RD Congo - Rwanda : Le bombardement de Goma par l’armée rwandaise (M23)
Devoir de mémoire.
Il y a quatre ans l’armée rwandaise, sous couvert du M23, bombardait la ville congolaise de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu. Une semaine durant, la ville fut dévastée par une pluie d’obus tuant et blessant des civiles et des casques bleus. Des crimes restés impunis, une loi d'amnistie ayant été promulguée par le président Joseph Kabila, en février 2014. De vies fauchées et des victimes jetées dans l'oubli !
Des bombardements aveugles
Nous sommes jeudi 22 août 2013 à Goma, dans l’Est de la République Démocratique du Congo. On entend de violentes déflagrations. Des obus s’abattent sur la ville et déchiquètent des victimes. Des civils et des casques bleus blessés sont dépêchés dans les hôpitaux. Après une tournée d’évaluation sur les sites touchés, le vice-gouverneur du Nord-Kivu, Feller Lutahichirwa, fait état de tirs en provenance du territoire rwandais. À Kanyaruchinya, dans la périphérie Nord de Goma, on compte deux morts et neuf blessés. À Munigi, une femme et un enfant ont été tués. Des volontaires ramassent les victimes comme ils peuvent et affluent dans les hôpitaux. Pendant ce temps, des combats font rage à Kibati, à 20 km au Nord de Goma, entre soldats congolais et éléments du M23. Les combats avaient subitement repris la veille après une accalmie qui avait duré près d’un mois. Sans motif apparent, ils s’intensifiaient en même temps que des obus s’abattaient sur Goma et sa périphérie.
La population en colère descend dans les rues en transportant les corps des victimes. Le samedi 24 août, après de nouveaux bombardements qui ont fait trois morts, plusieurs blessés et d’importants dégâts matériels, la Mission des Nations unies au Congo, la MONUSCO, monte au créneau. Au cours d’une conférence de presse, le commandant de la force onusienne, le général brésilien Carlos Alberto Dos Santos Cruz et le chef de la MONUSCO, le diplomate allemand Martin Kobler, réagissent fermement aux bombardements. La mission onusienne parle de « crimes de guerre et crimes contre l’humanité ». Dans un communiqué, Martin Kobler, parlant de crime « horrible et inqualifiable », promet que les attaques sur Goma « ne resteront pas impunies ».
Pendant ce temps, l’ONU confirme l’arrivée en masse des troupes rwandaises vers le Nord de la ville où l’armée congolaise est engagée dans de violents combats contre les unités du M23. Le jeudi 29 août, à New York, l’ONU affirme détenir des « informations crédibles et cohérentes » sur le soutien de l’armée rwandaise aux combattants du M23. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, contacte le président rwandais, Paul Kagame. Un peu plus au Nord, dans la province d’Ituri, l’armée ougandaise en profita pour mener une incursion en territoire congolais. Le dimanche 25 août 2013, plus de 300 militaires ougandais, équipés de deux chars de combat et des armes lourdes, s’emparèrent de la localité de Sisi, en Territoire de Mahagi.
La population, entre colère et terreur des bombardements aveugles, afflue près des installations de l’ONU pour protester contre l’incapacité des casques bleus à repousser l’ennemi. La tension est extrême entre la population et la force onusienne, dont les convois se font « caillasser ». Débordés, les casques bleus uruguayens tirent dans le tas et abattent deux manifestants congolais, ce qui ne fait qu’envenimer la situation. À plusieurs reprises, le M23 lance des attaques contre la base de la MONUSCO à Munigi, au Nord de Goma. Les 22 et 23 août, l’offensive est menée à l’aide de mitrailleuses et de canons automoteurs. Une ambulance de la Mission onusienne est détruite. Les 24 et 28 août 2013, le M23 lance des obus de mortier sur la base faisant six blessés parmi les casques bleus. Le 28 août, à Kibati, il prend pour cible un véhicule blindé de transport de troupes à l’aide d’un canon automoteur. Deux casques bleus tanzaniens sont tués et un est blessé. Le même jour, un autre casque bleu tanzanien est tué dans une embuscade tendue par le M23 à Kiwanja. Le président Kabila et le gouvernement de Kinshasa restent totalement discrets et aphones. Martin Kobler, devenant président de fait, se rend plusieurs fois au front pour remonter le moral des soldats congolais et réconforter les blessés. Les FARDC bénéficient de l’appui décisif des casques bleus tanzaniens et des tireurs d’élite sud-africains de la brigade d’intervention de la MONUSCO. Mais le pire reste à venir.
Complot international ?
De l’autre côté de la frontière, le Rwanda masse des troupes et se prépare à donner l’assaut sur Goma. Le motif officiel avancé par les autorités rwandaises est qu’il s’agit de représailles, Kigali accusant les FARDC d’avoir lancé des obus sur le territoire rwandais. Les autorités rwandaises investissent le terrain médiatique et multiplient les menaces. Dans un communiqué, le général Joseph Nzabamwita, porte-parole de l’armée rwandaise, accuse les FARDC d’avoir « délibérément tiré à la roquette au-delà de la frontière commune en territoire rwandais. Les bombes qui provenaient d’un propulseur de 107 mm, affirme-t-il, sont tombées sur le village de Bugu, dans le quartier de Busigari en secteur de Cyanzarwe du district de Rubavu vers 13 heures jeudi ». La ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, déclare : « Des civils rwandais sont ciblés par les forces de la RDC. Nous nous sommes retenu aussi longtemps que nous le pouvions, mais cette provocation ne peut plus être tolérée ». Au Conseil de sécurité de l’ONU, le représentant du Rwanda, Olivier Nduhungirehe, menace : « Une ligne a été franchie. Les civils rwandais sont pris pour cibles par les forces armées congolaises. Nous ne pouvons pas tolérer cette provocation plus longtemps, et nous n’hésiterons pas à défendre notre territoire ».
Les accusations contre le Congo sont pourtant démenties, et pas par n’importe qui. D’abord par l’ambassadeur de France à l’ONU, Gérard Araud, pour qui les tirs sur le territoire rwandais sont le fait du M23 et servent à donner un prétexte au Rwanda d’intervenir au Congo. Elles sont aussi démenties par le secrétaire général de l’ONU, Ban-Ki-moon, pour qui le Rwanda se sert du M23 pour provoquer des incidents et justifier une intervention militaire. Tout cela ne change pourtant pas grand-chose à la situation sur le terrain qui continue de se dégrader. Nous sommes à la veille d’une guerre d’ampleur régionale comme il s’en est produit contre le Congo en 1996 et en 1998.
Mais tout d’un coup, et sans raison apparente, Goma redevient calme. La ligne de front s’est éloignée. Dans la ville rwandaise de Gisenyi, jumelle de Goma, les troupes rwandaises, qui menaçaient de donner l’assaut, plient bagage. Les convois militaires des RDF font demi-tour, direction Kigali. Plus au Nord, l’armée ougandaise se retire du territoire congolais de Mahagi. Nous sommes samedi 31 août 2013 et aucun obus n’a été tiré sur Goma depuis la veille. Il en sera ainsi depuis. Que s’est-il passé ?
En effet, ces attaques contre le Congo ont été menées exactement au moment où la presse internationale était absorbée par la perspective d’une intervention militaire des États-Unis en Syrie. Lorsque le 30 août 2013, le Premier ministre britannique David Cameron, déterminé comme Barak Obama, à bombarder la Syrie, concède à s’incliner devant le vote de ses parlementaires, et que le lendemain le président américain renonce à l’opération contre Damas et s’en remet à l’avis du Congrès, la tension retombe dans l’Est du Congo. Effet papillon ? Non. En réalité, ce repli des armées rwandaise et ougandaise, dans la foulée des renonciations à une intervention d’Obama et de Cameron en Syrie, vient de livrer sur la face du monde un des grands mystères de l’interminable guerre du Congo : la main cachée des Américains et des Britanniques. Les armées du Rwanda et de l’Ouganda s’apprêtaient à réoccuper l’Est du Congo pendant que leurs parrains américains et britanniques bombardaient la Syrie. En faisant coïncider les opérations militaires dans l’Est du Congo avec le pic de la crise syrienne, les deux alliés militaires des États-Unis voulaient passer inaperçus. Et ce n’était pas la première fois que cette coalition (États-Unis, Royaume-Uni, Rwanda, Ouganda) opérait de façon synchronisée contre le Congo.
Le règne de l'impunité
Fin novembre 2013. Les soldats congolais ont repris le contrôle de tous les territoires que le M23 occupait. Ce mouvement, défait militairement début novembre, s’est disloqué politiquement en Ouganda où ses cadres s’étaient réfugiés. Au cours de son escale à Bunia, le président Kabila annonce qu’il va se rendre à Kampala pour relancer les négociations entre son gouvernement et le M23. L’annonce provoque l’embarras jusque dans les rangs de ses partisans. On s’attendait à l’autodissolution du mouvement et à la reddition des quelques nationaux qui y avaient été recrutés. Kabila fixe au 15 décembre 2013 la date limite avant laquelle un accord devra être trouvé. Il arrive à Kampala le 02 décembre pour rencontrer son homologue ougandais et parrain du M23, Yoweri Museveni.
Les pourparlers sont relancés en dépit des mécontentements à travers le pays. Le 12 décembre 2013, les délégations du gouvernement et du M23 signent les accords de Nairobi. Dans le communiqué conjoint de la CIRGL et de la SADC qui tient lieu de condensé des engagements réciproques, l’« amnistie pour les membres du M23 » apparaît à l’article premier, confortant la vieille tradition de l’impunité et la prime à la guerre. Très vite, à Kinshasa, le gouvernement rédige un projet de loi que la commission mixte paritaire des deux chambres du parlement adopte le 04 février 2014. La loi d’amnistie est rapidement promulguée par le président Kabila le 11 février 2014. Une loi d’autant plus odieuse que ni le président Kabila, ni son gouvernement, ni les députés, ni les sénateurs, n’avaient cherché à identifier les victimes et à prendre en considération les souffrances qu’elles enduraient des suites des tueries, des viols, des pillages, des déplacements forcés, de la dislocation des familles,...
Boniface MUSAVULI
Analyste politique et militant des droits de l’homme. Dernier livre publié : « Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes », voir https://www.amazon.fr/dp/152170399X
« RDC : des tireurs d’élite sud-africains frappent des positions du M23 », levif.be, 29 août 2013.
La brigade d’intervention de la MONUSCO est une force de 3.069 soldats dotée d’un mandat offensif. Elle a été créée par la Résolution 2098 (2013) du Conseil de sécurité de l’ONU du 28 mars 2013. Composée de soldats sud-africains, tanzaniens et malawites, elle vient en appui aux 17.000 casques bleus déjà déployés dans le pays et aux unités de l’armée congolaise engagées dans les zones de combats.
« Le Parlement britannique vote contre l’intervention en Syrie », rfi.fr, 30 août 2013.
Communiqué final conjoint CIRGL-SADC sur les pourparlers de Kampala, Nairobi, 12 décembre 2013, Site de l’ambassade de la RDC à Paris, in http://ambardcparis.com/Communique%20Final.pdf (page consultée le 12 avril 2014).
L’impunité au Congo est une réalité outrageusement pesante. Les principaux décideurs politiques du pays sont issus des guerres d’agression qui se sont soldées par des accords entre belligérants, le partage du pouvoir et des amnisties successives. Le cadre politique actuel a été posé par l’Accord global et inclusif sur la transition en République Démocratique du Congo (dit accord de Sun City) signé le 16 décembre 2002 à Prétoria (Afrique du Sud) et adopté le 1er avril 2003 à Sun City qui consacrait le partage du pouvoir entre les belligérants de la Deuxième Guerre du Congo. Depuis, la vie politique est dominée par les formations ayant un lien avec des groupes armés pilotés par le Rwanda et l’Ouganda.
« Article 6. La présente loi ne porte pas atteinte aux réparations civiles, aux restitutions des biens meubles et immeubles ainsi qu’aux autres droits et frais dus aux victimes des faits infractionnels amnistiés », loi portant amnistie pour faits insurrectionnels, faits de guerre et infractions politiques. Site de la Présidence de la RDC, http://www.presidentrdc.cd/doc/loi-amnistie2014.pdf.
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