À qui aura-t-il échappé que Radio France « (a) fait le mur » ? Tel était le slogan douteux d’une opération gigantesque de propagande, annoncée depuis des semaines à grands sons de trompe, et dans laquelle son nouveau directeur, M. J.-L. Hees, a fourvoyé le service public de la radio, à l’occasion du 20ème anniversaire de la chute du mur de Berlin. Est-ce vraiment pour ne rien cacher de l’événement, comme le proclame à la cantonade l’échafaudage de restauration de sa tour centrale (1) ?
Toutes les chaînes de Radio France, de minuit à minuit, ont diffusé le même programme indigent et bavard, le 9 novembre 2009. Impossible d’y échapper, qu’on passe de France Info à France Inter ou France Culture !
Slogan indécent, information donnée et information indifférente
Pouvait-on trouver, d’abord, jeu de mots pour slogan plus indécent, quand on songe à ce que signifie l’expression de potache « faire le mur » au regard des évasions qu’au péril de leur vie, tant de Berlinois de l’Est ont tentées, réussies ou manquées. Radio France n’a couru ici que le risque du ridicule et de l’indécence. Et à quoi bon cette mobilisation uniforme de toutes les antennes de la maison sans exception ? Pour apprendre quoi ? Peu de chose !
Les mêmes versets ou sourates ont été répétés à satiété par journalistes ou invités interviewés sur les circonstances qui ont précédé l’événement, la bévue d’un apparatchik de RDA donnant le signal prématuré de la ruée vers l’Ouest, les moments de liesse sur le mur, le prélèvement de morceaux à coups de marteau, les conséquences économiques avec les masses financières investies à l’Est par l’Ouest de l’Allemagne, la persistance d’une disparité de niveau de vie, l’existence d’une « ostalgie » chez des Allemands de l’ancienne RDA regrettant une certaine protection sociale aujourd’hui disparue, ou encore le marché aux souvenirs que l’anniversaire fêté a engendré. Que faisiez-vous il y a vingt ans ? était la question rituelle posée aux invités, sans que la réponse présente le plus souvent le moindre intérêt. Mais ça occupait le temps d’antenne !
Les plages touristiques, ménagées pour souffler un peu entre les informations ressassées, ne présentaient, quant à elle, guère plus d’intérêt. Un reporter, apprenait-on, était sur PostdamerPlatz pour célébrer une architecture de verre et d’acier comme celle du Sony Center encore tout étincelant de lumières avant le lever du jour ; un autre se promenait sur Unter den Linden ; tel autre arpentait AlexanderPlatz, ou dans l’ancien Berlin-Ouest, le Kurfürstendamm, dit le Kudamm. Ou encore on suivait un reste de mur ici et là, voire seulement la trace de son emplacement inscrite au sol pour mémoire. Quand on s’est soi-même promené dans Berlin à vélo, seul moyen de locomotion approprié en raisons des divers centres éloignés les uns des autres, on n’apprenait pas grand-chose à l’écoute de ce dépliant touristique stéréotypé.
Et forcément, la place d’honneur était réservée aux cérémonies officielles, avec les délégations au plus haut niveau venues du monde entier, à une exception près, celle des Etats-Unis, puisque le président Obama s’était fait seulement représenter par sa secrétaire d’État, Mme Clinton.
À quelles variétés appartenaient ces informations qui étaient ainsi diffusées ? À la variété de l’information donnée dont la particularité est de comprendre une part de promotion de l’émetteur et à la variété de l’information indifférente qui permet d’envahir le temps de diffusion pourtant exigu et donc de rejeter tout autre information, selon un procédé de censure discrète.
Le leurre de la vaccine
Une telle force de frappe médiatique déployée invite forcément à s’interroger sur les objectifs poursuivis. Une radio aurait suffit sur place. Pourquoi toutes les chaînes ont-elles été réquisitionnées littéralement et en plus pour un programme unique ? Des allusions relevées ici et là ou carrément des professions de foi ont progressivement levé le voile.
« Le jeu des mille euros », par exemple, qui s’est tenu au Centre culturel français sur le Kudamm, a veillé à inscrire ses questions dans le contexte du jour : ainsi a-t-il été demandé aux candidats pourquoi le nom de « Check point Charlie » avait été donné à un des points de passage entre Berlin Ouest et Berlin Est, ou encore dans quel ouvrage on retrouvait cet œil qui observe tout le monde appelé « Big Brother ». Il est vrai qu’on ne pouvait mieux rappeler la sinistre Stasi dont le film « La vie des autres » de Florian Henckel von Donnersmarck a stigmatisé les crimes et les turpitudes en 2007. Sutout, l’actualité française a été soumise à la métaphore berlinoise : la journaliste C. Servajean du journal de 13 h a ainsi parlé du « mur d’incompréhension entre la direction et les syndicats en grève » à la RATP. Et il a fallu que le flagorneur porte-parole de l’UMP, F. Lefebvre, ne trouve rien de mieux, pour célèbrer le bilan du président Sarkozy à mi-mandat, que de parler de « la chute du mur de l’immobilisme » !
À l’évidence, la célébration emphatique de la chute du mur de Berlin par Radio France a poursuivi un but de propagande politique dans la période de crise économique actuelle. On y reconnaît la stratégie du leurre de la vaccine, analysé par R. Barthes, qui agit comme le vaccin dont les germes inactivés inoculés, dans un premier temps, doivent susciter, dans un second temps, des anticorps salvateurs. La vaccine, elle aussi, procède en deux temps.
- Dans le premier, on admet un peu de mal. Ainsi la crise économique avec ses conséquences sociales tragiques pour beaucoup est-elle une évidence reconnue. On la décrit, on la déplore.
- Mais c’est pour, dans un deuxième temps, rappeler qu’il n’y a pas d’alternative à l’ordre social existant si dur soit-il. Il reste le meilleur. La preuve ? La chute du mur de Berlin ! Ne pas oublier qu’il ne se franchissait que dans un seul sens, d’Est en Ouest, preuve s’il en est que le système communiste de la RDA était bien pire que le capitalisme de l’Ouest qui connaît, sans doute, des crises, mais sait se rétablir et se régénérer. Comment oublier la liesse des Allemands de l’Est se ruant vers l’Ouest au soir du 9 octobre 1989 ? Ainsi, pour ceux qui souhaiteraient un changement économique et social, le régime de la RDA est-il donc agité comme un épouvantail pour nier toute possibilité d’une autre voie que celle de l’ultra libéralisme. Qui souhaiterait, en effet, vivre dans un tel régime policier ? Mais l’ultra-libéralisme est-il pour autant le seul avenir de l’homme ?
Le comble, tout de même, dans cette mobilisation insensée de toutes les chaînes de Radio France, n’est-il pas, par le symbole de ce programme unique, d’avoir offert, pour dénoncer le régime de liberté d’expression muselée qu’était la RDA, une imitation du fonctionnement de ses médias réduits à n’être que la voix unique de son maître unique, le parti communiste ? Paul Villach
(1) « C’est bien la première fois que nous avons quelque chose à vous cacher », lisait-on cet été sur l’échafaudage qui enveloppe la tour centrale de la Maison de Radio-France en travaux :
Paul Villach, « Ce leurre pernicieux que de son échafaudage Radio France répand dans Paris », AgoraVox, 31 août 2009.