda Ayari et son violeur présumé.
Henda Ayari, une femme « cleenex » ?
En ce qui concerne Christelle, autre plaignante, j'avais étudié l'hypothèse dans mon article précédent qu'elle ait voulu se venger de Tariq Ramadan après qu'il l'ait trahie affectivement (www.agoravox.fr/tribune-libre/article/tariq-ramadan-et-christelle-viol-208739).
En ce qui concerne Henda Ayari, le visionnage de ses vidéos donne le sentiment qu'elle était une femme sans malice, et très sincérement blessée par la violence qu'elle a subie après avoir accusé Ramadan en octobre 2017. Il semblerait qu'il était très dur pour elle de ne pas être crue. Son passage télé dans l'émission « C à vous » est très touchant. Elle semblait très atteinte de n'avoir été soutenue ni par sa famille ni par les associations (16). Sa tristesse est palpable. Cela laisse penser qu'elle est de bonne foi lorsqu'elle dit avoir été violée. Elle donne la sensation d'avoir souffert et d'être honnête. Mais a-t-elle vraiment subi un viol ? Comment a-t-elle vraiment vécu intérieurement cette rencontre charnelle avec Ramadan il y a 6 ans maintenant ?
Rien n'empêche que Henda Ayari effectue ajourd'hui une relecture différente de la nuit passée avec Tariq Ramadan et qu'elle fasse cette relecture en toute sincérité.
Le frère d'Henda Ayari a déclaré : « Je sais que psychologiquement elle est folle. Elle est déséquilibrée. [...] C'est une grosse mythomane. Elle est manipulatrice. Elle a plusieurs personnalités. » (18). Selon l'avocat de Ramadan, la famille de Henda Ayari affirme que la seule chose qui intéressait Henda Ayari, c'était la notoriété. Sa famille contesterait même le fait que Henda Ayari ait été salafiste, contrairement à ce qu'elle raconte dans son livre. L'avocat de Ramadan affirme aussi que même des personnes dont Henda Ayari demande l'audition pour venir la soutenir disent qu'elle est mythomane (19).
Or la mythomanie consiste justement à croire à ses propres « mensonges ».
En outre, il y a eu probablement lors de la nuit avec Ramadan des gifles et étranglements, ce qu'elle n'a pas trop apprécié vu ce qu'elle écrit dans un SMS : « tu me baises bien mais plus de gifles ou d'étranglement, c'est bien clair ! » (29). Si effectivement elle a eu une relation sadomasochiste avec Tariq Ramadan pendant leur seule rencontre, elle peut très facilement affirmer aujourd'hui qu'elle a été violée. Une relation sadomasochiste n'est-elle pas une sorte de simulation de viol consentie ? La distance entre un viol et une simulation de viol peut se révéler très faible dans la mémoire d'une femme qui a été au contact des aversaires de Tariq Ramadan peut-être pendant plusieurs années...
Il paraît assez évident qu'Emmanuel Marsigny, avocat de Tariq Ramadan, exploitera cet angle d'attaque : montrer la « collusion » entre les « victimes » de Tariq Ramadan et les adversaires de ce dernier.
Dans son livre « J'ai choisi d'être libre », Henda Ayari décrit clairement une scène de viol, dont l'auteur est Zoubeyr, alias Ramadan. Elle termine son chapitre sur Zoubeyr en disant : « ces dernières années des rumeurs ont couru : il aurait un nombre impressionnant de maîtresses, qu'il consommerait et jetterait comme des Kleenex. Ce n'est déjà pas très brillant pour un déontologue de l'islam. Mais ce qui est beaucoup, beaucoup plus grave, c'est que certaines auraient eu, elles aussi, à lui reprocher un comportement bestial et dégradant. Une ou deux l'ont d'ailleurs fait officiellement savoir au travers des réseaux sociaux. Elles ont même dénoncé ouvertement ses agissements. Puis, étrangement, elles ont disparu de la circulation... Pour ma part, je peine à oublier le comportement pervers et manipulateur de Zoubeyr. Et je pense que d'autres femmes espèrent comme moi qu'il sera un jour puni » (7).
Notez que les autres maîtresses de Ramadan, même si elles sont très critiques envers lui, ne disent pas qu'elles ont été violées. Ce type de description peut laisser penser que ces femmes, sur le moment, ont accepté des relations sexuelles brutales, puis, après avoir été « jetées comme des Kleenex », rétrospectivement, ont décidé que, finalement, ces relations sexuelles brutales n'étaient pas acceptables. C'est un peu le scénario que je décrivais dans mon article précédent : (www.agoravox.fr/tribune-libre/article/tariq-ramadan-et-christelle-viol-208739).
Conclusion
Il me semble que prévoir l'issue du procès serait tout à fait hasardeux. La défense de Tariq Ramadan pourra exploiter et mettre en valeur d'autres scénarios que celui du viol. Les avocats d'Henda Ayari vont devoir recontextualiser les messages qu'elle a envoyés à Tariq Ramadan pour démontrer que le scénario du viol est plausible et que les autres scénarios ne sont pas crédibles. Leur tâche ne sera, selon moi, pas forcément évidente.
Claude Gracée
(5) https://www.20min.ch/ro/news/monde/story/-Il-m-a-etranglee-tres-fort-et-giflee-violemment—28064275
(7) https://books.google.fr/books?hl=fr&id=P_0_DQAAQBAJ&q=Zoubeyr#v=snippet&q=Zoubeyr&f=false
(8) https://www.youtube.com/watch?v=mauHAY_QAMo
(12) https://www.20min.ch/ro/news/monde/story/-Il-m-a-etranglee-tres-fort-et-giflee-violemment—28064275
(15) https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/tariq-ramadan-et-christelle-viol-208739
(16) https://www.youtube.com/watch?v=aDJ1_IIkZS0
(17) https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2005-1-page-167.htm
(21) http://madame.lefigaro.fr/bien-etre/se-reconstruire-apres-un-viol-020316-113087
(22) https://www.letemps.ch/monde/tariq-ramadan-vise-une-nouvelle-plainte-viol-dune-violence-inouie
(27) https://www.letemps.ch/societe/syndrome-stockholm-40-ans
(29) https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-surprenante-enquete-du-journal-210075
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