Quelques instants de la vie d’Oblomov
« Tu me dis que je dois faire comme les autres… Je ne pensais pas que tu me méprisais autant. » (Oblomov Trad. libre J.-R. Simon)
Oblomov avait cessé toute vie sociale. Il prenait encore plaisir à jouer avec ses petits-enfants mais ses propres enfants étaient devenus distants, lui voulant probablement de n’être pas le père qu’ils souhaitaient. Ils leur arrivaient souvent de se montrer impolis, mais cela ne souciait guère Oblomov et il n’essayait même pas d’en connaître la raison précise.
Oblomov restait quant à lui constamment courtois, plus pour ne pas se perdre dans d’insignifiants combats oratoires que par sa nature. Il aimait assez échanger quelques mots avec de parfaits inconnus dont il n’attendait rien, il lui arrivait même de rendre de menus services mais il abhorrait par-dessus tout la mendicité. Un Homme ne peut pas s’abaisser à une telle extrémité disait-il !
Sa femme Ariadna était restée à ses côtés. Elle s’occupait de tout au quotidien sans laisser la moindre initiative à Oblomov. C’était sa façon de prouver sa prééminence en toutes choses. Il acceptait sans trop de peine les multiples rebuffades sur de non moins multiples points de détail : la fermeture de la fenêtre, la lampe qu’il fallait allumer, le chemin qu’il fallait suivre… Les choses étaient plus gênantes pour ce qu’on appelle communément les choses politiques car Ariadna ‘était devenue ostensiblement croyante, du moins elle se sentait appartenir profondément à une communauté, à une seule, pas aux autres. Pelotonné, on se sent fort même si cela rend plus profond l’ornière dans laquelle on s’enlise. Il est plus facile d’abaisser les autre que de s’élever soi-même.
Oblomov croyait en énormément de choses mais pas en Dieu, il était trop conscient que l’imaginaire créé servait par trop aux puissants pour s’assurer la bonne volonté des autres. Mais il est impossible de vivre sans les forces de l’esprit, même seul, surtout seul.
Oblomov était sage, non pas par une quelconque volonté de bien faire mais parce qu’il n’avait plus de désirs. Il ne buvait pas, il mangeait raisonnablement, n’entretenait aucune liaison, ne voulait pas surpasser un quelconque concurrent. Il était satisfait de son quotidien et n’en souhaitait pas un autre.
Il lui arrivait de capter les informations d’un Monde qu’il feignait d’ignorer, et, dans un premier temps, il crut qu’il s’agissait d’acteurs de seconde zone embauchés pour un spectacle au-delà de la médiocrité qui se déchainaient. On y relatait les pérégrinations de demi-fous se disputant un pouvoir qui était de toute façon hors d’atteinte. D’autres fois d’inondations à l’autre bout de la planète qui permettaient de ne pas voir ce qui se passait au bas de son propre immeuble. Plus encore, des valeurs étaient constamment agitées pour jeter le discrédit sur de putatifs ennemis. Le tout était présenté par des humanoïdes avec des yeux de cockers qui auraient égaré leur os. Chacun vilipendait les nouveaux moyens de communication tout en se délectant des nouvelles qu’ils apportaient et en rêvant d’avoir autant de followers que le plus improbable des influenceurs. Ce que l’on nommait avec un mépris presque tangible le « peuple » était mené grâce aux multiples facettes de l’affect, peuple incapable pensait-on, de la moindre lueur d’intelligence. La bien-pensance prend ainsi la place de la pensée. L’élite autoproclamée consultait ostensiblement ce peuple afin de pouvoir satisfaire ses propres besoins en manipulant les émotions.
C’est une banalité de constater que les dominants ornent la réalité pour dissimuler ses privilèges. Comment peut-on croire qu’un homme (une femme maintenant) puisse mettre sous sa coupe plusieurs dizaines, centaines, milliers, centaines de milliers de personnes sur son seul mérite, sur son seul talent ? La domestication demande un savoir qui doit s’acquérir dès l’enfance, en connaissant le moins possible ceux que l’on souhaite enrégimenter. Les connaissances encyclopédiques sont privilégiées sur tout ce qui pourrait développer le discernement, avec des efforts et un encadrement convenables même les moins talentueux peuvent connaître l’enfance d’un chef. Ils suivront ensuite la Loi puisque c’est eux qui l’écriront.
Les autres ?
Les jeunes et leur légendaire allant bousculeront ils le système ? Anéantis par des décibels qui ne cessent quelque peu que pour s’avachir devant un écran, les choses ne vont pas de soi ?
Les vieux qui reprochent à l’humanité de ne pouvoir les rendre immortels ?
Les érudits qui délaissent les doutes pour asséner des certitudes ?
Des gens miséreux qui ne se réjouissent que de l’augmentation de leurs allocations ?
Des gens aisés qui ne rêvent que conserver leurs miséreux s’ils ne s’agitent pas trop ?
Des révolutionnaires qui montrent aux autres comment il faut s’y prendre ?
Alors, faire comme les autres ?
6 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON