Rednecks dancing en Beaujolais
Passés pedibus l’une des douze barrières qui ceinturent l’espace de la fête et l’isole des voitures, nous y sommes, là, juste aux premiers accents à tous vents d’une belle musique country au milieu des vignes et des collines. La vraie vie est ici, comme ça. Parisien ! Lyonnais ! si tu savais ….
Dans la cour du Château Portier, d’habitude un rien austère, on danse. Je vous emmène à la fête des crus en Beaujolais, l’annuelle réjouissance qui rassemble 20 000 à 30 000 fidèles du culte à Bacchus en pays bien de chez nous.
Pas autant que sur la place Saint-Pierre à Rome en ce dimanche dernier me direz-vous.
Mais on déambulait dense néanmoins par les chemins, on se serrait bien aux spectacles, disons, autant qu’autour de la fontaine de Trévise un jour ensoleillé de printemps..
Seulement, là, ça n’est pas l’eau qui coule à flot en glougloutant. C’est le Beaujolais, ce troisième grand fleuve qui, avec la Saône et le Rhône, arrose le Lyonnais, voire le monde entier. Mais, je suis un peu confus, je vous embrouille, avec toute cette eau à la place du vin, tout ce vin à la place de l’eau .. D’ailleurs, vous n’avez qu’à changer vous-même l’eau en vin, ou le contraire si ça vous chante, on est au service divin que diable !
Je voudrais bien vous y voir vous, écrire un compte-rendu à chaud immédiatement après une telle expérience .. comment vous feriez pour garder les images et les mots au carré ! Et pas nous égarer en de si lumineux et vibrants instants.
On doit s’étonner, sinon s’indigner, qu’un tel événement ne fasse pas le 20 H à la télévision nationale. Pendant quarante jours au moins, en appelant au témoignage de chacun. Il y aurait matière.. ça ferait sens, les téléspectateurs se détendraient l’espace du soir, et se régaleraient à grands coup de beaujolais. Tandis qu’à Saint-Pierre, ou au récits des facéties de nos gouvernants, ou à l’évocation des tourments et des horreurs du moment, on s’en va pas forcément riant ..
2014 sous le thème de la danse
Dix crus, dix cours de châteaux ou de belles demeures pour vous accueillir. Les dix lieus ont en commun de vous servir à boire et de vous divertir, ou, pour être plus précis, de vous faire déguster leur vin, qui Fleurie, qui Chiroubles, qui Moulin, qui Saint-Amour.
Les hôtes ne sont pas avares, tant ils savent vivre, tant ils connaissent ! Avarus nisi cum moritur … Dix crus, vous avez bien retenu .. et dix rasades par crus mettons, si vous êtes en ferveur et à la hauteur des intentions des organisateurs. Le ton est donné, le conte sera bon. Quelques pisse-froids recrachent, bien malappris à mon avis, bien peu distingués .. Les gens normaux, eux, boivent avec entrain. Je dois dire aussi, certains, les plus mystiques sans doute, les plus courageux, les élus, sans retenu.
Ce qui différencie chacune des dix stations, outre la couleur, l’arôme, la longueur en bouche des divins breuvages, le nez, la robe, le teint, c’est la danse choisie pour illustrer : j’y reviens, je vous ais dit, nous sommes au Moulin-à-vent, red necks country music dancing .. La planète entière nous comprend.
Vous connaissez vous-aussi n’est-ce-pas ?
Sous la houlette d’officiants très-expérimentés, trois à quatre douzaines de néophytes s’exercent à la pratique. Un deux trois quatre cinq six sept huit .. On dégaine à droite, un deux trois … on dégaine à gauche ! Un espiègle demande à tue-tête : « On dégaine quoi », en regardant le postérieur rebondi de la haute jeune femme devant lui qui se déhanche avec talent. Ses amis rigolent, exultent, le verre à la main, les gens tout autour aussi. Puis on passe au lasso, on saute à cheval, on part au galop, un écart à droite, un écart à gauche, tous ensemble. D’un pied, de l’autre, en avant, en arrière, on saute.
Le rythme passe des danseurs à la foule, qui applaudit, tape des pieds, hurle en chœur et lève le coude, gorge déployée. Je cherche Gretchen Wilson, la célébrité, venue des Etats-Unis, de l’Alabama, ou du Texas pour être plus précis.
Parfaitement acclimatée Gretchen ! Ici, on est en territoire ami, en terroir garanti pure country. Il existe semble-t-il une étroite communauté d’esprit entre nos terroirs à nous, qu’ils soient d’ici ou du sud des états Unis, qu’ils soient de maintenant ou des vieux temps, c’est peut-être là que se définit le mieux l’Occident : Brueghel vous aurait peint ces joyeuses agapes et ces danses endiablées bien mieux que je vous les décrits.
De processions en processions sous le regard bienveillant des Dieux, Sol Invictus au zénith
Le soleil au zénith, tous nos pèlerins le verre à la main se prirent de souci pour trouver le repas de midi.
Là, je dois dire, et en guise d’apéritif, nous fûmes pris d’un grand rire. Il nous fallait des renseignements, nous qui processionnions depuis un bon moment de stations en stations, de redneck dance en Charleston, de ballades irlandaises en musique tyrolienne.
Une barrière devait faire l’affaire, tenue par une jeune femme avenante et un charmant garçon. Au bout de dix minutes d’explications, nous n’avions rien compris, ni les uns ni les autres. Etait-ce l’effet des breuvages déjà ? Vous le pensez n’est-ce-pas ? Sur nous, sur eux, ou sur vous ? Toujours est-il que nous nous retrouvâmes au fond d’une impasse, verdoyante certes, et pleine de fleurs, mais une impasse. D’alambic, la grosse machine gastronomique à sortir les mets cuits en gène, comme on fait en Beaujolais, point, de points de pique-nique point.
Enfin, poulopant d’indications en indications, sous un grand chapiteau tout bruissant de rires et de cris et d’interpellations joyeuses et d’appréciations sonores et de chants et d’applaudissements et de musiques et de cantiques, nous prîmes place au milieu de 5000 commensaux réjouis.
Nous dûmes auparavant suivre la file égayée des postulants dirigés vers les gigantesques roulantes – dont l’alambic précité - d’où sortaient, comme par miracle, et en quantité énormes, coqs au vin, saucisson cuits, fromages et pomme rôties, tartes et fruits qu’une armée de bénévoles bien aimables et souriants arrangeaient habilement sur nos plateaux. Pantagruel à l’office !
Quelle énergie ces gens du Beaujolais, quel accueil séduisant, quelle gaieté, quelle cordialité !
Nous nous étions munis, après un bench-mark très appliqué, pour quatre que nous étions nous, d’une bouteille de Moulin-à-Vent du domaine de Foretal et d’un Fleurie de Gilloud Jérémie. Gilloud ! Qu’on ne m’accuse pas de faire ici la moindre réclame. Je vous exprime simplement l’expression d’un sincère émerveillement et vous prodigue, en mode allusif, un conseil d’ami dont, l’an prochain, vous saurez tirer parti.
En fin de repas, Lili pris le pain restant, excellent et odorant, pour nous. Et le gras pour le chat.
Distrait certainement par la qualité exceptionnelle des vins et des mets j’en oubliais en partant, sur la table, mon couteau hérité de la Légion et un ouvrage de Tamain que j’avais acheté le matin. Plus grave encore, moi et mes trois amis partirent en laissant derrière l’indispensable viatique pour la suite : nos verres ! Nos verres de dégustation, indispensables clefs pour la reprise des opérations.
Quelle conscience de l’amitié en Beaujolais ! tout nous fut rendus quelques instants après, sourire compris.
Je vous parlais de Tamain. Ils sont deux en fait, écrivains. Leur dernier bouquin ? Martine la libertine, à pas confondre tout de même avec Lamartine celui que Chateaubriand appelait tendrement..
Puis les processions des confréries, hautes en couleur, quasi chryséléphantines, puis l’école de danse des petits, les ventes aux enchères, un Fleurie de 1953 .. une constellation de surprises, une gerbe de tableaux, une foule aux anges ..
Je dois vous rapporter quelques mots d’esprits glanés de là de ci .. Devant l’alambic précité, rutilant, compliqué, je m’exclame, on dirait un labo de la NASA !
Réponse d’un bénévole affairé qui n’avait pas bu que du Coca-Cola : La NASA ? c’est nous qui l’avons inventé, ici en Beaujolais ..
A un moment, vous me le pardonnerez, je m’assieds, légèrement fatigué. Un homme élégant, grand, bien mis, en fait autant juste à côté, en me disant : je vois que vous êtes intelligent vous, je vous suis, je fais comme vous, je m’assis .. Bon Beaujolais vous propulse l’intelligence au nue ..
Bon, bon, je sais, je vous vois pas exactement dans l’ambiance, un ou deux éléments vous sont manquants .. Je ne vous dis pas tout. Vous n’avez qu’à venir l’an prochain. 2015 à Saint-Amour.
L’an prochain, nous visiteurs éclairés, allons militer pour que la communication autour de l’événement soit mise en orbite pour faire en sorte que nous soyons au moins deux fois autant à ripailler et nous esbaudir .. Saint-Amour le vaut bien.
Ah ! pour terminer, important .. pourquoi ne pas développer, pour l’an prochain justement, les jumelages entre Beaujolais et Munich (la Oktoberfest, si bien placée aux antipodes de l’année), et Beaujolais et Chimay en Belgique, beaujolais et la ville de Mendeleïev en Russie, qui fêtera le 150eme anniversaire de la VodKa en 2015 .. 2015 sera œcuménique.
Billet dédié à mon vieil ami Sergueï, ancien d’Ambassade, en souhaitant qu’en 2015, il revienne en Beaujolais à la tête d’une nombreuse délégation de son pays. Et à Klaus, et à Mathilde, pour qu’ils en fassent autant.
Citations graphiques
http://mitton.free.fr/images/albums/Pantagruel&Gargantua.jpg
https://www.youtube.com/watch?v=JGQMa1PUF5U
http://www.crus-beaujolais.org/PBCPPlayer.asp?ID=1416203
http://french.ruvr.ru/2014_01_31/La-vodka-russe-souffle-ses-bougies-2339/
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