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Accueil du site > Tribune Libre > Que veut le peuple ?

Que veut le peuple ?

Tout a été dit semble-t-il sur le déroulement et les rouages de la campagne en cours, qui prendra fin - raisonnablement - à l’issue des législatives prochaines. On en voudra peut-être à un amateur de prendre la plume pour ajouter un commentaire. Qu’il me soit d’avance pardonné...

"Je songe à cette armée de fuyards aux appétits de dictature que reverront peut-être au pouvoir, dans cet oublieux pays, ceux qui survivront à ce temps d’algèbre damnée." Lorsqu’en ses "Feuillets d’Hypnos" René Char prend cette note, s’il parle non de l’oublieuse nation, mais de l’oublieux pays, c’est que celui-ci a cessé pour un temps d’être celui-là. Période aujourd’hui bien lointaine, dont il faut nous interdire dès l’abord de trop filer la métaphore.
Le temps semble néanmoins venu de s’interroger, tant il est fascinant et troublant de constater, puis d’observer, les mouvements qui firent trembler ces derniers mois l’étale et sage eau de la pensée post-révolutionnaire. L’onde, ensuite la diffraction, rayonnantes, apparurent étrangement consensuelles : nombre d’intellectuels d’origine gauchiste ou du moins marxisante rangèrent leur bannière sous celle, déjà flamboyante mais si peu avant sulfureuse, du futur président de la République française.
Pas un instant bien sûr ne me vient l’idée de remettre leur sincérité en doute.
Un tel maelstrom politico-intellectuel m’a cependant laissé interdit. Un célèbre post-philosophe français n’a-t-il pas déclaré que Sartre sans doute aurait pu (pour autant qu’il ne dût pas) soutenir Nicolas Sarkozy - leurs luttes se trouvant plus de coïncidences qu’on ne l’imagina ? Un autre de ces thuriféraires, l’historien français aurait pu l’appeler Claude Simon, ne laissa-t-il pas derrière lui son parcours mitterrandien puis chevènementiste pour rallier la cause de l’homme providentiel ? L’un, l’autre, et d’autres encore qu’il faudrait mentionner, ne peuvent à la légère être accusés de trahison, et encore moins condamnés ; au nom de quoi, en effet ? Il ne peut qu’exister une ou plusieurs raisons qui les firent ainsi basculer, ou plutôt migrer, parfois insensiblement, et qui ne me paraissent relever ni de la crainte ni de la flagornerie - dont, passé l’âge, on ressent moins le désir ou la violence.
La question dès lors ne peut s’éviter : si ce n’est ni l’une ni l’autre de ces passions dont Spinoza voulait que nous fussions gardés, qu’était-ce qui les poussait ainsi à fuir ou bien renier les combats de la jeunesse ?
Ainsi, réflexion parallèle, dans ce vaste et consensuel mouvement, même les politiques, dont on connaît dans l’affolement ou le calcul la capacité à varier de position, ne peuvent-ils être trop facilement taxés de trahir ; ce qu’ils trahissent, ne s’est-il pas trahi, sabordé, suicidé un instant ou bien un temps auparavant ?
Ces dernières semaines furent l’occasion pour plus d’un de s’expliquer ; ce qui semble l’emporter dans les proclamations, nettement, est l’amour de la patrie, dont il semble acquis qu’un seul pourrait la relever de ses cendres. Il est ordinaire ces jours-ci de comparer la présidence de la France à son ancienne royauté, sans doute parce qu’ayant tué son roi, le peuple français exige des intérimaires, ainsi que le prévoyait Chateaubriand. Toutefois, si nous n’allons pas, malgré les apparences, jusqu’à considérer le nouvel élu comme un roi, il faut bien admettre qu’il est l’homme providentiel dont le pays aime à se doter de temps à autre. C’est un peu comme si la France se laissait sombrer un moment, afin d’entrer dans une Renaissance sans cesse réinventée.
Qu’est-ce donc qui est à l’œuvre dans ce contre-mouvement, dans ce remuement réactif, sinon ce que Char décrivait dans ses feuillets comme l’effondrement de l’instinct de conservation, "sous les exigences de l’instinct de propriété" ? "Hostiles aux frissons de l’atmosphère", nos contemporains, à la fois contrariés dans leurs espérances et inquiets quant à l’avenir incertain que l’on ne promet plus, trouvent refuge dans les mots sans lendemain, le miroir de leurs craintes, l’espoir à bon compte.
Le temps étant aux attaques ad hominen, gardons-nous soigneusement d’en user ; gageons qu’aux ruptures plus ou moins douces ou logiques prévalait une espérance ou bien un doute.
Ce qui toutefois ne laisse d’inquiéter au spectacle de ces revirements, c’est qu’ils semblent refléter ceux du chef de l’Etat (pour le chrétien, M. Sarkozy est chrétien ; pour le juif, il l’est aussi ; pour l’intellectuel, il est fin et sagace ; pour l’homme de la rue, il est franc et honnête ; pour le franc-maçon, il pourrait bien en être aussi ; pour l’homme riche, il est un protecteur ; pour l’homme pauvre, aussi ; il n’est peut-être que le dernier des misérables qui ne puisse se retrouver en lui, et le musulman, quoiqu’il s’affirme suffisamment être le garant et le défenseur de sa religion pour en paraître lui-même un adepte. C’est un fait : M. Sarkozy, apôtre d’un dieu inconnu, sinon de lui-même, est tout pour tous, et chacun pour chacun. On est parfois étonné de ne pas le découvrir à la porte en rentrant chez soi, dans l’attente d’une amicale invitation entre voisins) ; où sont aujourd’hui les Aron qui reprenait de celui-ci le lointain prédécesseur lorsqu’il qualifiait un peuple tout entier sans égard pour les nuances ? C’est à l’heure où l’attention devrait se porter précisément aux nuances et plus ou moins subtiles altérations du discours que ceux-là mêmes dont c’est la tâche s’en acquittent le moins : ils préfèrent le ralliement. "On peut se demander, écrivait ainsi Aron dans ces anciennes circonstances, si, en fonction même de l’intérêt national, il n’eût pas mieux valu pratiquer ce retournement, si conforme aux lois non écrites de la jungle internationale, en un style moins provoquant." A l’international près, on peut se le demander aussi dans les circonstances qui nous occupent.
Quel est notre devoir ? Il faut être exigeant, tant cette exigence est le soutien nécessaire à la vie, le fil qui ne rompt pas. Sans elle, il n’est pas de vérité, ni de témoin. Et si parfois les mots ou les actes semblent déplacés - s’ils ne le sont - c’est qu’ils naissent de l’exigence que nous devons à ceux dont nous exigeons : ils sont nos fanaux, nos éclaireurs, ceux dans les mains desquels une part de notre destin est déposé.
En retour au préambule, sachons aussi nous méfier de ce qui paraît inopportun : en ces temps de mémoire troublée, où l’on oublie ce que résister signifiait en certaine période héroïque (pour quelques-uns, honteuse pour d’autres), il n’est pas inutile en effet de rappeler que cette notion n’est pas essentiellement attachée à ces quelques années, et que la résistance peut exister non seulement à l’encontre de l’ennemi visible, meurtrier et terrifiant, mais aussi à celle de cette violence abstraite où nous contraint l’image, mêlée d’effroi et de lâcheté. Qu’il soit admis que résister n’est ni univoque ni attaché au seul barbare, épouvantail aujourd’hui bien utile pour éviter qu’on emploie ne serait-ce que le vocable.
Ainsi, que dira-t-on ? Que si la vérité est une image, il appartient à la poésie et au poète de révéler cette image. Que si l’essence de l’art comme présence de l’homme au monde est la poésie, il appartient alors au poète de parler. Ce n’est pas nécessairement au travers des médias que cet être providentiel-là se fera entendre, mais sa voix doit passer. Non pas pour accuser tel ou tel, encore moins pour intenter de vains procès, mais, évitant l’élude, pour avertir, pour interroger le temps et les comportements, pour affuter les sens défaillants d’une contemporanéité perplexe.


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4 réactions à cet article    


  • Nicolas Nicolas 24 mai 2007 00:39

    La France, tu l’aimes ou bien tu la quitte.


    • La Taverne des Poètes 24 mai 2007 09:12

      Merci pour cet hommage à René Char. Quant à l’esprit de résistance, il se met en ordre de marche cat il habite le coeur de tout citoyen de notre pays. La France n’a jamais accepté la tyrannie. C’est dans son Histoire. La France, on la respecte ou bien on en quitte la tête !


      • pifo 25 mai 2007 12:49

        En français ça veut dire quoi ?

        Désolé, mais le langage trop élaboré de l’auteur m’a fait perdre le fil de son topo.


        • craven 25 mai 2007 20:15

          En ces temps incertains et d’inculture notoire cet hommage à René Char tout en citant Aron et Chateaubriand laisse entendre que la machine à produire du non sens n’a pas encore tout laminé, tout nivellé. Il existe encore ici et là des espaces de liberté où il me plait d’entendre des idées autres que celles des pseudo intellectuels qui encombrent l’espace d’un discours aussi pailleté que vide et devant lesquels se pâment les saltimbanques à la petite semaine des médias.

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