Reflexion sur l’avenir de la Grèce à partir d’un sondage
Il paraît qu'en Grèce les élections législatives anticipées, prévues initialement pour le 8 avril puis reportées le 29 avril, pourraient en fait finalement ne pas avoir lieu, ce qui repousse potentiellement le renouvellement du Parlement grec en 2013, fin de la législature, ce alors que les deux objectifs (négocier l'effacement d'une partie de la dite « dette souveraine » grecque et assurer les conditions de versement de 130 milliards d'euros d'aides européennes) du gouvernement « transitoire » et « de courte durée » de Lucas Papademos ont été pleinement remplis et qu'aucun parti ne dispose plus de majorité au Parlement.
L'occasion d'un essai de prospective électorale directement tiré d'une note de mon blog.
La raison de ce revirement serait un sondage électoral publié le 15 février dernier. En effet, les résultats donnés par ce sondage (en grec) sont absolument stupéfiants pour ce pays. Jugez plutôt :
La page 24 du sondage en question.
Avant toute chose, on note que le taux d'abstention prévue (30%) est sensiblement le même qu'aux élections de 2009 (29,4%) et de 2008 (28,6%).
Ensuite, de gauche à droite sur l'image, nous avons :
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Le ΠΑΣΟΚ (Πανελλήνιο Σοσιαλιστικό Κίνημα, Panellinio Sosialistiko Kinima), c'est-à-dire le PASOK (Mouvement Socialiste Panhellenique), parti de centre-gauche qui a dominé la gauche depuis 1974 (14% pour lui contre 10% pour la Gauche Unifiée aux législatives du 17 novembre 1974) et réalise depuis les élections du 19 octobre 1981 entre 38,10% et 46,88% avec en moyenne 41,98% des suffrages. Une prévision à 8% des suffrages est donc du jamais vu pour ce parti, et signerait très probablement la mort pure et simple du PASOK, ses contingents d'élus cherchant probablement à éviter de sombrer avec le navire.
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La ΝΔ (Νέα Δημοκρατία, Néa Dimokracia), c'est-à-dire la ND (Nouvelle Démocratie), parti hégémonique de la droite depuis la fin de la dictature des colonels, fréquemment premier parti du pays avec de 1974 à 2007 entre 36% et 54%, avec en moyenne 43,11% des suffrages. Sa chute en 2009 à 33,48% des suffrages, des suites d'affaires de corruption et de népotisme en cascade avait provoqué alors une grave crise interne suivie d'une lutte de succession acharnée. Même si sa chute est moins vertigineuse que celle du PASOK, tomber à 31% des voix seulement, soit moins d'un tiers, serait indéniablement un événement interprété comme un grave échec, tant on pouvait s'attendre au contraire à une remontée fulgurante du fait du rejet de la gauche « de gouvernement » dans l'électorat. Bien que première force politique du pays, la ND ne serait pas en mesure de gouverner seule, ce qui serait une situation quasi inédite.
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Le ΚΚΕ (Κομμουνιστικό Κομμα Ελλάδας, Kommounistiko Komma Elladas), c'est-à-dire le Parti Communiste de Grèce, historiquement le troisième parti du pays, loin derrière les deux premiers et systématiquement rejeté dans l'opposition. Après quelques succès en demi-teinte (entre 9% et 11%) de 1977 à 1985, il est la principale formation de la ΣΥΝ (Συνασπισμός της Αριστεράς, των Κινημάτων και της Οικολογίας, soit Coalition de la Gauche, du Progrès et de l'Écologie) avec le KKE-intérieur, une scission du KKE, jusqu'en 1991. Quand les autres partis de la SYN décident de la transformation d'icelle en parti politique, le KKE se présente seul aux élections, réunissant de 1993 à 2009 de 4,54% à 8,15% des suffrages. Si le parti connaît un grand dynamisme électoral depuis la moitié des années 2000 (8,15% en 2007, 7,54% en 2009), le résultat annoncé de 12,5%, soit un résultat comparable à la SYN durant la deuxième moitié des années 1980, pour le seul KKE serait un événement inédit.
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Le ΛΑΟΣ (Λαϊκός Ορθόδοξος Συναγερμός, Laïkos Orthodoxos Synagermos), c'est-à-dire le LAOS (Rassemblement Populaire Orthodoxe), la principale formation d'extrême-droite depuis 2004. En constante progression (2,19% en 2004, 3,80% en 2007, 5,63% en 2009), le résultat de 5% qui lui est attribué marquerait au contraire une stagnation à un niveau légèrement inférieur au record historique de l'extrême-droite (6,8% pour l'Ethniki Parataxi, soit Camp National, en 1977). Contrairement à d'autres partis protestataires, particulièrement à gauche, le LAOS ne semblerait ainsi pas bénéficier du discrédit des deux grands partis de gouvernement.
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La ΣΥΡΙΖΑ (Συνασπισμός Ριζοσπαστικής Αριστεράς, Synaspismos Rizospastikis Aristeras), c'est-à-dire la SYRIZA (Coalition de la Gauche Radicale). Il s'agit du résultat de la convergence entre la SYN et des mouvements d'extrême-gauche, principalement trotskistes et maoïstes, comme l'AKOA (Ανανεωτική Κομμουνιστική Οικολογική Αριστερά, soit Gauche du Renouveau Écologique et Communiste) et la ΔΕΑ (Διεθνιστική Εργατική Αριστερά, soit Gauche Ouvrière Internationaliste). Réalisant en 2004 un résultat comparable à la SYN seule (3,26% contre 3,20% pour la SYN en 2000), la coalition éclata puis se reforma en intégrant des mouvements écologistes et obtint en 2007 un résultat presque aussi bon que la percée ponctuelle de la SYN en 1996 (5,04% en 2007 contre 5,12% pour la SYN en 1996), puis un léger recul en 2009 (4,60%). Le résultat de 12% qui lui est attribué est donc tout à fait exceptionnel et la place sensiblement au même niveau que le KKE, qui la dominait pourtant largement électoralement depuis 2004.
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Les ΟΙΚΟΛΟΓΟΙ (Écologistes), en fait l'OP (Οικολόγοι Πράσινοι, Oikologoi Prasinoi), les Verts Écologistes, un parti écologiste grec né en 2002. Totalement marginaux, à l'instar de beaucoup de partis écologistes grecs, ils réalisent une performance historique en 2009 en obtenant un député européen et en réunissant 2,53% des suffrages aux élections législatives. Le résultat de 3,5% des voix qui leur est attribué serait donc pour eux le franchissement d'une nouvelle étape. A priori plutôt de centre-gauche, l'OP a néanmoins fait savoir être prêt à participer à un gouvernement aussi bien de gauche que de droite, son objectif premier étant la progression de l'écologie dans les consciences.
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La Δημ. Αριστερά (Δημοκρατική Αριστερά, Dimokrati Aritesta) c'est-à-dire la DIMAR (Gauche Démocrate), une scission de la SYN née en 2010 et adoptant une position plus modérée que la SYRIZA. Les élections législatives prochaines seront sa première expérience électorale en propre, et le résultat de 18% des suffrages qui lui est attribué la place nettement en tête de la gauche. Ce serait ainsi le parti qui profiterait le plus du discrédit total du PASOK.
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La Δημ. Συμμαχία (Δημοκρατική Συμμαχία, Dimokrati Summachia), c'est-à-dire la DISY (Alliance Démocrate), un parti de centre-droit créé après l'expulsion de Dora Bokayani de la ND des suites notamment de la « guerre de succession » à la tête de la ND et de son vote favorable au plan d'austérité du gouvernement Papandréou (PASOK) en 2010. Les prochaines élections législatives seront sa première confrontation aux urnes, et le résultat de 2% qui lui est attribué pourrait lui permettre de s'implanter durablement comme force de centre-droit alternative à la ND pour une fraction de l'électorat européiste et libéral qui a cessé d'apporter ses voix à l'ΕΔΗΚ (Ένωση Δημοκρατικού Κέντρου, soit Union du Centre Démocratique) depuis le milieu des années 1980, ce que l'ΕΝΚΕΝ (Ένωση Κεντρώων, soit Union du Centre) n'a pas réussi à être de 1993 à 2009.
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La Χρυσή Αυγή (Aube Dorée), un parti d'extrême-droite d'inspiration ouvertement néo-fasciste et néo-nazie surtout connu jusque là pour le hooliganisme agressif de certains de ses membres. Son entrée parmi les partis réalisant des résultats électoraux notables à l'échelle nationale serait un bouleversement sans précédent. Crédité de 3,5% des voix, ce résultat est probablement l'une des raisons de la stagnation du LAOS dans ce sondage par rapport à son résultat de 2009.
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Les autres partis, enfin, devraient recueillir la quantité exorbitante de 5% des suffrages, contre jamais plus de 3% aux élections précédentes.
Pour peu que les élections aient lieu effectivement fin avril prochain et que le résultat soit conforme à ce sondage, quelle majorité pourrait se dégager ?
Déjà, le mode de scrutin par listes sur 56 circonscriptions avantage les partis qui pèsent beaucoup seuls, qui ont plus de chance d'obtenir des élus. Ainsi, même si ensemble le KKE, la SYRIZA et la DIMAR réaliseraient entre 37% et 48% avec un équilibre autour de 42% des suffrages, la proportion de députés issus de ces trois partis serait probablement inférieure à leurs résultats cumulés, autour de 35% à 40% des 300 sièges du Parlement grec, soit entre 100 et 120 sièges. A l'inverse, la ND, qui réaliserait seule entre 29% et 33% des suffrages, aurait de grandes chance d'obtenir 35% des sièges, voire plus, soit un minimum de 100 voire 110 sièges.
S'il semble a priori improbable que l'Aube Dorée entre au Parlement, il ne faut pas négliger cette hypothèse, et ainsi l'extrême-droite, partagée entre un parti « en voie de respectabilisation » depuis sa courte participation au gouvernement Papdemos et un parti « infréquentable » ouvertement racialiste et xénophobe, obtiendrait entre 5,5% et 10,5% des suffrages, soit au moins environ de 3% à 10% des sièges du Parlement, une hypothèse vraisemblable étant de 15 sièges (probablement tous LAOS), soit 5%. Pas de quoi empêcher a priori la formation d'une majorité.
A l'inverse, les trois partis occupant l'arc central, du centre-droit (DISY) au centre-gauche (PASOK) seraient déterminants dans la formation d'une majorité.
Avec entre 6% et 10% des suffrages, et compte-tenu malgré tout de la présence de « fiefs » qui seront vraisemblablement partiellement épargnés par la vague de discrédit du parti, le PASOK pourrait obtenir environ 35 députés. L'OP, si sa grande dispersion ne l'empêche pas d'obtenir une représentation, pourrait espérer jusqu'à une petite dizaine de députés. Pour peu qu'un ou deux des autres partis, d'orientation de gauche ou écologiste, obtiennent des députés, cela peut permettre la formation d'une courte majorité de gauche dominée par les trois partis de la gauche radicale.
Mais pour peu que cela ne se produise pas, il est vraisemblable qu'il faille étendre la majorité jusqu'aux députés du centre-droit et de la DISY qui, pour peu qu'elle réussisse son implantation, peut obtenir un nombre de députés significativement semblable à celui des écologistes.
Gardons néanmoins à l'esprit qu'il est tout à fait envisageable que l'OP comme la DISY loupent leur pari et donc n'obtiennent qu'une représentation nationale réduite à une poignée de députés, voire pas de représentation du tout.
Quoiqu'il en soit, la perspective la plus vraisemblable semble être une majorité de droite étendue au centre-gauche PASOK voire à l'extrême-droite LAOS, face à une opposition formée des trois partis de la gauche radicale.
Reste à savoir si une telle majorité serait viable sur la durée.
Si les élections législatives sont effectivement repoussées sine die, ce sera probablement avec le secret espoir de voir la ND récupérer une partie de son électorat perdu à la DISY et à l'extrême-droite, afin qu'elle puisse être certaine d'obtenir une majorité seule, pour éviter l'arrivée au pouvoir d'une coalition menée par le KKE, la SYRIZA et la DIMAR.
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