Reconduite à la frontière : le chat qui se mord la queue ?
Ils sont beaux, ils sont romantiques, ils tiennent bon. Mais ils sont si loin de certains petits détails qui bordent leurs grandes et belles réformes ! Ça en serait comique si ce n’était pas si agaçant.

Ils sont trois. Il y a Nicolas Sarkozy, le président qui force l’admiration par sa détermination et son obstination à faire passer ses réformes et les promesses qu’il a faites pendant la campagne présidentielle. Il y a Rachida Dati, à la timidité charmante, au parcours exceptionnel jusqu’au poste de garde des Sceaux, excusez du peu ! Et il y a Brice Hortefeux, au prénom de surfeur et au nom de dessin animé. Ou presque.
On parle quotas. On les dépasse même, paraît-il. On reconduit les « indésirables » à la frontière. Et par la même occasion on fait taire le Front national qui soudain, bizarrement, n’a plus rien à dire… Mais sait-on que dans le même temps l’Etat recourt à des pratiques pour le moins étranges, pour ne pas dire illégales ? En tout cas absurdes. Et au plus haut point.
Jugez plutôt : nous sommes à Saint-Martin, petite île franco-hollandaise dans les Caraïbes. Un jeune homme vient de commettre une grosse, une très grosse bêtise. Ce jeune homme, appelons-le Junior. Junior a 17 ans, presque 18. Il n’a rien ou pas grand-chose. Pas de travail, pas d’argent et pas beaucoup d’éducation. Il est né du côté hollandais de l’île. Il a plusieurs frères et sœur et de nombreux cousins et cousines. Sa mère et ses tantes ont du mal à joindre les deux bouts. La vie n’est pas toujours facile pour ceux qui sont nés et qui vivent dans les « paradis pour touristes » ! Junior traîne ses guêtres à Marigot, côté Français, et il s’ennuie avec ses amis. Et comme il y a un touriste justement qui monte fièrement dans sa voiture de location, et comme Junior et ses amis n’ont pas de moyen de transport, ils décident bêtement « d’emprunter » la voiture de cet inconnu. Bien sûr, il ne se laisse pas faire, alors on lui force un peu la main et il cède vite devant le nombre puis regarde sa voiture s’éloigner vers le Nord, vers la Baie orientale.
Un peu plus tard nos jeunes délinquants sont interceptés par une patrouille de gendarmerie à Quartier d’Orléans, juste avant la frontière. Tous s’enfuient en courant. Tous sauf Junior, au volant de la voiture. Il est arrêté et placé en garde-à-vue. Puis, comme son délit a été commis du côté français de l’île, on lui signifie qu’il va être envoyé en Guadeloupe pour y être jugé. Jusqu’ici on est d’accord.
Le lendemain, Junior est effectivement envoyé en Guadeloupe où il écope d’un an de prison ferme. Toujours d’accord, et pourtant il se passe déjà quelque chose de pas « normal ». Nous allons y revenir. Après six mois, Junior, qui vient d’avoir 18 ans, bénéficie d’une remise de peine. Eh oui. On va le remettre en liberté. Il va sortir et retourner chez lui. A Saint-Martin. Côté hollandais. L’Etat français a assuré son transport à l’aller, il l’assurera pour son retour. Seulement il y a un petit problème… il n’est pas en possession de son passeport ! Or, son passeport est obligatoire pour lui permettre de voyager et de retourner chez lui, à 40 minutes de vol. C’est la loi.
La loi.
Mais au fait, comment est-il arrivé jusqu’ici ? Ah oui ! Les gendarmes l’ont accompagné en avion.
En avion.
Sans passeport donc ? Sans connaître son identité ? Sans certitude sur celle-ci ? Sans aucun document qui la justifie ? Comment est-ce possible ? Comment une chose possible dans un sens devient-elle impossible dans l’autre ? Comment les gendarmes ont-ils fait pour faire entrer un « sans-papiers » sur le territoire français ? Ah oui, il se trouvait déjà sur le territoire français quand il a commis son forfait, c’est vrai. Il y a pourtant un poste de police à passer avant de sortir de l’aéroport de Pointe-à-Pitre. Junior n’a pas son passeport, il passe. Passons. Après tout, il est en état d’arrestation… Force doit rester à la loi.
Mais, dans ce cas, pourquoi ne l’autorise-t-on pas à rentrer chez lui de la même manière ? Sans son passeport. Parce qu’il va être libéré ? Et que, par conséquent, il se retrouvera dans la même situation, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que n’importe quel citoyen du monde ? Soit. Alors pourquoi ne pas le raccompagner à Saint-Martin tandis qu’il est encore écroué et ne pas le libérer après ? Trop subtil pour nos dirigeants ? Permettez-moi d’en douter. Toujours est-il qu’on va bel et bien le libérer et qu’il va se retrouver dehors, dans la rue, en Guadeloupe, sans argent, sans passeport mais libre. La belle affaire ! Libre de quoi ? Je vous laisse l’imaginer.
Le plus ubuesque est pourtant encore à venir !
Je connais Junior. J’ai eu une liaison avec une de ses tantes quelques années auparavant. Nous sommes restés en contact. Quand Junior a été arrêté puis jugé puis incarcéré, sa mère m’a demandé de lui donner des nouvelles. Pourquoi moi ? Pour trois raisons simples : je vis en Guadeloupe. Ni Junior ni sa mère ni personne de sa famille ne parle le français. Je parle l’anglais.
Je vais donc servir d’intermédiaire entre la famille de Junior et les autorités. Ces mêmes autorités qui me préviennent quatre jours avant sa libération qu’il n’a pas son passeport. Elles ont bien tenté d’entrer en contact avec les autorités hollandaises, mais une confusion sur les prénoms de Junior ont fait que le consulat a déclaré « ne pas connaître cet individu ». Junior a bien sûr un passeport. C’est sa mère qui le détient à ce moment-là. On ne le lui a jamais réclamé depuis six mois que son fils est en Guadeloupe. Je lui demande donc de l’expédier au plus vite, par courrier express, à l’adresse qu’on m’a communiquée. Mais s’il n’arrive pas à temps pour sa libération ? Pas d’inquiétude, les autorités ont tout prévu : on me demande s’il m’est possible de l’héberger le temps que son passeport lui parvienne. Je réponds oui sans hésiter, bien sûr. Pourtant il me vient une question. Ai-je le droit de recevoir chez moi une personne qui n’a pas de papiers à présenter à un contrôle éventuel de police ? Ne vais-je pas me mettre dans une situation délicate ? La question posée, on me répond simplement que si j’ai des ennuis je n’aurais qu’à m’adresser à un officier de police judiciaire et à lui expliquer mon cas. Bah voyons. Dois-je préciser qu’il y a en Guadeloupe de nombreux contrôles de la police de l’air et des frontières à toutes les heures du jour et sur toutes les routes du département ? Vous avez dit quotas ? Il y a ici de nombreux immigrés venant des îles voisines en situation irrégulière et il n’est pas conseillé de leur venir en aide de quelque manière que ce soit ! Charmant.
Heureusement, le passeport arrive à temps et Junior rentre chez lui en me promettant par téléphone de faire en sorte de ne plus revenir, du moins dans ces conditions.
Cette histoire n’est pas une fiction, elle vient de se produire réellement.
Alors maintenant je pose la question à M. Sarkozy, qui est je crois avocat de profession, à Mme Dati et à M. Hortefeux : qu’ont-ils prévu dans toutes leurs réformes pour de tels cas ? Y ont-ils seulement pensé ? Je ne peux pas imaginer que ce cas ne se soit jamais produit auparavant. Du reste, la personne avec laquelle j’étais en contact au centre pénitentiaire de Baie-Mahault m’a confirmé que c’était une situation très fréquente compte tenu de la position géographique de notre île. Eh non, vous ne rêvez pas, l’Etat français a donc semble-t-il le droit de faire entrer des individus coupables de délits sur le territoire français sans papiers d’identité pour les y juger et les incarcérer ; en tout cas de les transférer d’un endroit à un autre sans remplir les formalités les plus élémentaires. Après, qu’ils se débrouillent. Ils sont libres, mais comme ils ne sont ni interdits de séjour ni sous le coup d’un arrêt d’expulsion, on les jette dans la rue, sans argent et sans aide d’aucune sorte. Absurde ! Car toutes les conditions sont ainsi réunies pour qu’ils récidivent. Alors on fera quoi ? On les remettra en prison ? Ça peut durer longtemps !
Certes, le cas de Saint-Martin est un peu particulier. Certes, je viens de faire le récit d’un cas somme toute marginal, même si encore une fois il n’est pas complètement isolé. Mais on a un peu l’impression d’observer un chaton qui court après sa propre queue : plus il court et plus elle lui échappe ! Et l’Etat se retrouve là devant ses propres contradictions. Vous n’avez pas de papiers ? On vous expulse. Vous êtes libéré de prison, mais vous n’avez pas de papiers ? On vous garde. Vous y comprenez quelque chose, vous ? Moi pas. Et vous Monsieur le président ? N’y a-t-il pas là un vide qu’il faudrait combler d’urgence ?
La loi est un vaste programme. Mme Dati a beaucoup à faire. Faisons-lui confiance par principe, mais de combien de temps dispose-t-elle ? M. Hortefeux de son côté fait de son mieux pour respecter les fameux quotas qu’on lui a imposés. C’est une tâche difficile, mais paraît-il nécessaire. Toutefois, je ne voudrais pas être à sa place. Surtout quand on songe que ceux qu’on pousse vers la porte de sortie reviennent parfois par la fenêtre ! Je me demande si à long, très long terme, la solution à tout ça, à toutes ces reconduites à la frontière dans des conditions parfois inhumaines ou dégradantes ce ne serait pas tout simplement la suppression des frontières ! Imaginez un monde où l’on pourrait circuler librement d’un endroit à l’autre de la planète, sans contrainte, sans papiers… Non, je ne rêve pas ! Ce monde a existé. C’était il y a très, très longtemps ! Au temps où les hommes n’avaient pas encore inventé la civilisation, la propriété et les nations. Au temps où en somme ils étaient encore heureux. « Le monde moderne ne sera pas châtié… Il est le châtiment ! », dit Nicolas Gomez Davila. Le monde ancien reviendra, quand les hommes auront enfin compris. Et ils finiront par comprendre. C’est inévitable. Mais il faudra attendre très, très longtemps !
Hervé Buschard.
30 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON