Nous sommes conscients des épées de Damoclès pointées au-dessus de nos têtes, mais c’est la concomitance de l’imminente menace de ces épées qui risque de déclencher une bombe.
Les épées de Damoclès au-dessus de nos têtes :
- Celle du réchauffement climatique qui oblige préventivement à investir dans de nouvelles énergies durables, non émettrice de CO2, en économie d’énergie,
- Celle de l’atteinte à l’environnement et à la biodiversité, qui oblige à investir aussi dans la protection de l’environnement, dans une agriculture durable et non agressive pour l’environnement, plus biologique et faisant moins l’usage d’engrais chimiques et de pesticides, dans une gestion durable des ressources de la planète et de l’accès à l’eau.
Ces deux risques, de plus en plus conscientisés par la population mais jugés lointains, sont maintenant considérés de plus en plus rapprochés, toucheront nos propres enfants et petits enfants et commencent déjà à se concrétiser aujourd’hui par des perturbations, cyclones, inondations.
- Celle de la dette publique, qui avait déjà atteint un niveau considérable en France, avec un coût de charge d’intérêt qui s’élevait déjà à 3% du PIB avant la crise (environ 50 milliards d’euros, équivalent à tout l’impôt sur le revenu), sans compter le nécessaire remboursement du capital (ce qui équivaut à obérer 3% de croissance, car cet argent aurait pu être utilisé à autre chose ou à une réduction d’impôt). Le déficit public, qui atteignait 3%, limite maximale autorisée par le traité de Maastricht, a atteint 7,5% en 2009 et va atteindre 8% en 2010, pour descendre à 6% en 2011, 4,6 en 2012 et 3% en 2013. Or la dette publique, qui était de 1250 milliards avant la crise fin 2007, a atteint 77,6% du PIB en 2009, est estimée à 1500 milliards fin 2010, du fait de l’accroissement du déficit dû en partie à la crise du fait du plan de relance et de la baisse des recettes en impôt, suite à la dégradation de la situation des entreprises et des ménages, et en partie au creusement devenu endémique du déficit de fonctionnement, de la dette sociale (et encore, le déficit public devrait être de 20 milliards de plus et la dette de la Sécurité Sociale très diminuée si l’Etat daignait rembourser ce qu’il doit à la Sécurité Sociale …). Il faut donc logiquement s’attendre à une hausse notable de la charge financière des intérêts sur cette dette de 20% à niveau égal de taux, soit une charge financière de 3,6% (en fait ce calcul est simplifié car la dette a été contractée par des emprunts publics sous forme d’OAT et de bons du Trésor de différentes durées à différents taux et leur renouvellement dépend de l’échéancier des tombées d’emprunt, ce qu’on peut calculer précisément en ayant toutes les information sur le site de l’AFT (Agence France Trésor). Cependant, les taux ayant été relativement bas les dix dernières années, en ce moment à 3,40% pour les OAT 10 ans, cette hypothèse est optimiste. Les taux peuvent à tout moment remonter, comme on le voit pour la Grèce, si le risque souverain augmente, renchérissant le coût de la nouvelle dette, tout en dépréciant la valeur de l’ancienne dette à taux plus faible … Pour que cette dépréciation se concrétise en baisse de la dette, il faut rembourser cette dernière par anticipation. Mais s’il est nécessaire de réemprunter, même moins grâce à la plus value, à un taux plus élevé, la charge financière annuelle à court terme augmente …
- Celle des retraites, gros dossier à venir du gouvernement, qui fera l’objet en 2010 d’une réforme importante. En 1970, on comptait 3 cotisants pour un retraité. Ce ratio est tombé à 1,9 cette année et continue sa chute. En 2040, il devrait être compris entre 1,3 et 1,7. Le montant moyen de la retraite était de 1288 euros par mois fin 2004 (1617 euros pour les hommes et 782 euros pour les femmes). En l’absence de réforme, les taux de remplacements nets des prélèvements sociaux (retraites en % du dernier salaire) vont se dégrader. Dans l’hypothèse d’un retraite à 65 ans pour une carrière continue de 40 ans, ce taux passerait, entre 2003 et 2050, de 83,6% à 73,5% pour un non-cadre du privé, de 64,1% à 53,2% pour un cadre du privé, mais de 68,7% à 69,2% pour un fonctionnaire territorial. Pour sauver le régime par répartition actuel financé par les cotisations, sur la base de l’évolution démographique subie (nombre d’actifs/nombre de retraités), nous savons qu’il faut jouer sur trois paramètres : le niveau des cotisations, le niveau des reversions de retraites et la durée des cotisations (donc l’âge de départ à la retraite compte tenu du vieillissement de la population). Sachant qu’on peut envisager de nouveaux paramètres : de nouvelles sources de financement (TVA sociale, taxe sur le capital), une politique d’immigration ou d’incitation forte à la natalité pour augmenter le nombre d’actifs (à condition qu’ils aient du travail !). L’équation est imparable, implacable. Les solutions préconisées de retraites par point, engendrent de la souplesse au dispositif, permettant à chacun de choisir ses propres paramètres, mais en subissant de toute manière l’équation. Quant au système de retraite par capitalisation, système anglo-saxon qui suppose un fonctionnement assis sur des capitaux considérables gérés par les fonds de pension investis en bourse, en actions et en obligations, il n’assure par une solidarité intergénérationnelle, étant plus dans une logique du chacun-pour-soi. Il comporte aussi des risques de dégradation des pensions suite à la chute des bourses (les retraités américains ont vu leurs pensions se dégrader de 20 à 40% suite à la crise financière), subit de la même manière un risque démographique comme l’on démontré des économistes (le rachat des parts aux retraités liquidant leur pension par moins d’actifs faisant baisser les prix d’achat) et nous interroge sur le modèle de société qu’il implique. En effet, l’exigence de forte rentabilité des fonds propres, dit ROE (Return On Equity), la forte pression des actionnaires sur les grandes entreprises et sur les banques pour atteindre des taux de rentabilité irréalistes (de l’ordre de 15% alors que la croissance de l’économie n’était que de 5% pendant les 10 et même 20 dernières années, surtout dans cet environnement concurrentiel des marchés financiers) proviennent surtout des fonds de pension qui gèrent l’épargne des assurés, des retraités et des futurs retraités, plus encore en termes d’enjeux que les actionnaires fortunés des entreprises. Les fonds de pension détiennent 15% de la richesse mondiale en 2006, les investisseurs étrangers, majoritairement des fonds de pension, détiennent 50% des actions du CAC40 (voir cet article) ainsi que 42% du patrimoine immobilier d’entreprise en France (voir cet article) et 40% du patrimoine immobilier parisien !
- Et enfin celle du chômage et de la récession, qui s’aggravent fortement avec la crise, le taux de chômage atteignant un niveau de 10% en Europe et en France. Comme je l’avais estimé dans un article l’an dernier sur le bilan financier mondial de la crise, qui pointait sur les conséquences de la crise, extrapolait des chiffrages, une baisse de 1 point de croissance se traduit en une perte de recettes publiques d’environ 0,5 points, aggravant le déficit public d’autant. Comme le décrivent une étude de Natixis et une étude récente du Pôle emploi reprenant les chiffres de l’Insee, après une croissance de 2,4% en 2006 et de 2,3% en 2007 (avant la crise financière), devenue quasi-nulle en 2008 (+0,3%), l’année 2009 restera dans les mémoires comme une année noire en terme d’activité. le PIB s’est en effet contracté de 2,2%, soit la plus forte récession enregistrée depuis l’après-guerre. Les destructions d’emplois devraient se poursuivre tout au long de 2010, permettant d’estimer une croissance de 1,6% en 2010 et de 1,4% en 2011.
Ce dont nous devons maintenant prendre conscience, c’est de la concomitance imminente de ces risques, qui non seulement convergent au même moment dans les prochaines années, mais aussi de la réaction en chaîne, tel dans un réacteur nucléaire, entre ces risques, du fait de leur interdépendance :
- plus de chômage et récession, allant aussi avec stagnation des salaires, c’est moins de recettes fiscales, donc plus de déficit et plus de dette, et moins de cotisations pour les retraites,
- plus de déficit public, c’est plus d’impôts sur les générations futures actives si la croissance n’est pas au rendez-vous,
- une augmentation des cotisations retraites sur les générations futures sera-t-elle soutenable en même temps qu’une augmentation des impôts, de surcroît dus aux générations précédentes qui ont vécu à crédit, finançant des dépenses de fonctionnement, leurs déficits sociaux, par de la dette ? La révolte des jeunes risque de se retourner contre leurs parents, contre les retraités, dégénérant en conflit entre générations …
- l’augmentation du déficit entretient l’augmentation de la dette et donc de la charge financière de la dette et donc, du déficit,… Le piège infernal se referme sur nous. L’Etat emprunte déjà pour rembourser les intérêts de sa dette. Effet boule de neige, comme celui de la pyramide de Ponzi pratiqué par Bernard Madoff .
- plus d’investissements dans le développement durable et la protection de l’environnement permettrait de générer des emplois et de contribuer à la croissance, mais au prix d’un accroissement de la dette pour financer cet investissement, donc de la charge financière de la dette et des impôts futurs. Ce coût additionnel sera-t-il compensé par la croissance générée par ces nouveaux emplois ? Il faut absolument en faire d’avance le calcul et en connaître la rentabilité escomptée à la fois dans le court terme et à long terme.
Si nous sommes entrés dans la crise économique qui a suivi la crise financière, ce n’est rien à côté de ce que nous allons vivre dans les prochaines années. Nous allons probablement entrer dans une très grave crise sociale. L’étincelle qui peut déclencher l’explosion pourrait être une brutale remontée des taux d’intérêt, notamment dans la continuité de la crise de la dette publique grecque qui risque de contaminer d’autres pays européens comme le Portugal, l’Espagne, la France, sans oublier la Grande Bretagne. Le déficit public s’aggravant brutalement et les marchés financiers exigeant des garanties au risque d’augmenter encore les taux d’intérêt exigés sur la dette souveraine, il faudra payer. Arrivera-t-on à faire payer les riches et dans quelle proportion ? Les classes moyennes et plus défavorisées vont forcément souffrir et se rebeller fortement contre les riches, contre les injustices sociales, de même que les jeunes contre les vieux.
Les hommes politiques en responsabilité et les partis politiques vont-il oser dire la vérité aux Français et proposer des plans d’actions concrets ? Pour le moment cette vérité, qui n’est pas bonne à dire sous peine de démoraliser les Français, sourd insidieusement mais n’est pas encore franchement avouée et ceux qui l’annoncent, comme François Bayrou ou Jacques Attali, sont montrés comme les Cassandre, voire des populistes attisant les peurs.
Les discours politiques sont actuellement dérisoires, axés sur les luttes de clans, sur les questions d’alliances, de droitisation de la droite, de gauchisation de la gauche, d’explosion du ou des centres … François Bayrou, depuis les élections présidentielles, est sans doute l’homme politique qui avait eu la meilleure vision prospective de cette concomitance des dérives de la financiarisation de l’économie, de la dette et du déficit public, de la menace sur les retraites, du report insoutenable de ces problèmes sur les générations futures, du devoir de dire la vérité aux Français, de la nécessité d’une prochaine unité nationale de toutes les forces politiques afin de résoudre ces questions non clan contre clan mais tous ensemble. Sa mise au ban actuelle du terrain de jeu politique par ses concurrents et par la sphère médiatique est-elle raisonnable et responsable ? Quand sera-t-il enfin écouté ? En tout cas, il va falloir du cran et du courage au futur président de la république, car ça ne va pas être de la tarte ! Qui aura encore envie d’être candidat en 2012 ?