Raoul Follereau et l’Action française
Le 27 juin 2009, une association était créée par la Fondation Raoul Follereau pour promouvoir la cause en canonisation de son fondateur Raoul Follereau. AgoraVox, le média citoyen par excellence nous permet de décrypter quelle fut sa vie : entre ombre et lumière. Puissent ces articles faire émerger la Vérité, même si cette dernière n’est pas agréable à entendre.
Nous poursuivons nos études relatives à la vie de Raoul Follereau.
Dans un premier article (ici), nous avons exposé de quelle façon Raoul Follereau soutint et admira le régime fasciste italien de Bénito Mussolini.
Dans un second article (ici), nous avons relaté la participation active de Raoul Follereau à une "réunion de propagande" organisée le 10 février 1936 par le Centre de propagande et de documentation, organe antisémite, anti-bolchevique et anti-maçon, éditeur du journal de la même veine intitulé "La Libre Parole & Le Porc-Epic".
Nous allons souligner à présent la proximité d’idées entre Raoul Follereau et le mouvement Action française de Charles Maurras.
Charles Maurras & L’Action française
Initialement poète et écrivain, Charles Maurras se lance dans la politique à la fin du XIXème siècle. Il devient alors un acteur majeur et incontournable de la droite nationaliste puis monarchiste.
Théoricien et idéologue, père du "nationalisme intégral" et du concept d’"antisémitisme d’Etat", Charles Maurras influença la fraction la plus conservatrice de la bourgeoisie française catholique de l’entre-deux-guerres.
Le "complot contre la France" est au centre du corpus idéologique maurrassien. Ce complot est l’oeuvre de l’anti-France que constituent les "Quatre Etats confédérés : Juifs, Protestants, Maçons, Métèques".
Ces quatre forces antifrançaises formaient, selon lui, le "gouvernement de l’Etranger, à l’intérieur de la France".
Dès 1908, l’Action française se dote d’un bras armé avec les Camelots du Roi, sorte de milice privée pratiquant coups de mains, coups de cannes et autres manifestations ultra violentes contre les "ennemis de la France", mais également entre groupuscules d’extrême-droite.
D’un point de vue institutionnel, Charles Maurras fut initialement nationaliste (sous l’influence d’Edouard Drumont, polémiste et fondateur du journal antisémite La Libre Parole dont nous avons déjà parlé ici) puis devient monarchiste. Son anti-parlementarisme l’amène également à soutenir des régimes autoritaires et fascistes tels que Mussolini, Franco ou Pétain. En revanche, profondément germanophobe, il ne soutiendra jamais Hitler et le nazisme.
D’un point de vue spirituel, Maurras se définit comme agnostique, même à la fin de sa vie, et ne soutient le catholicisme d’Etat que comme un moyen d’unifier la Nation autour d’un idéal commun. Le catholicisme n’est donc pour lui qu’un moyen au service d’une finalité ultranationaliste.
Depuis plusieurs années, déjà, le Vatican désapprouve cette doctrine où rationalisme se conjugue avec antisémitisme. Mais ce n’est qu’en 1926 que le Vatican condamne officiellement l’Action française et met à l’index ses livres et journaux. En mars 1927, les adhérents à l’Action française sont interdits de sacrements.
Au cours des années qui suivent, le Vatican rejette formellement un certain nombre d’idées défendues par l’Action française : en effet, après la condamnation de l’Action française en 1926, Pie XI condamne le fascisme italien (1931) et plus particulièrement l’antisémitisme ("L’antisémitisme est inacceptable. Spirituellement, nous sommes tous des sémites." Pie XI, 6 septembre 1938), comme il condamne d’ailleurs le nazisme (1937) et le communisme (1938).
De ce fait, soit par conviction, soit par obéissance au Pape, de nombreux catholiques prendront leurs distances avec l’Action française qui déclinera progressivement.
En France, après juin 1940, l’Action française se déchirera en trois tendances :
- une tendance majoritaire qui suit Charles Maurras dans un soutien au Maréchal Pétain, anti-allemand, mais également anti-gaulliste ;
- une tendance dont l’antibolchevisme prime sur tout le reste et qui verse alors dans la germanophilie et/ou la collaboration active avec l’occupant nazi ;
- une tendance résistante à Londres.
Ici, un article complémentaire sur l’Action française.
Charles Maurras, amateur de belles lettres ...
A Abraham Schrameck, Ministre de l’Intérieur en 1925 : "Ce serait sans haine et sans crainte que je donnerais l’ordre de répandre votre sang de chien si vous abusiez du pouvoir public pour répandre du sang français répandu sous les balles et les couteaux des bandits de Moscou que vous aimez".
A propos de Léon Blum, président du Conseil en 1936 : "C’est en tant que Juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum. Ce dernier verbe paraîtra un peu fort de café : je me hâte d’ajouter qu’il ne faudra abattre physiquement Blum que le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu’il rêve contre nos compagnons d’armes italiens. Ce jour-là, il est vrai, il ne faudra pas le manquer".
Qu’en est-il de Raoul Follereau ?
Dans sa biographie qui nous sert de principale référence pour nos travaux (Raoul Follereau, hier et aujourd’hui, 1992, Fayard), Etienne Thévenin indique que, bien que non adhérent, "Raoul Follereau fait siennes la plupart des indignations nationalistes et antirépublicaines de l’Action Française. Il est profondément impregné de l’oeuvre, de la méthode et des concepts de Maurras. Il lit l’Action française dont il apprécie le ton polémique, les analyses politiques, et les pages littéraires et artistiques, lesquelles sont rédigées avec le plus grand soin. (...) Maurras est indéniablement le "Maître à penser" du jeune Raoul Follereau" (ibid p.30).
Cet attachement au mouvement de Charles Maurras ne sera pas affecté par la condamnation, par Pie XI, de l’Action Française, fin 1926. Bravant les sanctions canoniques, Raoul Follereau continue à suivre l’Action française et à en propager les idées. Il considère, en effet, que l’infaillibilité pontificale n’est pas en cause, et que cette interdiction est le fruit d’un "complot" des démocrates chrétiens et des membres du Sillon de Marc Sangnier (ibid p.52).
Rappelons que Marc Sangnier (photo ci-dessus) est une figure du catholicisme rallié à la République et à la démocratie républicaine. En outre, il était du camp des philosémites et combattait ardemment l’antisémitisme : "la question de la persécution juive dépasse les affaires intérieures d’un pays ; c’est une affaire qui regarde la conscience humaine tout entière" (lien ici) ; il est donc à l’opposé des thèses de l’Action française et incarne la "bête noire de l’Action française" (ibid p.238).
Relevons également qu’il est fait mention du concept du complot, ici à propos de celui dont Pie XI aurait été victime, du fait des démocrates chrétiens ralliés à la République. Raoul Follereau utilisera également la théorie du complot, en le qualifiant de "maçonnique", en 1935 à propos des sanctions prises par la Société des Nations à l’encontre de Mussolini dans l’affaire éthiopienne (voir notre article).
Il ressort donc de ces éléments que Raoul Follereau s’inscrit délibérément et volontairement dans la ligne de pensée de Charles Maurras qui est, rappelons-le, et entre autres qualificatifs possibles, antisémite, xénophobe, antiprotestant, ant-maçonnique et anti-parlementariste. Précisons, accessoirement, que son catholicisme n’est qu’utilitariste et que Pie XI prendra formellement ses distances avec lui.
Raoul Follereau "s’inscrit dans la mouvance de l’Action française . Il fait siens la plupart de ses concepts" (ibid p.52).
Nous avons néanmoins recherché quelques traces, imputables directement à Raoul Follereau, qui puissent conforter cette affirmation.
"Peut-on considérer Raoul Follereau comme un fasciste authentique ?"
C’est Etienne Thévenin qui se pose à lui-même la question (p.128). Il y donne une réponse trop peu étayée pour être réellement convaincante.
De notre point de vue, l’adhésion de Raoul Follereau pour les régimes fascistes, qu’ils soient autrichien, italien, hongrois, argentin ou tout simplement pétainiste ne saurait se limiter à une simple communion de convictions anti-bolcheviques. Pourtant, Etienne Thévenin écrit, page 128, qu’aux yeux de Raoul Follereau "seuls des Etats autoritaires s’appuyant sur des références chrétiennes et nationales peuvent résister au danger allemand et russe, nazi et communiste".
Il est vrai et indéniable que l’option fasciste a pu parfois être un choix par défaut, sorte de moindre mal face au danger soviétique.
Mais, en ce qui concerne Raoul Follereau, nous pensons qu’il a adhéré aux régimes fascisants pour un ensemble de raisons, dont l’anti-bolchevisme, bien sûr, mais ce soutien ne saurait se limiter à l’anti-bolchevisme.
Raoul Follereau et l’antisémitisme
Sur l’antisémitisme, Etienne Thévenin écrit cette phrase que nous trouvons particulièrement ambigüe : "On peut remarquer qu’à aucun moment, dans ses écrits, Raoul Follereau ne verse dans l’antisémitisme. Ses sentiments chrétiens le préservent de semblables égarements et il sait la réalité que prend alors l’antsémitisme" (ibid p.133).
Tout d’abord, il convient de relever la mention "dans ses écrits" qui nous semble soit maladroite, soit destinée à cacher des choses que le lecteur n’est pas sensé connaître. Cela insinue-t-il que, ailleurs que dans des écrits, Raoul Follereau ait tenu des propos antisémites ? Le sujet nous semble donc évacué un peu trop rapidement. Et ce d’autant plus qu’un certain nombre d’éléments factuels et écrits noir sur blanc nous amènent à penser le contraire.
Sans doute Etienne Thévenin ne connaissait-il pas ce numéro 5 de La Libre Parole à propos duquel nous avons déjà écrit un article et qui démontre la participation délibérée et volontaire de Raoul Follereau en qualité de conférencier à une réunion de propagande principalement antisémite et anti-maçonne, le 10 février 1936.
Sans doute Etienne Thévenin ne connait-il pas non plus le script d’une conférence animée par Raoul Follereau dans laquelle il qualifie Lénine de "Moïse rouge" (Oeuvres Complètes de Raoul Follereau, Les conférences, Editions Fondation Raoul Follereau, page 152).
Ci-dessus, affiche de propagande antisémite mêlant Trotski, le fondateur de l’Armée rouge et l’étoile de David.
Par ces seuls deux mots, "Moïse rouge", c’est toute une sémantique antisémite que Raoul Follereau reprend à son compte dans laquelle la révolution russe est une première étape vers la domination sioniste universelle. Le lien entre Moïse et la couleur rouge trouve son origine dans un pamphlet antisémite (Der Bolschewismus von Moses bis Lenin ou, en français, Le Bolchevisme de Moïse à Lénine) écrit au début des années 1920 par Dietrich Eckart, complice d’un certain Adolf Hitler lors de sa tentative de putsch de 1923. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en matière d’antisémitisme, Raoul Follereau sélectionne les meilleures références.
Sans doute Etienne Thévenin ignore-t-il également que, page 74 de ce même ouvrage (Oeuvres complètes de Raoul Follereau ...), Raoul Follereau affirme que "L’heure est plus grave qu’on ne le pense ; les conflts sont moins de nations que de races". Or, en ce début des années trente, la notion de race est très clairement au centre de toute la dialectique antisémite, afin, justement, de démontrer la supériorité de telle race (aryenne) sur telle autre (juive) (lien sur la hiérarchie des races ici).
Enfin, Etienne Thévenin semble ne pas devoir relever, que, dans cette même conférence, page 70, Raoul Follereau exprime sa xénophobie dans les termes les plus explicites : "J’ai cité Freud, j’eus pu en citer d’autres. Je n’ai rien contre cet étranger, sinon qu’il est étranger, et dangereux comme tel".
Donc, notre conclusion sera à l’opposé de celle d’Etienne Thévenin : oui, Raoul Follereau, malgré ses sentiments qu’il croit être chrétiens, s’est égaré dans la xénophobie et l’antisémitisme, à l’image de Charles Maurras, son maître à penser.
Raoul Follereau et l’anti-parlementarisme
Très tôt, Raoul Follereau manifeste une sincère détestation pour la IIIème république française.
Il faut dire que cette dernière est arrivée un petit peu par accident. Cet épisode fait partie des anecdotes les plus étonnantes de l’Histoire de France : le prétendant au trône de France, Henri d’Artois (photo ci-dessous), qui aurait dû régner sous le nom d’Henri V de France, a refusé la couronne que lui offrait pourtant l’assemblée de 1871 composée aux deux tiers de députés monarchistes. Officiellement, pour une histoire de drapeau : "Non, je ne laisserai pas arracher de mes mains l’étendard d’Henri IV, de François Ier et de Jeanne d’Arc". Certes, il y avait du panache dans cette décision. Mais elle signa la fin définitive de la monarchie française.
Autre sujet de mécontentement, la IIIème république a pratiqué un anticléricalisme violent, ce qui lui a valu une opposition des plus radicales de la part des populations attachées à la religion catholique.
Mais, cette détestation pour le régime parlementaire va bien au delà qu’une simple aversion liée à un contexte.
Raoul Follereau est tout simplement opposé au suffrage universel. Pour lui, la nation doit se confier à une élite : "les hommes ne naissent pas égaux ; ils ne le deviennent ni ne le demeurent (...) La nécessité d’une élite est pour une nation une question capitale, vitale. Le pays doit penser par elle, agir par elle. (...) Le cerveau d’un peuple est nécessaire, mais il ne doit pas tenir le corps tout entier. Une planète de penseurs créverait de faim." (Les Oeuvres complètes de Raoul Follereau, Les conférences, Editions Fondation Raoul Follereau, pages 71 et 147)
Adepte d’un pouvoir fort, Raoul Follereau accordera son soutien à la plupart des régimes autoritaires des années trente :
- l’Autriche de Dolfuss ;
- l’Italie de Mussolini (voir notre article antérieur) ;
- l’Espagne de Franco (Thévenin, p.128) ;
- le Portugal de Salazar (Thévenin, p.68) ;
- l’Argentine de Uriburu et de Fresco ;
- ainsi que divers régimes d’Europe centrale.
Le 10 juillet 1940, lors de la passation des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain, Raoul Follereau est à Vichy (Thévenin, p.150) : avec la Révolution Nationale qui s’annonce, Raoul Follereau sait que ses idées, toutes ses idées, seront à l’honneur ...
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