Quelle(s) responsabilité(s) de quelle presse dans ce qui nous pend au nez ?
La presse des baronnies du siècle dernier a muté par percolation numérique. Ses avatars du web vont-ils pour autant jusqu’à payer d’une insolence répugnant naguère à sa respectabilité la vulgarisation pédagogique de certaines vérités ? Rien n’est moins sûr.
Jusqu’à ce qu’internet bouscule leur entre soi, nos grandes écuries de presse observaient une rigidité protocolaire brocardée à juste titre par leurs homologues anglo saxonnes : une déférence d’autant plus marquée pour l’incarnation de l’ordre établi que celle-ci siégeait haut dans l’ordre des notabilités.
Aucun écart de langage, aucune impertinence à résonance subversive n’étaient pour elles suffisamment proscrits, dès lors que l’ordre républicain, l’équilibre du système ou un consensus social trompeur leur paraissaient tant soit peu menacés. Non seulement le politiquement correct et l’auto censure étaient roi, mais l’auto modération militante était exigée des grands et petits témoins de leur temps, invités à s’exprimer dans leurs honorables tribunes.
Dieu merci, l’irruption numérique de l’insolence anglo saxonne fit voler en éclats ce filtre cadenassé sur la presse papier et audiovisuelle par les gardiens du temple. Or, en même temps que la gratuité, l’explosion du web révéla la pertinence et le foisonnement inédits d’éditoriaux et d’analyses incroyablement spécialisés. En quelques années seulement, ceux qui, à l’aube du 21ème siècle, tenaient encore le haut du pavé médiatique se voyaient ainsi assignés à modeste résidence dans la sphère devenue universelle de la communication.
La presse traditionnelle dut s’adapter dans l’urgence, sous peine de disparaître, donnant précipitamment dans la gratuité et dans la démocratisation du journalisme. Chaque chapelle éditoriale y alla alors de son blog, de son club, de son cercle ouvert à tous et à toutes les publicités, ramenant peu à peu une part non négligeable de ses fidèles, hélas, sans en ramener totalement les recettes. Néanmoins, les stratégies de reconquête étaient bel et bien en place, qui tendent encore à pallier les pertes. Des territoires de pêche efficacement « bromégés » en scoops alléchants continuent en effet de ramener au bercail et « en conscience » ceux des égarés qui consentent à revenir aux fondamentaux de l’économie de marché. D’articles en accès libre seulement partiel en articles gratuits drastiquement limités en nombre ou réservés aux seuls abonnés, l’émanation numérique de la presse payante a fini par voir le jour.
Sous réserve de pertinence, il paraît que l’on peut désormais tout dire dans cette presse réputée émancipée… enfin, tout sauf aller jusqu’à lui mettre à dos des contingents d’opinions parfaitement quantifiés, autant de clients potentiels susceptibles de déserter la gazette à la première imprudence. De fait, force est de constater que ces tribunes numériques parrainées ne sont en réalité que les sanctuaires du débat feutré et inoffensif de naguère, sur lesquelles des censeurs ombrageux et discrets continuent de veiller à la bienséance du langage autant qu’à celle de l’argumentation : pas question d’y déborder aussi peu que ce soit le plus petit dénominateur commun du consensus mou. Bref, ces ersatz de Think tank flatteusement auréolés de la bannière des parrains contribuent avant tout à en élargir le spectre commercial…
Gare aux agitateurs soupçonnés d’instrumentaliser ces boutiques ! Non seulement la confrontation des deux documents attachés (1) montre ce qu’il en coûte aux téméraires de défier les nouveaux gardiens du temple, mais elle révèle que c’est toujours la presse de papa qui accompagne la société française sur le chemin de croix où l’ont mené ses démons. La résilience de ces derniers fait d’ailleurs froid dans le dos, au point de se demander où nous mènera la descente aux enfers qui en est la principale conséquence.
Sans surprise, les plateaux télé continuent de se disputer l’étalonnage des fièvres nationales proposé par les directeurs de conscience qui nous ont menés là où nous sommes. Omniscientes parce que médiatiques, leurs augustes rédactions flanquées des pseudo modernes en mimant la posture tutélaire prétendent toujours détenir la seule formule du débat décent, équilibré et pondéré d’où peut émerger la vérité plébiscitée, l’indépassable raffinement de la démocratie selon nos nouveaux mages. Non seulement cette vérité là est investie du pouvoir de référencer tous les champs de la justice, mais elle est désormais habilitée à défier les lois de la science et de la technique.
Au final, il n’y a de nouveau sous le soleil de la communication publique que le pire de la liberté d’expression : l’asservissement de la connaissance par l’opinion et par le dogme. Qu’un citoyen s’en insurge et finisse par appeler tel groupe social à contrecarrer l’offensive généralisée de l’idéologie sur les produits de cette connaissance utiles au bien être social, et le trublion est aussitôt frappé d’occultation médiatique par le bras séculier du maintien de l’ordre communicant. Le rebelle doit bien se mettre dans le crane que la presse vit avant tout de la dialectique des controverses OGM, gaz de schiste et autre nucléaire et très peu de la pédagogie abstruse portant sur ces thèmes ! Tant pis si, en fait de dialectique, la plupart des journalistes, secs sur ces sujets, sombrent dans la rhétorique clientéliste : ils n’ont ainsi pas à choisir entre vendre les idées et vendre des journaux.
Le drame pour ce pays c’est qu’il n’a hélas plus beaucoup à attendre les évènements graves promettant de l’accabler ; parmi les plus dévastateurs pour l’économie nationale, ceux pesant en particulier sur une industrie et un approvisionnement électro énergétique absolument vitaux. Or, cette fois, les gens qui savent faire marcher la machine sont bien décidés à ne pas assister aux ravages de l’impéritie théorisée et planifiée à grande échelle, sans réagir vigoureusement. Le moment venu, prenant le pays à témoin, ils ne manqueront pas de sommer nos arbitres des élégances éditoriales de rendre des comptes à leurs compatriotes. Scientifiques, ingénieurs et techniciens de toutes spécialités iront jusqu’à se gendarmer s’il le faut pour se faire entendre et imposer au pays un nécessaire examen de conscience collectif.
Se trouvera-t-il alors des organes de presse ayant le courage d’ouvrir leurs colonnes, tendre leurs micros ou offrir leurs plateaux à ce vaste et salutaire lavage du linge sale en famille nationale ? Là est toute la question qui nous ramène au thème de cet article…
(1) On trouvera l’article concerné – publié puis retiré quelques heures plus tard – au lien http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/blandine-et-le-miracle-des-loups-157782.
André Pellen
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