Rafle du Vel-d’Hiv : Non, Vichy, ce n’était pas la France !
Lors de la commémoration du 80e anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’, Elisabeth Borne, première ministre, a déclaré que « Ce sont plus de 13.000 personnes que la France a livrées au supplice, à la haine, à la mort ». « Pour garder son honneur, notre pays doit regarder son histoire en face » a-t-elle ajouté, et surenchérissant que « Ces jours de juillet, la France a perdu un peu de son âme ». Emmanuel Macron, ce dimanche 17 juillet, dans son discours à Pithiviers, dans le Loiret, d’où sont partis des milliers de familles juives vers le camp de concentration d’Auschwitz et une fin certaine, a dénoncé un antisémitisme « rampant ». Il a aussi réaffirmé, selon lui, dans ces événements terribles, « la responsabilité de la France », prolongeant la position de Jacques Chirac pour qui « la France, ce jour-là, accomplissait l'irréparable », et de François Hollande, poussant plus loin pour dire que ce fut un « crime commis en France par la France ». Le président en a conclu que : "Regarder notre vérité en face ce n'est pas affaiblir la France, c'est reconnaître tout pour ne pas le reproduire". Où s’arrêtera-t-on dans cette dégringolade de l'image de la France, et est-ce juste ?
L’image de la France, un enjeu de cohésion de la nation
Dire que « c’était la France » ferait consensus, est-ce bien sûr ? Jean-Pierre Chevènement avait, lors de la déclaration de François Hollande président, regretté qu’il ait « malheureusement omis de dire que les crimes commis par les policiers et les gendarmes français, lors de la rafle du Vel’ d’Hiv’, l’ont été sur l’ordre de l’Etat français de Vichy collaborant avec l’Allemagne nazie." Considérant que "c’est occulter les accords passés avec la gestapo par René Bousquet, alors secrétaire général de la police, agissant pour le gouvernement de Vichy. C’est faire comme si Pétain était la France et comme si le véritable coup d’Etat opéré le 10 juillet 1940 par un gouvernement de capitulation n’avait pas existé." Il rappellerait que "deux Présidents de la République, Charles de Gaulle et François Mitterrand, avaient tenu sur la ligne selon laquelle l’Etat français de Vichy n’était ni la République ni la France." Mais depuis, de ces précisions importantes, peu importe semble-t-il. L’instauration par le président François Mitterrand, en 1993, d’une « journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite “gouvernement de l’État français”(1940-1944) », fixée à la date anniversaire de la rafle du Vel’ d’Hiv’, a été hautement salutaire, sans instiller de doute. Clarifier nos idées sur l’histoire de notre pays, c’est donner une direction, et ce qu’en disent nos premiers représentants pèse lourd. Si la chose est mal orientée, jetée dans un clair-obscur, qu’en est-il de la perception de la nation ?
A l’inverse de ce qui est avancé par Madame Borne, à propos de « l’honneur de la France » qui serait de reconnaître une faute historique collective à assumer, n’est-ce pas, en l’identifiant ainsi à Pétain, en quelque sorte, la déshonorer ? Que signifie donc de rendre comptables les générations d’aujourd’hui et de demain de cela, ad vitam aeternam ? Le tous coupables a d’ailleurs cette fâcheuse tendance à faire oublier les responsables. N’y a-t-il donc eu personne qui ait agi sur ordres, et un pouvoir politique qui les donnait ? Les Français ont-ils approuvé cela, été consultés ? Nullement ! Comment alors associer la volonté de la France à cette barbarie ? N’a-t-on pas condamné sans appel la déportation des juifs et le régime de Vichy, une fois abattu ce pouvoir collaborationniste illégal autant qu’illégitime (1) ? Des forces ne s’y sont-elles pas opposées, au nom de la France, tel le Général de Gaulle par son Appel à poursuivre le combat du 18 juin 1940 ? Et la résistance, qui en s’unifiant par un Conseil national de la Résistance, jusqu’à un Gouvernement provisoire de la République, donne cette reconnaissance à la France par laquelle, lors de la création des Nations Unies, elle obtiendra d’être l’une des cinq grandes puissances à occuper un siège permanent au sein du Conseil de sécurité ? Ce n’est rien ? De Gaulle n’a -t-il pas toujours considéré que Vichy ce n’était pas la République française, qui seule incarne la France ? Le président dans son discours parle de « La France de Vichy » : ainsi, n’y en avait-il pas une autre ailleurs, en résistance, la vraie ? Tous ces résistants qui sont morts en pensant qu’ils défendaient la France, avaient-t-ils alors tort ? Imputer cela à la France, n’est pas apporter de l’eau au moulin de ceux de Vichy qui s’en réclamaient pour maquiller leur crime ? Éclairer le passé pour mieux se tourner vers l’avenir, vous dites, Monsieur le Président ? Voilà donc qui mérite un bref retour sur les faits.
Vichy, ce n’était pas la France !
La France entre en guerre le 3 septembre 1939, après que l’Allemagne ait envahi la Pologne. C’est la Drôle de guerre, jusqu’à l’offensive allemande du 10 mai, retardée par l’hiver, qui perce partout. Le modéré Paul Reynaud, président du Conseil, fait appel au maréchal Pétain (84 ans), vainqueur de Verdun (1916), nommé vice-président du Conseil le 18 mai 1940. Le 14 juin, les Allemands sont à Paris. Réfugié à Bordeaux, le gouvernement hésite entre « la capitulation », qui laisse l’ennemi prendre le pays, tout en se retirant en Afrique du Nord pour poursuivre la lutte au nom de la France, comme le propose entre autres, le Général De Gaulle, sous-secrétaire d’Etat à la guerre, et « L’armistice », voulu par beaucoup de militaires autour de Pétain, un cessez-le-feu négocié avec l’ennemi jugé plus honorable, malgré la défaite. L’armistice l’emporte, il est signé le 22 juin 1940. Le 10 juillet suivant, le maréchal Pétain, auquel est voué un véritable culte secondé par le mythe du sauveur, obtient d’un Parlement en déroute et minoré (sans les députés communistes (2) et ceux du Massilia (3)), tout pouvoir pour une nouvelle constitution. 80 parlementaires s’y refusent et 17 s’abstiennent. Les actes pris par celui-ci le 11 juillet, anticonstitutionnels, sont une sorte de coup d'État, comme le voit l’historien Serge Berstein. Il supprime la république tout en instituant un régime de « monarchie dictatoriale » et s’autoproclame « Chef de l’Etat » (4). Partis politiques et élections sont mis au pilori avec la République, remplacée par la « Révolution nationale ». La devise « Travail-Famille-Patrie » se substitue à « Liberté-Egalité-Fraternité ». Il s’agit d’en finir avec les principes hérités de 1789 vus comme responsables de tout. Le « Chef de l’Etat » n’hésitant pas à utiliser dans ses discours, cette formule monarchique à l’ancienne, « Nous, Philippe Pétain » (5). On lie devoirs à Dieu et à la patrie. Le régime pose le principe d’une nouvelle hiérarchie sociale, rejetant l’idée de l’égalité naturelle des hommes qui fonde la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’injure raciale cesse d’être réprimée en août 1940. C’est en fait une contre-révolution qui profite des circonstances, donnant l’initiative aux revanchards de l’antiparlementarisme et de l’antisémitisme. La défaite est entendue comme « une juste punition d’où sortira la régénération »… Vient le statut des juifs du 3 octobre 1940, qui limite l’accès à de nombreuses professions, signal du début des persécutions. L’Administration est épurée de 50.000 agents… Pétain rencontre Hitler le 24 octobre 1940 à Montoire, il sert la main du Führer, suit l’entrée dans la collaboration, et les accords passés avec la gestapo… On crée une organisation paramilitaire, la Milice française, ouvertement antisémite, anticommuniste et antirépublicaine. Sorte de police politique qui se livrera à de multiples assassinats et exactions. Où est donc la France dans cela, dont ses valeurs et principes historiques sont piétinés par un pouvoir qui a tout trahi ? Non, Vichy, ce n’était pas la France !
Le peuple de France a rejeté le fascisme avant l’heure, la responsabilité est ailleurs !
Un événement antérieur donne une indication de première importance sur la question : le Front populaire. Dans un contexte de crise économique et de scandales politiques, le 6 février 1934, certains mouvements d’anciens combattants et les ligues d’extrême droite manifestent pour renverser le Parlement, provoquent des émeutes. On se bat dans les rues. Le 9 février, le Parti communiste organise une manifestation pour contrer cette tentative de coup d’Etat, qui draine des milliers de républicains. Le bilan de ces journées est lourd, des dizaines de morts et de nombreux blessés. Mais le coup de force fasciste a échoué ! Le 12 février a lieu une contre-manifestation au Cours de Vincennes, réunissant la SFIO (socialistes), le Parti communiste, et des radicaux. Le Front populaire est né, avec pour objectifs la défense de la République française et contre le fascisme ! Mai 1936, d’un côté un embrasement de grèves s’étend à l’ensemble du pays avec occupation d’usines, de l’autre, le peuple lors des élections de 1936 donne la victoire au Front populaire, sur son programme antifasciste et de progrès social. C’est le socialiste Léon Blum qui prend la direction du gouvernement. Il dissout les ligues factieuses ! Certains des plus grands acquis sociaux du siècle sont conquis : hausse de 7 à 15% des salaires, 40 heures de travail hebdomadaire, quinze jours de congés payés, les conventions collectives… Le Front populaire est laïque, garant des libertés : liberté de pensée et d’opinion, de conscience, liberté syndicale. Le programme du Conseil national de la résistance s’inspirera des acquis du Front populaire (6). Ce sont certaines élites qui sous Pétain ont trahi, et une partie des Français avec eux, mais pas le peuple de France, il avait montré son choix librement lors du Front populaire, celui du rejet du fascisme avant l’heure. Distinguons donc là, un sens général de l’histoire qui se dégage des faits. La France ne s’identifia jamais avec le régime de Vichy !
Ne rien oublier, combattre l’antisémitisme, sans se tromper de combat
Si la France ne doit rien oublier pour que jamais cela ne se reproduise, faut-il encore lever cette hypothèque, en s’appuyant sur l’honneur de ceux qui choisirent le rejet du fascisme, le combat de « la France libre » contre celle asservie de Vichy. La lutte contre l’antisémitisme en sera sans doute mieux comprise et soutenue. Mais il semble de plus en plus difficile d’avoir un regard nuancé par l’histoire sur les choses, les simplifications étant plus aisées voire l’usage de la culpabilisation qui ne promet rien de bon, pour répondre parfois à de circonstanciels intérêts politiques. Certains diront, « mais c’est pour la bonne cause ! ». Méfions-nous qu’ainsi, elle ne se renverse pas en son contraire. Seule la vérité est révolutionnaire dit-on, mais je m’égare sans doute.
La République française porte en elle la promesse d’un monde meilleur, plus juste, au regard de ce avec quoi elle s’est historiquement construite. C’est à ce terreau que la résistance au fascisme a pris racine, et qu’encore l’espoir populaire peut s’y resourcer aujourd’hui, pour demain. Il échoit aux nouvelles générations la responsabilité de la continuité, au regard de ce qu'elles ont devant elles à construire, en toute conscience. Ne les faisons pas se tromper de combat, de ce qui doit être défendu comme idée de la France et de l’homme, devant l’histoire.
Notes :
1-Le régime de Vichy n’eut jamais de reconnaissance d’une quelconque légitimité. L’ordonnance du 9 août 1944 constate, dans son Article 1er : La forme du Gouvernement de la France est et demeure la République. En droit, celle-ci n'a pas cessé d'exister. Article 2, que sont « nuls et de nul effet tous les actes constitutionnels législatifs ou réglementaires, ainsi que les arrêtés pris pour leur exécution, sous quelque dénomination que ce soit, promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu’au rétablissement du Gouvernement provisoire de la République française » [4]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006071212&dateTexte=20090620.. Voir l’article de Jacques Sapir, publié sur le site Les Crises, Le Vel d’Hiv et la faute d’Emmanuel Macron, 19 juillet 2017. Voir aussi : https://www.les-crises.fr/16-07-rafle-du-vel-dhiv-a-tous-laissez-la-france-tranquille/
2-Daladier, président du Conseil, avec son homologue anglais Chamberlain, concluent les « accords de Munich » avec Hitler, du 29 au 30 septembre 1938, par lesquels la Tchécoslovaquie lui est livrée. Face aux renoncements de l’Occident, s'ensuit le pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS, dit « Germano-soviétique », signé le 23 août 1939. Le parti communiste est ensuite interdit en France dès septembre 1939, ses députés sont donc absents lors du vote qui donne le pouvoir constituant à Pétain le 10 juillet 1940. Le Front populaire, qui a vu l’élection des députés de cette Assemblée, n’est plus, sans les communistes, et des radicaux qui jouent au centre depuis la fin du gouvernement Blum. Comme le voit Serge Berstein, « La Chambre des députés de 1940 n'est donc plus celle du Front populaire, mais celle de l'Union nationale. »
3-Le Massilia est un paquebot sur lequel, dans le contexte de la défaite de 1940, quelques hommes politiques dont 27 parlementaires, tous de gauche ou de centre-gauche, embarquent à destination de Casablanca (Maroc), dans l’espoir de continuer la lutte au nom de la France contre l’ennemi. Plusieurs sont arrêtés après leur arrivée, rapatriés vers Paris, jugés et condamnés à des peines d’emprisonnement. Certains seront assassinés, comme Jean Zay, ex-ministre de l’Education nationale du Front populaire, par la Milice française.
4- Serge Berstein, Le Front populaire a-t-il voté les pleins pouvoirs à Pétain ? Revue L’Histoire, mensuel 197, mars 1996. https://www.lhistoire.fr/le-front-populaire-t-il-vot%C3%A9-les-pleins-pouvoirs-%C3%A0-p%C3%A9tain
5-Frédéric Bluche, Manuel d’histoire politique de la France contemporaine, PUF Droit, 2001.
6- Guylain Chevrier, Il y a 70 ans, c’était le Front populaire ! Le témoignage de Maurice Kriegel-Valrimont (1914-2006), in les Cahiers d’histoire (Revue d’histoire critique), Retours sur le Front populaire, n°103-2008. Voir aussi : https://www.lelivrescolaire.fr/page/31007760 Et, Jean Zay : hommage à une figure héroïque de la République de pleine actualité (20 juin 2022, Cusset), publié le 1er juillet 2022, sur Agoravox. https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/jean-zay-hommage-a-une-figure-242528
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