Quelle est donc cette « éthique » d’Endemol que Miss France 2008 aurait violée ?
Ça surprend, mais « la société Miss France » qu’on ne croyait soumise qu’à l’étiquette, obéit sans rire à une éthique. Elle a beau être une filiale d’« Endemol France », cette officine pionnière de la « télé-réalité » dont la seule « réalité » se limite au voyeurisme qu’elle stimule et au plébiscite qu’elle rencontre, elle ne plaisante pas avec l’éthique.
L’ire de Mme de Fontenay
La présidente du « Comité Miss France » en a perdu son chapeau d’indignation ; ça lui évitera de le manger. Des photos de Mlle Valérie Bègue, prises bien avant son élection et publiées par un magazine spécialisé, ont été jugées contraires à cette « éthique » par Mme de Fontenay : « Ce n’est pas l’image qu’on souhaite véhiculer », clame-t-elle, sans plus de précisions sur le type de véhicule préféré. Elle estime désormais « cette fille indigne » du titre. Elle la presse de démissionner, selon l’agence Reuters, « si elle a un peu de courage et un peu de dignité ». « Je ne me vois pas me promener dans mes provinces escortée d’une fille comme ça », dit-elle encore selon Le Monde.fr du 21 décembre, en la menaçant d’engager une procédure de destitution.
La question est de savoir quelle éthique cette miss a bien pu méconnaître pour mériter un tel réquisitoire ? « Les candidates à Miss France, est-il répondu, signent un contrat dans lequel elles s’engagent à n’avoir jamais posé ou s’être exhibées et s’interdisent de poser dans des tenues ou poses équivoques ou totalement dénudée. »
Une éthique singulière
1- Le sexisme
Singulière éthique tout de même pour une telle entreprise ! On avait cru au contraire que son objectif était calqué sur celui des comices agricoles d’autrefois qui faisaient concourir le bétail du canton pour le titre de la plus belle bête. Ne se réduit-il pas, lui aussi, à exhiber, y compris en maillot de bain, une trentaine de jeunes femmes dont on égrène à plaisir les mensurations de hanches, de taille et de poitrine ? Et un jury d’experts du niveau d’un Patrick Bruel comme cette année, n’a-t-il pas pour fonction de distinguer les trois pouliches qu’il estime les plus remarquables parmi les plus belles. Le mot de « fille », d’ailleurs, employée par Mme de Fontenay pour désigner Mlle Bègue, dit assez le statut respectable qu’elle lui assigne, tout comme le possessif dans « mes provinces » rappelle comiquement une appropriation qu’on croyait réservée au roi sous l’Ancien régime. Si c’est pour signifier que ce concours de bétail est vraiment d’un autre âge, c’est réussi !
Mais on a assez épilogué sur ce ravalement des femmes à un statut de bêtes de compagnie pour qu’il faille insister. Cette compétition, déjà inepte pour l’arbitraire qui décide qu’un être est plus beau qu’un autre, est une des séquelles du sexisme qui prévaut depuis des millénaires dans la relation hommes-femmes.
2- L’exhibitionnisme
S’agit-il, en effet, de mesurer au jugé autre chose que la puissance du leurre d’appel sexuel incarné par les candidates ? Et à quoi se jauge-t-elle, cette puissance, sinon au réflexe d’attirance, dont l’intensité varie selon le cadre de référence de chacun, pouvant aller jusqu’à la fascination du voyeurisme ? La femme confinée dans le rôle d’un objet sexuel est un lieu commun que le féminisme combat depuis longtemps. Mais s’il perdure, c’est aussi parce que nombre de femmes se prêtent volontiers au jeu et s’entendent pour en faire une arme efficace.
3- L’arrivisme
Ces demoiselles savent qu’au siècle de l’image, « le médium est le message », selon le mot de Mac Luhan. Une des interprétations de ce paradoxe est précisément l’empire qu’exerce un leurre d’appel sexuel sur son destinataire, sans même avoir évidemment à tenir la promesse qu’il contient : qu’importe les sornettes que débite une jolie fille ! Tout lui est permis, on reste subjugué par sa grâce. Un personnage d’Albert Camus, Jean-Baptiste Clamence, le héros de La Chute, raconte qu’il perdait aisément le fil d’une conversation avec un ami dans la rue pour peu que passât à proximité « une ravageuse ».
Le raccourci est tentant pour qui veut arriver vite puisqu’un corps bien fait vaut mieux qu’une tête bien faite : les petites pépées qu’on voit plastronner à la télévision, en apportent la preuve tous les jours.
Les pièces à conviction
Une telle « éthique » sexiste, exhibitionniste, et arriviste de la maison Endemol France autorise-t-elle à reprocher à une jeune femme d’avoir dévalé sans attendre la pente qu’elle encourage à descendre ? On entend bien que cette « éthique » étique, si elle y pousse, prétend tout de même contenir l’exhibitionnisme sexiste dans certaines limites « convenables » qui excluent « l’équivoque ».
Le Monde, peu averti, qualifie les photos de Mlle Bègue de « suggestives ». Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Toute photo est « suggestive » dès lors que, structurellement, elle se compose de procédés d’insinuation comme la métonymie, l’intericonicité, l’ambiguïté volontaire, voire la parodie et bien d’autres encore. Si le journal veut souligner leur sujet sexuel, quoi de plus appropriés que ces procédés d’insinuation puisque l’activité sexuelle humaine est d’abord cérébrale ?
Parmi les photos incriminées, il en est deux, par exemple, où la prétendue « suggestion » est en fait provoquée par l’intericonicité qui conduit à reconnaître une image connue dans une image nouvelle.
- Sur l’une, on voit Mlle Bègue lécher le contenu d’une boîte de lait concentré répandu sur un rocher ; la posture élégante tient à l’évidence de la chienne ; mais l’ambiguïté volontaire ouvre sur une autre image qu’on peut reconnaître si, dans son cadre de référence, on a gardé trace de certain rituel prisé de la pornographie pour qu’une autre association non moins élégante se produise.
- Sur l’autre photo, l’intericonicité se double d’une parodie aussi distinguée : Mlle Bègue s’offre en maillot de bain, bras écartés sur une croix. Même si elle flotte à la surface d’une piscine, elle singe bêtement à l’évidence le crucifix chrétien. Mais par ambiguïté volontaire, sa tenue renvoie à une tout autre aventure appartenant à un autre rituel pornographique sado-masochiste. Une affiche d’un film de Jacques Richard, Ave Maria, avait déjà risqué la parodie en 1984.
Pour sa défense, Mlle Bègue aurait assuré que ces photos étaient anciennes, qu’elles ne lui avaient rien rapporté - c’est vraiment impardonnable ! - et qu’elles avaient été publiées sans son consentement. À vrai dire, où est la contradiction entre ces postures raffinées et sa candidature au concours de Miss France ? Mlle Bègue répétait déjà son rôle, ou plutôt... le bégayait. Les trois règles de l’éthique de « la Miss Endemol France » sont respectées à la lettre : sexisme, exhibitionnisme, et arrivisme. Paul Villach
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