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RD Congo / Elections 2023 : Entre victoire écrasante et pays ingouvernable

La perspective des élections de 2023 au Congo est à première vue celle d’un nouveau raz-de-marée de Joseph Kabila et ses fidèles aux élections présidentielles, législatives et provinciales. Le dispositif se met en place avec le contrôle de la Commission électorale nationale (CENI) par un fidèle de Kabila, et ancien cerveau moteur des résultats ex nihilo de 2018 aux côtés de son prédécesseur Corneille Nangaa. Et ce, malgré l’opposition de l’Eglise catholique (CENCO) et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC). Pendant ce temps, les fidèles de l’ancien président, qui contrôlent déjà la quasi-totalité des assemblées et les exécutifs du pays, confortent leur emprise sur les entreprises d’Etat, ce qui devrait leur assurer d’importants moyens financiers et le recours à l’une des armes du système : la corruption à grande échelle. Enfin, la garantie d’impunité offerte par Félix Tshisekedi aux auteurs des répressions barbares de 2015 à 2018, assure à ces derniers les mains libres pour pouvoir recourir, à nouveau, à cette autre arme de prédilection du système Kabila : la répression dans le sang des contestataires des résultats frauduleux qui se préparent. Kabila et ses fidèles ont ainsi, à première vue, un boulevard triomphal vers le contrôle total des institutions et n’ont rien à craindre des résultats des urnes. Leur victoire est déjà acquise du fait de la caporalisation préventive de la CENI et de la Cour constitutionnelle qui publieront les résultats qui leur seront dictés comme en 2018, peu importent les prescrits de la loi électorale.

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Ce privilège princier comporte néanmoins des aléas qui ne seront pas forcément maîtrisables, et que nous tentons de décrypter dans la présente analyse prospective. Il s’agit d’examiner les scénarios du statu quo (I) et les options alternatives de changement (II) pouvant comporter des risques d’affrontement (III) sur un terrain autre que le processus électoral, que la kabilie a déjà boutiqué.

 

I. Le maintien du statu quo garanti par le « deal »

L’accord secret entre Kabila et Tshisekedi de janvier 2019, appelé « deal », reprend les termes de l’accord de Nairobi[1], selon nos informations recueillies des sources croisées. Joseph Kabila, qui se substitue à Vital Kamerhe dans la version du « deal », aura le soutien de Félix Tshisekedi à sa candidature à l’élection présidentielle à venir. Kabila s’est toujours confié en assurant que Tshisekedi est à la présidence pour « chauffer » son fauteuil présidentiel qu’il tient à réoccuper le moment venu, ce dont ses fidèles ne se cachent d’ailleurs pas. Le débat entre juristes n’a jamais tranché définitivement la question de savoir si les anciens présidents ne peuvent plus concourir à la magistrature suprême après l’intermède d’un successeur à la présidence[2]. Il est toutefois évident que son retour dépendra de plusieurs facteurs dont la nature, favorable ou défavorable, pourrait l’amener soit à réoccuper personnellement le fauteuil présidentiel, soit à prolonger son alliance avec Tshisekedi en le maintenant à la présidence, soit à rééditer l’option de décembre 2018 : propulser un autre opposant de paille dans le fauteuil présidentiel. Il pourra aussi choisir de propulser un fidèle si la dynamique des forces du changement ne représente pas une menace existentielle assez forte pour son système.

Une position aussi confortable et privilégiée, aux contrôles du destin d’une nation, n’est toutefois pas facile à tenir dans la durée. Le pays bouge, des évènements inattendus se produisent dans le monde et l’idée d’un avenir de misère figé pour la majorité de Congolais est une mise en cage potentiellement explosive. D’autant plus qu’en contraste avec la pauvreté des masses populaires, une poignée de privilégiés au pouvoir amasse des richesses grâce à une corruption systémique, le pillage des ressources du pays et les détournements de fonds publics.

L’idée qu’un système aussi éhonté sera reconduit par défi, peu importe le vote des électeurs[3], peut expliquer l’extrême nervosité face aux initiatives parlementaires visant soit à augmenter les revenus des députés[4], soit à restreindre le pouvoir des magistrats[5] au moment où ces derniers tentent de lutter courageusement contre la corruption et les détournements de fonds publics. Ce climat de méfiance, voire de défiance des masses populaires vis-à-vis des animateurs des institutions, devrait s’amplifier au fil du temps et transformer la marche vers les élections à venir en rendez-vous de tous les aléas.

 

II. Arracher le changement par d’autres moyens ?

Dans une tribune publiée en février 2019 par Alan Doss[6], président de la Fondation Kofi-Annan, et Mo Ibrahim, les deux personnalités préviennent sur les conséquences du déficit de légitimité auquel le Congo devrait faire face du fait des résultats officielles non conformes au vote réellement exprimé dans les urnes. En effet, écrivent-ils, « constatant ainsi que les élections sont impuissantes à changer les choses, le peuple congolais risque de se tourner vers d’autres méthodes pour renverser l’insupportable statu quo qui fait que la grande majorité de la population piétine dans la pauvreté tandis qu’une poignée d’individus au sommet de l’Etat amasse des fortunes »[7]. Le choix des « autres méthodes » pourrait s’imposer comme une posture légitime bien avant les élections annoncées de 2023.

Le sentiment général est que les autorités actuelles sont issues des élections frauduleuses, sont illégitimes et au service d’intérêts sans rapport avec les aspirations du peuple congolais. Un an et demi après l’installation du nouveau parlement, aucune loi visant à améliorer les conditions de vie de la population n’a été votée. Les élus passent l’essentiel de leurs temps à se quereller sur des futilités comme des motions pour la conservation des postes. De leur côté, Félix Tshisekedi et son partenaire Joseph Kabila, occupés à consolider le contrôle du pouvoir, n’auront pas eu le temps de se consacrer au développement et à l’amélioration du bien-être social de la population, offrant ainsi le flanc aux vagues des frustrations et des exaspérations que l’outil de répression pourra ne pas suffire à contenir.

Le bon sens voudrait pourtant que les acteurs politiques travaillent de bonne foi à désamorcer les tensions pour garantir un processus électoral transparent et crédible. Cela passe par la réforme de la CENI et de la Cour constitutionnelle. Mais ces appels au bon sens ont peu de chance de trouver oreille attentive dans un environnement politique marqué par l’hostilité à l’idée de l’alternance, comme le rappelle l’expert électoral Alain-Joseph Lomandja au sujet des luttes pour le contrôle de la CENI par les acteurs politiques[8]. Prononcées sans effet tout au long des trois précédents processus électoraux chaotiques, ils n’auront sûrement pas plus de chance d’être entendues par les bénéficiaires des élections déjà boutiquées de 2023. C’est une affaire des cœurs endurcis, d’aveuglement de la toute puissance et de détermination à conserver à tout prix le système d’enrichissement personnel par la fraude, la corruption et les élections jouées d’avance.

https://i2.wp.com/desc-wondo.org/wp-content/uploads/2020/07/Mgr-Fridolin-Ambongo.png?resize=443%2C402

 

III. La perspective d’un clash ?

La confiance entre la population et les acteurs politiques devrait ainsi continuer de se dégrader tandis que le recours à la violence répressive ira crescendo, conforté par l’impunité assurée du haut de l’Etat. Mais aussi une prédisposition aux réactions violentes du côté des forces du changement, puisque la violence engendre la violence, et que dans la spirale de la violence tout le monde finit par se ressembler. Alors pourraient s’enclencher des initiatives pour fédérer les frustrations accumulées des masses critiques qui, persuadée qu’elles n’ont plus rien à perdre, se lanceraient dans des actions jusqu’auboutistes aux conséquences imprévisibles. Il n’est donc pas exclu que la procession vers ces élections confisquées soit brutalement interrompue par un réveil soudain des consciences et un refus populaire de se laisser docilement mener comme des moutons à l’abattoir.

Dans son homélie du 30 juin 2020, à l’occasion du 60ème anniversaire de l’accession du Congo à l’indépendance, le Cardinal Fridolin Ambongo, Archevêque Métropolitain de Kinshasa, dressant un bilan calamiteux des 60 ans d’indépendance, a adressé un message de défiance à une classe politique qualifiée d’ « individus malveillants » : « Le FCC et le CACH savent bien qu’ils n’ont pas gagné les élections, ils savent ce qu’ils ont fait pour accéder au pouvoir. (…) la coalition au pouvoir a perdu sa raison d’être. Elle devrait normalement disparaître. (…) Et aussi longtemps que cette coalition sera là, il n’y a rien à espérer de nos Gouvernants. C’est inacceptable. Je lance cet appel à l’ensemble de notre peuple, de notre population, à la Société Civile, à l’Eglise Catholique qui est déjà à l’ordre de marche, à l’Eglise Protestante à s’élever, à redresser le front pour faire barrage à ces velléités qui n’ont comme unique objectif que de protéger les intérêts partisans de ceux qui ne veulent pas d’une justice juste. Les jours à venir seront difficiles. Et je tiens ici à demander au peuple de se tenir en ordre de marche. Lorsque le moment viendra, lorsqu’ils s’obstineront à faire passer ces lois et ce personnage à la tête de la CENI, il faudra qu’il nous trouve sur leur chemin. On ne peut pas continuer, après 60 ans de l’indépendance du pays, à gouverner par défi, par mépris du peuple, par mépris de l’Eglise Catholique et de l’Eglise Protestante »[9], [10].

 

Conclusion

Kabila et ses alliés, nationaux et régionaux[11], peuvent sortir gagnants de cet affrontement, ce qui leur permettrait d’écraser pour longtemps les dynamiques de changement à travers le pays et régner sur le Congo sans partage. Scénario toutefois peu certain dans un pays au cœur d’importants enjeux géopolitiques, souvent mouvants. Les forces radicalement anti-Kabila pourraient aussi venir à bout de l’homme de Kingakati et lui enlever le contrôle des moyens de l’Etat. Mais il n’est pas non plus exclu que, prenant conscience du péril d’un affrontement qui tournerait en désastre à la Pyrrhus, les forces de part et d’autre concèdent à l’évidence du bon sens. Gagner ou perdre une élection, après tout, ce n’est pas la fin du monde…

On n’y est pas encore, mais une nouvelle élection frauduleuse et un règne par défi, après 2006, 2011 et 2018, débouchera de toute évidence sur un pays difficilement gouvernable.

 

Boniface MUSAVULI

Analyste politique et auteur

Ouvrage :

– B. MUSAVULI, LES ÉLECTIONS AU CONGO – Carnages, martyrs et impunité, amazon, avril 2020, https://www.amazon.fr/%C3%89LECTIONS-AU-CONGO-Carnages-impunit%C3%A9/dp/B087SCJ5HG.

 

[1] « Après que chaque leader ait servi pendant un mandat, la compétition sera ouverte de manière démocratique, libre et transparente ». Cf. Accord de Nairobi, article 3.

[2] Lire JB Kongolo, « Double statut de sénateur à vie et d’ancien Président de la République du Congo-Kinshasa : mieux en comprendre la philosophie », http://desc-wondo.org/double-statut-de-senateur-a-vie-et-dancien-president-de-la-rdc-les-pretentions-infondees-de-joseph-kabila-pour-2023-jb-kongolo/.

[3] En violation de la loi électorale, la CENI n’a jamais publié les résultats des élections de 2018 bureau de vote par bureau de vote. L’art. 70 al. 2, de la loi électorale dispose que « les résultats du vote sont rendus publics par leur affichage ». L’affichage des résultats détaillés doit s’effectuer à trois niveaux : au niveau des Bureaux de vote et de dépouillement (BVD), au niveau des Centres Locaux de Compilation des Résultats (CLCR) et dans les locaux de la CENI.

[4] Cas de la lettre de Jeanine Mabunda, présidente de l’Assemblée nationale, qui réclame une augmentation de 2.000 $ des émoluments des députés en plus des 4.800$ que les parlementaires touchent déjà, creusant ainsi les disparités salariales dans le pays. Ex., le salaire moyen d’un enseignant au Congo est de 207 $.

[5] De violentes manifestations ont éclaté à Kinshasa et à Lubumbashi suite aux propositions de loi initiées par les députés Aubin Minaku et Garry Sakata du FCC, la plateforme de Joseph Kabila, concernant la réforme de la justice. Parmi les modifications proposées, il y a les modalités de l’exercice de l’autorité du ministre de la Justice sur les magistrats du parquet. Des propositions de loi contestées, notamment par la CENCO, et à l’origine d’une arrestation éclair du ministre de la Justice, du fait d’avoir adressé à l’Assemblée nationale des avis favorables du gouvernement à l’insu de ce dernier.

[6] Alan Doss est un diplomate britannique qui connaît bien la politique congolaise et ses acteurs. De 2007 à 2010, il a été le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies au Congo.

[7] « Le résultat de la présidentielle en RDC est une défaite pour la démocratie », https://www.kofiannanfoundation.org/articles/presidentielle-rdc-election-drc-mo-ibrahim/.

[8] Suivre AJ Lomandja, « le FCC est en train de rééditer la même stratégie », https://desc-wondo.org/alain-joseph-lomandja-le-fcc-est-en-train-de-reediter-la-meme-strategie/.

[10] « RD Congo : Pour les 60 ans d’indépendance, le Cardinal Ambongo tonne », https://www.vaticannews.va/fr/afrique/news/2020-07/rd-congo-pour-les-60-ans-d-independance-le-cardinal-ambongo-t.html.

[11] Chaque fois qu’éclatent des crises politiques marquées par des débordements populaires, Joseph Kabila fait acheminer au Congo des forces étrangères, rwandaises principalement. Appréciées pour leurs cruautés et l’absence d’empathie avec les populations congolaises, ces forces étrangères lui permettent de reprendre le contrôle de la situation par la terreur des massacres et des assassinats barbares. Dans son rapport de décembre 2017 intitulé « Mission spéciale », l’ONG américaine Human Rights Watch fait état de recrutement des éléments du M23 pour réprimer les manifestations contre le maintien de Kabila au pouvoir. Cf. Rapport HRW, Mission spéciale – Le recrutement de rebelles du M23 pour réprimer les manifestations en République démocratique du Congo, hrw.org, décembre 2017.


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2 réactions à cet article    


  • caillou14 rita 2 juillet 2020 10:02

    bof..c’est le problème de ce continent sous dictature ou les peuples sont soumis a l’esclavage des dirigeants..une forme de continuité en quelques sortes, rien ne change !


    • Hamed 2 juillet 2020 12:22

      @rita

      Vous avez entièrement raison rita. Oui, « bof » très juste ce que vous énoncez et ce qu’énonce l’auteur de l’article.

      cependant il faut dire chapeau à l’auteur pour prendre le temps et penser à cette malheureuse Afrique.

      Une Afrique qui n’est pas mal dirigée, ou « ingouvernable ». L’ingouvernabilité des Africains devient presque un instinct de survie pour les dirigeants africains qui n’ont jamais pensé qu’un jour qu’il allait devenir des dirigeants à la tête des Etats africains qui d’ailleurs n’ont jamais existé.

      C’était des tribus disparates colonisées et dont parmi eux des Africains vendaient leurs frères aux esclavagistes. Par conséquent, la dictature n’est pas un concept, un système qui est tombé du ciel mais un concept et un système conséquent à la situation du Plus Grand Nombre dans l’Histoire.

      Pour comparer avec la Chine par exemple, le PGNH chinois même formaté par le communisme et la dictature oligarchique est conséquent à lui-même. Le plus de milliard de chinois ont une histoire très ancienne, une culture élaborée par un Empire qui a unifié de plus d’un millénaire. Et c’est pourquoi il se pose en redoutable face aux US et à l’Europe.

      Quant au PGNH africain, il est très très pauvre, et il n’est encore qu’au stade d’émergence et donc tout e qui se passe est tout à fait normal.

      Enfin pour terminer l’Histoire qui fait l’histoire de l’humanité regarde les peuples d’Afrique. Qu’ils régressent et le seul concept qui peut les unifier est la dictature, comme l’ont été les monarchies absolutistes en Europe, il y a moins de 3 siècle encore avec une dictature d’un roi-soleil en France, ceci simplement pour dire qu’il faut que l’Histoire fasse l’histoire des Africains. Ce qui demandera au bas mot un siècle au moins et au plus 2 sècles.

      Merci pour le commentaire très juste de rita et pour l’analyse très clairvoyante de l’auteur de l’article.

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