Questions sur la Joconde du Louvre ? (deuxième partie)
Léonard de Vinci, croyait-il aux évangiles ?
Giorgio Vasari dit de lui : « qu’il se forma dans son esprit une doctrine si hérétique qu’il ne dépendait plus d’aucune religion, tenant peut-être davantage à être philosophe que chrétien »
Dans mon précédent article https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/questions-sur-la-joconde-du-louvre-218840, il faut comprendre que dans sa Madone de Laroque,
Léonard a représenté la Vierge, Jean-Baptiste et Jésus, en avant d'une paroi de verre, paroi de verre que suggèrent les arrondis d'une voûte visibles dans les angles hauts du tableau. Assise sur un siège caquetoire comme dans le tableau du Louvre mais avec un dossier, j'en déduis que, en avant de cette paroi de verre, Léonard de Vinci en revient toujours et encore au symbole d'une mère et son enfant... comme dans la Vierge à l'enfant que j'ai expliquée par ailleurs dans le même article, la
paroi de verre étant ici la fenêtre que Léonard a ouverte sur le côté... Entre la chambre noire et ce paysage derrière lequel règne l’infini, se trouve comme une paroi de verre. Si l’homme n’ouvre pas son œil, il ne voit rien, mais s’il l’ouvre, c’est un mouvement de l’âme qui lui fait franchir la paroi de verre. (Léonard de Vinci, carnets)
J'en avais déduit que dans sa Madone de Laroque, Léonard de Vinci avait représenté, au-delà de la paroi de verre, son interprétation des textes évangéliques suivant trois plans successifs à la fois spaciaux et temporels : le jardin des oliviers où Jésus aurait souffert et le tombeau de Jérusalem où il aurait été mis, sa résurrection mystique sur les rives du lac de Tibériade et son ascension jusqu'à la montagne de Gamala. En revanche, il apparaît qu'il a substitué à la transfiguration divine dans le ciel - image classique de l'Ascension - celle d'un arbre penché symbolisant le renouveau éternel de la nature et de la vie... un arbre penché qui se profile sur une lumière qui vient d'un infini que seule, la peinture peut suggérer.
La lumière et son mystère, telle est la croyance de Léonard de Vinci.
Regarde la lumière et admire sa beauté. Ferme l’œil et observe. Ce que tu as vu d’abord n’est plus et ce que tu verras ensuite n’est pas encore. (Léonard de Vinci, carnets)
Cette simple phrase nous donne l'explication de ses deux "Vierge aux rochers".
À droite, juste avant le lever du soleil, la lumière n'entre pas dans la grotte. Elle est seulement diffuse. Les couleurs sont froides. Les replis du manteau au-dessus des genoux de la Vierge ne sont éclairés que d'un brun foncé. Les visages sont blancs, voire livides.
À gauche, après le lever du soleil, la lumière entre dans la grotte. Recevant ses rayons, les visages et le corps des enfants s'éclairent en retrouvant le teint naturel de la chair. La cape rouge de l'ange resplendit tout en réchauffant la scène, mais le fond de la grotte, ne recevant pas les rayons, reste dans l'ombre.
A gauche, la version du Louvre, à droite, celle de Londres. L'histoire de leur commande, de leur livraison et de leur destination finale est particulièrement obscure. Je ne me prononce pas. Il est possible que Léonard de Vinci ait profité d'une ou de deux commandes pour exprimer, déjà, avant la Joconde, sa réflexion sur la lumière sans trop se soucier des termes du ou des contrats, d'où les litiges.
Ma thèse est que Léonard de Vinci a reproduit le même processus pour le tableau du Louvre.
À droite, la Joconde du Louvre, à gauche, une Joconde bleue inconnue.
À droite, les objets les plus lointains, comme par exemple les montagnes paraissent, à cause de la grande quantité d’air qui se trouve entre elles et ton œil, bleues presque comme la couleur de l’air quand le soleil se lève... Par contre, lorsque le soleil se couche (à gauche) les brouillards qui tombent rendent l’air épais, et les objets qui ne sont pas touchés par le soleil restent obscurs et indistincts (Léonard de Vinci, carnets).... des montagnes bleues et une couleur de l'air qui sont devenues verdâtres avec le temps, ou sous l'effet du vernis ??? La rembarde du balcon n'a-t-elle pas la même signification que la paroi de verre que Léonard imaginait ?... une flore/symbole sur un fond de désert ? Une Mona Lisa idéale, épouse et mère ?... L'être et le néant ?...
Il ne fait pas de doute, à mon sens, que le domestique de Léonard de Vinci, Salaï, a servi de modèle comme première ébauche, mais l'imaginer jusqu'à revêtir le riche vêtement aux plis complexes d'une femme bourgeoise de l'époque, non, ce n'est pas possible. Or, Léonard pouvait compter, pour cela, sur un autre modèle : l'épouse de son ami et voisin, Francesco del Giocondo... Mona Lisa. Je fais l'hypothèse que le sourire de la Joconde est celui de Mona Lisa...
Vasari écrit dans sa Vita que le Vinci s’entourait, durant les séances de pose, de musiciens, de chanteurs et de bouffons (livre de M. Branly, page 294).
Je ne sais pas de quelle Joconde parle Vasari, mais si c'est celle du Louvre, cela confirmerait que Mona Lisa a bien posé après Salai. Lorsque les musiciens jouaient un air gai, Léonard de Vinci peignait le côté gauche de son visage. Quand les musiciens jouaient un air triste ou mélancolique, il peignait le côté droit.
J'en veux pour preuve un tableau de Titien. Agé de 31 ans quand Léonard de Vinci est mort, il a subi son influence. Peint probablement au début de sa carrière, cela pourrait expliquer que ce tableau ne soit ni connu, ni répertorié. https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-joconde-et-ses-mysteres-suite-214119
La Joconde de Titien.
Le portrait, en demi-figure, est celui d’une femme très belle, au profond décolleté, somptueusement vêtue de couleurs chaudes et fortes. Le sourire est le point central. C’est un sourire à la fois moqueur et attirant. Il est moqueur dans la joue droite du fait de la subtile influence qu’exerce sur la bouche l’œil malicieux qui regarde en coin. En revanche, dans la joue gauche, il est pur, naïf et attirant. Les deux côtés du visage sont très différents l’un de l’autre. Le côté gauche est celui d’une jeune ingénue. Le côté droit, avec sa joue très légèrement empâtée, est celui d’une "bohémienne’’ rouée et experte dans tous les jeux de l’amour.
L’effet est très curieux car lorsqu’on croise son regard, même si la bouche paraît gourmande, on hésite, suivant qu’on fixe un oeil plutôt que l’autre, entre une grande courtisane et une jouvencelle. Du côté ‘’jouvencelle’’, l’accroche-cœur de l’abondante chevelure reste discret ; du côté ‘’péripatéticienne’’, il se prolonge par une tresse insidieuse qui caresse l’épaule dénudée, puis suit la dentelle du décolleté jusque vers le creux de la gorge. Le bras, du côté gauche, dans un geste élégant et discret, présente ostensiblement dans sa main ouverte la couronne en fleurs d’oranger des vierges. Du côté droit, le bras droit, nu, à l’image de la gorge déshabillée de tout collier, émerge de l’ample vêtement mordoré. Avec nonchalance, la séductrice l’appuie mollement sur un voluptueux coussin brodé dont la couleur rouge vibre au contact du velours vert de la cape et dont les deux coins sont ornés de glands. L’un de ses glands se devine dans l’ombre, dans la main qui l’enserre ; l’autre pend sur le bord de la table... un gland décoré de passementerie fine.
Retour à la Joconde.
Ma thèse est la suivante : que le domestique Salaï ait posé pour une première ébauche, Mona Lisa ensuite pour le sourire, je pense l'avoir démontré dans mes précédents articles. Il n'en reste pas moins que c'est bien une Flore que Léonard de Vinci a voulu représenter tout en s'interrogeant sur le mystère de l'Être face au néant. Dans ce processus d'élaboration, je propose, arguments à l'appui, de voir dans cette Joconde bleue, une authentique peinture du Maître, juste avant l'exécution du tableau du Louvre.
J'en veux pour preuves les corrections apportées à quelques détails qui ne s'expliquent que par un souci d'amélioration : une chevelure peut-être moins gonflée, un avant-bras droit moins raide, une paume plus effilée du bas, un index plus écarté, un pouce plus visible, un pont davantage miniaturisé - ce qui l'éloigne et augmente la perspective - une broderie du corsage plus détaillée, un arrrière-plan plus fini, mais surtout - juge de paix par excellence - l'absence totale de jaune dans cette Joconde bleue. J'en déduis que Léonard de Vinci a voulu représenter la scène, à droite au lever du soleil, à gauche après son coucher ; ce qui s'inscrit tout à fait dans son interrogation presque métaphysique sur le mystère de la lumière.
"Regarde la lumière et admire sa beauté. Ferme l’œil et observe. Ce que tu as vu d’abord n’est plus et ce que tu verras ensuite n’est pas encore" (carnets).
Mes contradicteurs habituels ne manqueront pas l'occasion de me faire remarquer que je ne suis pas le seul à proposer d'autres Jocondes qui auraient pu succéder ou précéder l'exécution du tableau final ; peut-être ? je ne sais pas. Et pire, que cette Joconde bleue ne serait qu'une copie comme beaucoup d'autres.
Une réponse suffit : voyez, dans ma Joconde bleue, les plis des manches, voyez ceux du voile sur l'épaule, c'est blanc, mais dans les autres Jocondes, le reflet doré s'y trouve, soit qu'elles précèdent le tableau du Louvre, soit, plus probablement, qu'elles s'en inspirent ou le copient. Voyez le fond du ciel de ma Joconde bleue, il est bleu. Voyez le visage de la femme, il est blanc. Tout est peint en couleurs froides. Ou alors, il faudrait supposer que le peintre n'avait plus de jaune sur sa palette, ce qui est absurde. Cette Joconde bleue sans jaune pour la réchauffer est un cas unique, à ma connaissance.
Emile Mourey, 1er Novembre 2019, les photos peuvent être soumises à droits d'auteur. Merci aux propriétaires de ces tableaux de m'avoir autorisé à les reproduire.
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