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Accueil du site > Tribune Libre > Radinerie, art musical et journalisme

Radinerie, art musical et journalisme

Ce qui intéresse le plus les Français ? Le pouvoir d’achat, cité à 48 % selon un sondage paru dans le journal Le Monde du 9 novembre dernier. Ce qui les intéresse le moins ? Le droit des salariés, cité à 6 % des réponses. Pourrait-on en faire le portrait du Français moyen et légitimement titrer ce portrait par le résumé suivant « Moi et mes sous » ?

De fait, la radinerie est, semble-il, une tendance à la mode si l’on en croit les chroniques parues dans les médias ces derniers temps. Il y a même des sites Web spécialisés qui dénichent les bons plans pour radins. Globalement, n’est-ce pas toute l’économie de marché qui fonctionne ainsi : avoir le plus possible pour le moins cher possible ? Bref, quant au travailleur, souhaitons-lui de vivre dans un pays d’histoire syndicale où des siècles de batailles lui auront reconnu quelques droits. Car malgré les sympathiques concepts du commerce équitable et de la consommation responsable qui permettent de nous racheter une conscience pour par trop cher (un point essentiel donc !), gageons que les ouvriers (et les enfants ?) chinois ne vont pas chaumer en ces temps où nous nous préparons à commémorer la venue de l’enfant Jésus, né dans sa modeste crèche. Et la flambée du cours du pétrole ne va pas certainement pas arranger les choses, ni pour les uns (les travailleurs chinois) ni pour les autres (les consommateurs radins).

Mais je voudrais évoquer les deux domaines importants où la situation est déjà critique.

 

La musique premièrement. Donc la cause est entendue, la numérisation et l’interconnexion des ordinateurs de nous autres particuliers portent de graves coups à cette industrie. Beaucoup de choses (tout ?) évidemment ont été dites sur le sujet, actuellement en pleine tourmente autour du rapport Olivennes. Mais il est étonnant de voir à quel point le bon consommateur, qui serait choqué de voir ses enfants voler dans les grands magasins (encore que), est prêt à transformer les énormes volumes de stockage de ses disques durs en recel de musique et logiciels illégitimement acquis. Va-t-on me demander des statistiques ? Je vous renvoie alors à vos voisins. En général les aveux sur ce genre de choses sont faciles à obtenir et je vous laisse faire votre petite enquête. Vous verrez, ce sera édifiant !
Le chanteur Jean-Louis Murat en parlait en ces termes dans une interview parue dans Le Monde du 17 novembre dernier : "chaque nuit, dans les hangars de la musique, la moitié du stock est volée. Imaginez la réaction de Renault face à des délinquants qui forceraient la porte quotidiennement pour dérober les voitures !" On comprend qu’il en ait lourd sur le cœur, sa maison de disque indépendante, rachetée, disparaît.

Autre sujet chaud : le journalisme. Tenir les comptes d’un journal ou définir une stratégie marketing dans le domaine de la presse est certainement l’une des aventures économiques les plus difficiles aujourd’hui. La qualité de l’information semble parfois être devenue le dernier point déterminant de nombres de journaux, qui sont contraints à une fuite en « avant toutes » vers nouvelles formules et autres diversifications.

Car comme pour la musique, autant ne pas trop compter en ce domaine sur l’engagement financier du lecteur qui semble très majoritairement préférer ramasser son « gratuit » à l’entrée du métro. En conséquence, ce qui compte le plus dans la presse, c’est que les annonceurs s’y sentent bien. L’avenir porte ici un nom qui n’évoque pourtant pas la nouveauté : publicité. Les versions en ligne hors abonnement des journaux n’hésitent pas à afficher d’énormes carrés de pub, parfois quelque peu anachroniques pour parler en euphémisme, en plein centre de leurs articles, voire à les faire précéder d’une pleine page publicitaire. Le New York Times a même décidé de renoncer à ses abonnés payants pour son édition en ligne. Il est plus intéressant du point de vue commercial de rendre gratuite l’intégralité du journal sur le simple principe : plus de lecteurs = des annonceurs qui payent plus cher.

Enfin, pour vous remettre un peu de baume au coeur (Noël approche, n’oublions pas) et terminer sur une note optimiste concernant le journalisme - et qui sait, redonner peut-être au lecteur l’envie d’acheter à nouveau ses journaux - rien de tel certainement que d’évoquer ces gens qui ont fait de leur métier une véritable passion : les reporters.

C’est la raison pour laquelle - et si vous trouvez que la transition n’est pas évidente, pensez à ce qui se pratique quotidiennement dans les journaux télévisés - je joins à cet article une interview de la journaliste Sylvie Lasserre.

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Sylvie Lasserre est grand reporter, notamment pour Le Monde 2, Le Temps, La Stampa, Die Welt, Le Soir. Sylvie revient de Chine où elle s’est intéressée à une minorité quelque peu oubliée et ô combien persécutée par le régime chinois, les Ouïgours (voir par exemple son reportage sur Rebiya Kadeer, figure de la lutte pour la reconnaissance des droits du peuple Ouïgours, dans Le Temps, Genève, novembre 2007).

Question : Outre le goût des voyages, quelle inspiration vous a poussée, après un doctorat en physique et un début de carrière dans l’industrie, à devenir reporter indépendante ?

SL : Le goût des gens, des autres, le goût de la recherche et de la découverte aussi. Comprendre le monde. Dans l’industrie, je faisais de la recherche et je voyageais beaucoup, mais le côté humain me manquait, même si c’était passionnant. Et puis un jour le journalisme s’est imposé, sans même que j’y réfléchisse. Je ne connaissais d’ailleurs aucun journaliste. C’est une rencontre qui a tout déclenché. Aujourd’hui je constate que le métier de reporter n’est pas si loin du métier de chercheur. Sur le terrain, l’on est comme une éponge. On regarde, on écoute, on creuse un peu dans toutes les directions pour récolter un maximum de données. C’est vraiment comme la recherche, avec le plaisir des rencontres en plus, le plaisir de découvrir des mondes et des modes de vie nouveaux. Et surtout le côté grisant de l’aventure...

Question  : Vous traitez les questions, comme par exemple l’immigration, par la mise en perspective de cas individuels, suivis parfois sur des périodes assez longues. Vous savez aussi entrer en contact avec des enfants des rues ou être acceptée dans un bidonville. Avez-vous un secret pour créer de tels contacts humains ?

SL  : Je ne m’étais jamais posé cette question. Non il n’y aucun secret, seulement l’empathie. L’envie d’aider aussi. Je ne sais pas pourquoi, c’est comme ça. Ce métier est devenu pour moi une façon de vivre, ça je ne m’y attendais pas. Mais c’est très bien. Je crois que l’on ne peut pas dissocier une telle activité de sa vie. Forcément on garde des attaches un peu partout.

Question  : Sur votre blog, vous mettez des liens vers plusieurs ONG humanitaires. Que pensez-vous du travail fait sur le terrain par ces organisations ?

SL  : Je ne sais pas. A priori pas grand bien même si je pense qu’aux débuts, les premières ONG ont été vraiment très utiles. Puis c’est comme tout, les abus commencent. Aujourd’hui il me semble que les ONG attirent beaucoup de gens avides, de part et d’autre. J’ai été assez scandalisée, dans un pays dont je tairai le nom, de voir tout l’argent dépensé par les "expats" sur place (restaurants, logements, voitures...). Ces gens coordonnent, font des rapports... Et justifient ainsi leurs postes. Mais au bout du compte, sur le terrain, ce sont essentiellement les locaux qui "mettent les mains dans le cambouis" comme on dit. Eux ne sont pas rémunérés grassement... J’en ai gardé l’impression qu’un faible pourcentage de l’argent versé par les donateurs était efficacement utilisé. Disons que les ONG sont efficaces, mais je ne suis pas certaine que l’argent soit utilisé de manière optimale.

Pour en savoir plus voir la page des grands reportages de Sylvie Lasserre  :


Documents joints à cet article

Radinerie, art musical et journalisme Radinerie, art musical et journalisme

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8 réactions à cet article    


  • Relka Candide 5 décembre 2007 19:25

    Hélas, votre article est excellent...

    Hélas, parce qu’il ne présage rien de bon et témoigne d’un temps où les valeurs se sont profondément inversées... Oui, il n’y a rien de plus IN que d’être radin, que d’être obsédé dès l’âge de 20 ans par ses points retraite et, même si la baisse du pouvoir d’achat est une réalité que seuls les amis de Sarko ignorent, doit elle mobiliser, telle qu’elle le fait l’essentiel, de nos neurones, rendant définitivement obsolète toute pensée spirituelle...

    Et que vous dire, de vos propos sur la musique... Je suis éditeur et producteur musical !!! Une petite boite comme la mienne dépense 30000 € minimum pour préparer un enregistrement, ne touche pas plus d’1,20 € par album vendu et se fait traîter de voleur par les internautes indélicats, qui ne tentent pourtant pas de dérober les pompes à essence Total en allant faire le plein. Là encore, même si je sais que le téléchargement n’est pas le seul responsable de la crise du disque, il me semble que les valeurs sont assez péniblement inversées.

    Au final, peut-être qu’à force d’articles fustigeant la radinerie, quelques notions de conscience se feront elles jour dans cetains esprits (- : Je ne rêve pas trop. Bonsoir


    • Marc Blot Marc Blot 5 décembre 2007 20:25

      Merci de votre appréciation.
      Pour ce qui en est de la musique, il est étonnant que l’aspect affectif de l’attachement à l’oeuvre ne conduise pas le consommateur à une plus grande responsabilité. Il est assez impressionnant de voir tous les concepts qu’il faut aujourd’hui inventer pour (tenter de) vendre. Etre un bon auteur, compositeur et/ou interprête ne va-t-il finalement être qu’un accessoire parmi d’autres ?

       


    • alexis-LON 6 décembre 2007 13:40

      Vous touchez 1.20euros par album vendu. Quel est le prix public de l’album ?

      Je pense que beaucoup de monde serait interessé de vous voir donner la répartition des "tranches" qui composent le prix d’un album.

      Donc pour vous c’est 1.20, les 13 ou 15 euros qui restent, pouvez vous décrire a quoi ils correspondent ? Qui les touchent ?

      C’est quand meme le comble que ce ne soit pas le créateur qui touche la plus grosse partie de la vente d’un album non ?
       


    • Trashon Trashon 6 décembre 2007 14:41

      Vous parlez de vol ?

      Moi aussi pourtant je ne télécharge pas de musique et n’achète que tres peu de CD d’ailleur, bah oui maintenant j’achète aussi des DVD, des jeux vidéo, des logiciels, etc.

      Donc comme mon pouvoir d’achat n’est pas extensible il m’a bien fallu fallu réduire certains postes de mes dépenses : les postes loyers, habillement, nourriture ne pouvant êtres rognés (j’ai même l’impression qu’ils ont augmenté mais ça doit être un effet d’optique smiley ) j’ai donc grignoté le poste musique.

      A coté de ça j’adore la photo, alors avec le numérique, je mitraille à ne plus savoir qu’en faire, c’est quasiment obsessionnel.

      Pour stocker ces myriades de clichés toujours plus volumineux (chaque fois que je change d’APN on me rajoute des millions de pixels dont je n’ai que faire qui alourdissent considérablement le fruit de mon obsession) j’achète des supports numériques, des cartes mémoire, des CD et DVD vierges et des disques dur.

      Support sur lesquels je suis obligé de payer une taxe sur la copie privée que je ne fais jamais !

      J’ai bien essayé une ou deux fois mais les CD étaent protégés contre la copie  smiley

      Ou se trouve donc le vol à votre avis ?

      Chez la masse d’ados prépubères qui télécharge convulsivement histoire de remplir des Ipod 30 Go ou du coté de l’état qui m’impose une taxe qui m’autorise une action que je ne peux ni ne souhaite réaliser afin augmenter les bénéfices d’une industrie qui n’a pas su ni voulu s’adapter aux nouveaux modes de consommation ?

       


    • shogouki 5 décembre 2007 19:54

      Faudra t’il expliquer une n-ième fois la différence entre un vol de voiture, et la contrefaçon d’oeuvres, qui n’est pas du vol ?


      • Marc Blot Marc Blot 5 décembre 2007 20:28

        Oui je veux bien.
        Je crois qu’au final, ce que constatait Jean-Louis Murat, c’était un important manque à gagner.


      • Forest Ent Forest Ent 6 décembre 2007 13:11

        Un des derniers posts sur le site faceface du Snep a été celui d’un éditeur qui accusait le public d’avoir des "oursins dans les poches". C’est ce que disent tous les commerçants qui sont hors du marché. Il y a des tas de trucs qui se vendent très bien.

        Si l’industrie musicale souffre autant, c’est parce qu’elle a réussi l’extraordinaire tour de force de refuser de vendre au client pendant 10 ans le produit que celui-ci voulait. Elle a effectivement fini par réussir à le convaincre que ses produits ne valaient rien.

        L’interview de Murat dans "le monde" montre qu’il n’a strictement rien compris, et qu’il est en plus aigri et mégalo. Les artistes se sont laissés plomber par leurs "amis" les majors. Tant pis pour eux, on les avait prévenus. La DADVSI a été votée légalement. Qu’on en tire les conséquences jusqu’à la lie. Vos soupirs me font hurler de rire, et j’attends avec impatience la faillite de la RIAA et de la MPAA.

        Pour ce qui est la presse, le sujet est comparable. Si les gens se contentent des gratuits où il n’y a pas d’info, c’est parce qu’ils considérent que l’info en plus dans les payants ne vaut pas la différence de prix.

        Les seuls journaux que je lis régulièrement sont le "canard enchainé" et "canard pc". Ils sont très cher, mais je payerais le double s’il le fallait. Ce sont les deux seuls que j’ai trouvés qui ne sont pas révérencieux et qui essayent vraiment d’apporter de l’info, même politiquement incorrecte.

        Ce n’est pas la faute des musiciens si la musique est invendable, mais celle des industriels. Le seul tort des musiciens est de ne pas s’en être affranchi à temps. La DADVSI a été leur seule chance. Ils l’ont ratée.

        Ce n’est pas la faute des journalistes si l’info dans "le figaro" pue autant. Il y a une "ligne éditoriale" contrôlée par l’actionnaire. Les journalistes ont essayé récemment de se mobiliser pour attirer l’attention des pouvoirs publics. C’est un gag. Notre guignol-président est le premier bénéficiaire et le premier garant de la dépendance de la presse.

        La seule chose que je puisse reprocher aux journalistes est de n’avoir rien fait pour empêcher la vague de sarkozysme qui s’est emparée des médias. On ne peut exiger de personne de mourir pour la liberté les armes à la main, mais vous n’aurez plus ni pain ni liberté.

        En résumé, je n’aime pas cet article, je suis tout sauf culpabilisé, et je vous souhaite une prise de consicence politique.


        • Marc Blot Marc Blot 6 décembre 2007 15:10

          Attention, je ne parle pas pour ma part de vol.

          Le sujet traite de la radinerie en général et de "mes voisins" en particulier smiley
          C’est ça finalement le "journalisme citoyen". On fait pas de statistiques poussées mais on parle de "ses voisins".

           @ Forest Ent : je peux vous donner une ou deux références de presse anti-Sarko. Mais ces derniers temps, eux aussi ont été obligé de parler de Sarko !

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