Qui vit par l’épée
Un des commentaires posté par Exocet sur Agoravox, en référence à l'affaire Charlie Hebdo (sur l'article de R. Bouchard), imaginait le titre suivant : " Plan social à Charlie hebdo : 12 morts ". Un titre fort provocateur que n'auraient pas reniés nos regrettés martyrs ( de la liberté d'expression). Car eux-mêmes étaient des provocateurs aguerris, ayant grandi dans une société où les gens ne sont pas totalement libres de dire ce qu'ils pensent, mais où ils y sont plus libres que dans bien d'autres. Là où ce titre me parle, c'est qu'il met en perspective le lien entre la mort de ces douze êtres humains, connus ou inconnus (dessinateur ou bien chroniqueur économique archi-médiatisés, ou homme d'entretien) et le "plan social", expression dont chacun connaît la portée immédiate et dont ceux qui l'ont vécu peuvent en saisir l'extrême violence économique, sociale et sociétale. Cette violence est la conséquence (non la cause) de ce que sont devenus nos rapports humains. Peut-on encore parler de rapports, je n'en suis pas sûr. Car la perte des liens a été poussée si loin que peut-être, nous n'en reviendrons pas.
Comment en est-on arrivé là ? Nous avons tous, je pense, une part de responsabilité. Réduite pour certains, elle est énorme pour d'autres et se mesure sans doute par le pouvoir d'implication dans la société. Il est évident qu'un homme d'entretien a moins de responsabilité qu'un homme politique ayant pouvoir décisionnel, un PDG ou un média (le "bal tragique" référencé çi-dessus est bien issu d'une expression médiatique sensationaliste que l'on doit trouver choquante, elle-même reprise par provocation). Il faudrait commencer par mesurer la violence de ses actes ou de ses propos pour éviter de diluer les responsabilités mais nous sommes tous responsables à des degrés divers parce que tous ensemble, nous faisons société. Lorsque je ne blâme pas une parole raciste entendue dans la rue ou ailleurs ; parce que pour celui ou celle qui en est victime, c'est insupportable. Lorsque le prof de mes enfants n'explique pas ce qu'est la laïcité et la loi de séparation église/pouvoir politique. Lorsqu'un membre des forces de l'ordre discrimine lors d'un contrôle au faciès. Lorsqu'on laisse crever les Palestiniens, les Syriens mais aussi à l'inverse lorsqu'on ôte un sapin d'une école, à la demande d'un parent d'une autre confession. Lorsqu'un journaliste ne dit pas tout, par manque de temps ou de liberté éditoriale ou rédactionnelle. Tout cela ne devrait pas être admis, pas plus que la violence d'un plan social, pour aller produire ailleurs, pour gagner encore plus sans faire attention à l'autre, entité négligeable. Ce sont toutes ces violences qui nous éloignent de notre humanité, qu'il faut combattre pour éviter d'en arriver là où nous sommes aujourd'hui. Parce que vivre ensemble, c'est aussi accepter les idées des autres tant qu'elles ne nuisent pas à la liberté de chacun, faut-il encore rappeler ce fait fondamental. Cela, l'Islam le sait parfaitement. Peu importe finalement la crêche ou le sapin car ils sont plus historiques qu'ostentatoires. C'est donc bien l'obscurantisme et le dogme qu'il faut combattre y compris ceux de l'argent, pas la foi. Ne nous trompons pas, la croyance religieuse d'où qu'elle soit n'est pas la cause ; elle n'est ici qu'un prétexte de la violence, comme souvent.
Les deux assassins, faut-il aussi le souligner, sont Français, enfants de l'école de la république ; ils ont grandi ici. Pas dans un quartier intégriste d'une ville, d'un pays où le dogme et l'obscurantisme sont rois. Quelle perte des repères les plus essentiels y a-t-il eu pour en arriver là ? Qu'a-t-on oublié de leur rappeler dans leur famille, dans leur école, dans leur société ? Comment se sont-ils perdus à ce point ? De quelle violence ont-ils eux-mêmes été les victimes pour devenir des bourreaux ? Peut-être l'enquête policière le déterminera-t-elle, mais on peut en douter car ce serait remettre en cause aussi notre mode de vie et de fonctionnement et beaucoup ont à y perdre. C'est pourquoi nous sommes dans une époque où nous devons être très attentifs ; nous devons penser, prendre du temps, avant de parler et d'agir sous peine de voir les choses se dégrader encore plus.
Des faits tels que celui-là se reproduiront, sous le prétexte de la religion ou bien sous un autre, tant que nous n'auront pas trouvé la possibilité d'une société vivable pour tous, c'est-à-dire un chemin commun, un lien qui rassemble vers une idée commune. Le but n'est pas d'être tous d'accord, c'est bien sûr impossible, mais se mettre d'accord au moins sur l'essentiel. Le jeu du terrorisme, qu'il soit religieux ou économique, est de diviser. Mais nous partageons tous la même priorité, celle de vivre en paix et en sécurité, n'importe où sur la planète. À ceux qui ne partagent pas cet idéal, ce sont eux les fous, les terroristes. Le chemin vers la liberté est toujours ténu et difficile, il doit chaque jour se conquérir et demande une lutte de tous les instants et en tous lieux.
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