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Accueil du site > Tribune Libre > Réflexions sur la singularité occidentale

Réflexions sur la singularité occidentale

La décadence, la crise, la chute, les mots manquent aujourd’hui pour jeter la pierre à l’occident. Le procès se nourrit d’ailleurs du comportement des dirigeants occidentaux confits dans leur certitude d’être les meilleurs. Et pourtant ? S’ils ignoraient leur propre histoire et s’illusionnaient sur les causes de ces deux siècles de toute puissance ?

Retour sur un accident de l’histoire !

Emmanuel Todd a brisé un tabou : Il a enfin porté la chute de l’occident dans le débat public.

Depuis le moment où Henri le Navigateur a envoyé ses caravelles à l’assaut du cap Bojador, la supériorité occidentale a sans cesse été croissante, avant de devenir un absolu indiscutable en 2003 lors de la seconde guerre du Golfe.

Vingt ans déjà entre cet apogée et aujourd’hui... que cette parade triomphante semble loin… et pourtant, certains refusent encore d’admettre le désastre.

Mais, ignorons-les, la fin de la foire bonne occasion de compter les bouses viendra avec le procès du désastre occidental. Il reste à faire ! Par chance, une large partie des coupables est encore en vie et pourra rendre compte de ses actes.

Laissons donc cette tâche pour nous consacrer au problème plus essentiel : Pourquoi l’occident ? Comment est-il né, de quelles forces ? Comment en est-il arrivé d’un continent assez pauvre à ce bouquet final de domination mondiale ! Nous connaissons tous l’histoire des différentes puissances occidentales, de leurs querelles, de leurs retentissantes défaites, mais surtout de leurs triomphes.

Est-ce là, pourtant la bonne manière de raconter cette évolution ? Ne sommes-nous pas coupables de voir l’histoire par le petit bout de la lorgnette ? L’occident, concurrence entre nation a vécu une magnifique, mais elle fait l’impasse sur la question essentielle ? Pourquoi l’occident seul ?

Rappelons-nous un instant cette tirade de Clémenceau, le grand homme aura, je l’espère, l’indulgence de me pardonner cet emprunt.

"J’y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation, et de prononcer : homme ou civilisation inférieurs. Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps ! Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l’Inde pour la Chine, avec cette grande efflorescence d’art dont nous voyons encore aujourd’hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! Avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui paraît avoir été poussée tout d’abord jusqu’à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! En vérité, aujourd’hui même, permettez-moi de dire que, quand les diplomates chinois sont aux prises avec certains diplomates européens...(rires et applaudissements sur divers bancs), ils font bonne figure et que, si l’un veut consulter les annales diplomatiques de certains peuples, on y peut voir des documents qui prouvent assurément que la race jaune, au point de vue de l’entente des affaires, de la bonne conduite d’opération infiniment délicates, n’est en rien inférieure à ceux qui se hâtent trop de proclamer leur suprématie. [...]."

 

Voilà peut-être la bonne question à se poser. L’occident fut-il supérieur, ou peut-être plutôt singulier ? Rappelons-nous des mesures contre les virus et ce fameux modèle des trous de gruyères. Le virus passait mais seulement si l’ensemble des trous étaient alignés.

Alors, tentons d’appliquer ce modèle de pensée à l’exemple occidental pour comprendre l’incroyable combinaison de facteurs nécessaires pour permettre à l’occident de basculer en premier dans la modernité. Voilà notre mission, partons dans cette longue quête d’abord par la singularité des grandes civilisations. Puis celle qui conduisit l’occident à être le premier à ouvrir cette nouvelle ère de l’histoire humaine, enfin, nous devrons filtrer ce que nous avons pensé à être une singularité et qui est en réalité lié à la modernité et accessible à l’ensemble des civilisations, nations et territoire prêts à s’engager dans une politique de rattrapage.

 

Mais avant de rattraper, commençons par nous demander pourquoi existe-t-il certaines zones avec des "civilisations" et d’autres sans ? Après tout, dans le grand nord vous trouvez des esquimaux, pourquoi n’y a-t-il pas de cité impériale au Groenland ?

Revenons à l’origine de l’homme, notre mère à tous Lucie (enfin elle a eu des ancêtres), vivait en Afrique de l’est. À travers l’ensemble des terres accessibles, ils occuperont l’Afrique, l’Eurasie, puis via le détroit de Béring le continent américain. Ensuite, avec des barques, ils coloniseront une large partie du pacifique. Bref, l’ensemble du monde à peu de chose près, l’histoire est encore loin, mais l’homme poussé par son instinct de survie occupera l’essentiel des zones émergées de la planète.

Le propre des limites est d’exister et celles-ci uns fois atteintes vont s’imposer. À partir de là, la croissance extensive par l’occupation de nouveaux territoires de chasses devient impossible et les mouvements climatiques accoucheront de concentrations de populations incompatibles avec le mode de vie traditionnel chasseur, cueilleur. L’autre solution est que des groupes d’hommes ont souhaité vivre dans certaines zones particulières par exemple pour des raisons religieuses.

Comme souvent, les différentes raisons ont dû coexister. Par exemple en Égypte, la transformation du Sahara de savane en désert regroupera les populations autour du dernier sillon humide : Le Nil.

Bien sûr impossible alors de chasser dans ces régions bien trop petites. Il faut donc croître en efficacité. L’élevage, le stockage, puis l’agriculture répondront à ce défi.

Pourtant, ne le voyez pas comme un progrès. Écoutez la bible :

"Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front."1

Il revient de le comprendre, l’agriculture n’a probablement pas augmenté la productivité horaire.

Tout d’abord, si l’apport énergétique des céréales est incomparablement supérieur à celui des baies cueillies, il est probablement moindre que celui de la viande. D’ailleurs seule la cuisson rend la plupart des céréales comestibles. Leur grand avantage est leur capacité à se conserver par comparaison avec la viande.

Surtout, l’agriculture exige un effort harassant pour assurer la culture de ces plantes. Il impose d’irriguer, de préparer la terre, désherber, récolter, avant de cuire cette nourriture et donc la nécessitée d’aller chercher du bois et de l’eau.

Mais la civilisation a progressé, me hurlera le pauvre malheureux dont je détruis le mythe. Pardonnez-moi, il a raison : une classe sociale supérieure improductive, des bâtiments monumentaux, la civilisation a en effet progressé, mais pas le bien être des individus à l’origine de la-dite civilisation et cette grandeur nait d’une exploitation du peuple des travailleurs. On tire plus du sol, c’est vrai, mais comme il importe de nourrir davantage d’humains, le gain par tête est mineur.

Là, se trouve tout le paradoxe, si chaque individu peut en réalité moins contribuer, la multitude de cultivateurs sur une zone relativement restreinte, permet la naissance de la civilisation.

Pour cette raison, vous n’avez pas de civilisation au pôle Nord. Les esquimaux peuvent y vivre, au prix d’une consommation alimentaire énorme, mais ils sont par la force des choses mobiles et contraints à la chasse.

Aussi les zones de civilisation seront, elles, celles avec une température et un ensoleillement acceptable pour les plantes et des possibilités d’irrigations. Les deux fleuves chinois, le bassin du Gange, ceux du Tigre et de L’Euphrate, celui du Nil. La culture, le progrès sont surtout un esclavage des peuples et ces monuments naissent de la misère de paysans, fellah, gratte la terre de tous types !

L’Europe occidentale avec sa multitude de fleuves, offre cette possibilité, nous y reviendrons. Plus surprenant si le Yucatan verra des civilisations, brillantes, l’immense bassin du Mississipi, restera vierge pour l’essentiel. Probablement par manque d’hommes : il était plus facile de continuer à chasser dans les grandes plaines et comme nous l’avons vu, l’intérêt des populations n’est pas de fonder une civilisation.

Sur cette base, nous pouvons faire justice de l’idée Rousseauiste de contrat social. Il ne s’agit pas d’un accord d’individus choisissant librement de vivre en groupe politique constitué, mais d’une obligation, subie de vivre en commun et le mythe d’une constitution couvre en réalité un modus vivendi minimal pour permettre la survie de tous, imposé par les circonstances. Désolé pour l’idéologie, mais il n’y a ni bon ni mauvais sauvages ! Seulement des bouches à nourrir et la pression démographique impose le mode d’organisation en termes purement quantitatifs.

Voilà la fameuse civilisation : Un viol des libertés individuelles, un esclavage nécessaire de tous pour leur éviter de mourir de faim. Si à moins d’un milliard d’habitants nous fûmes contraints d’y consentir, je vous laisse imaginer à huit milliards où nous en sommes2.

Mais la civilisation permet de mutualiser la part extorquer à beaucoup. Attachés à leur terre, les paysans peuvent être rançonnés à volonté, la seule contrainte étant de leur laisser le minimum pour survivre et se reproduire ce qui représente tout de même un certain budget. Pardon, pour l’usage du terme rançonné, nous parlons bien sûr de cette merveilleuse, invention, ce sommet de la civilisation nommé impôts et prélèvements obligatoires3.

Grâce à cela, les organisations sociales peuvent alors accumuler une classe non directement productive qui se consacre à d’autres activités :

La protection, bien sûr. Le chasseur savait par la force des choses utiliser les armes et opérer en groupe. Le paysan, occupé à cultiver son champ ou sa rizière perd dans de nouveau cadre, cette compétence. Souvenez-vous du sort des levées paysannes opposées par Darius à l’armée d’Alexandre. Seule Rome aura une véritable force issue du monde agricole. Les archers anglais ou les milices flamandes constitueront aussi une de ces exceptions, mais le modèle trouve vite ses limites si le conflit dure. Or, les céréales se stockent et il revient moins cher de voler la récolte à des paysans incapables de se défendre que de la cultiver soi-même. L’armée, la guerre sont donc une nécessité de la révolution néolithique et iront en se raffinant pour consommer, en théorie, de moins en moins de bouches sans cesse mieux équipées. (La chevalerie fut dans ce domaine une forme de quintessence de l’art militaire). La guerre, avec le pillage, ou les impôts constituent les deux faces de cette formidable asymétrie de capacité de négociation entre cultivateurs attachés à leur sol et les guerriers.

Chez les nomades, les paysans sont remplacés par les animaux et donc l’ensemble des hommes assure la fonction de protection conservée de l’époque chasseurs pécheurs. Pour cette raison, si les nomades accumulent peu d’excédents, leurs populations mobiles attirés par les sédentaires constitueront souvent une menace pour les civilisations. Bien souvent celles-ci une fois établies assimileront les envahisseurs, ce procédé constitue une autre forme de défense souvent bien utile pour renouveler les élites en cours de décadence, même si le procédé a un prix redoutable pour les populations civiles.

Ainsi, les immenses plaines de Sibérie, les savanes du Sahara sous la bande de sable, les déserts d’Arabie et nombre d’autres zones constitueront des foyers d’invasion vers l’Eurasie.

La seconde fonction est la religion. Véritable boîte à tout faire, elle fournit souvent des tribunaux, mais surtout, une morale bien utile pour éviter que les revendications sociales des uns et des autres ne rompent le fragile équilibre.

Le rôle des prêtres et de la religion est de minimiser les tensions pour permettre à la civilisation de consacrer ses ressources militaires à la défense extérieure. Bien sûr dans un monde si pauvre, avec une large partie de la population soumise à une vie de production avec bien peu de joie, des révoltes éclatent périodiquement. Mais, elles seront si rares. Le système tolère tout juste une infime minorité de gagnants qui échappent au destin commun et répartir cette richesse améliorerait seulement marginalement la situation de la population. On peut donc juste espérer être parmi les rares gagnants et hormis des périodes d’exaspération particulières, faute de débouchés globaux vers un autre système, la résignation l’emporte.

Enfin, viennent les marchands et les administrateurs nécessaires pour gérer l’impôt et le surplus extrait des paysans et artisans. Bien sûr, par délégation, chez ces trois classes, les hauts responsables, confieront leurs véritables tâches aux échelons inférieurs et avec leurs proches se mueront en une classe improductive.

Celle-ci gagnera souvent du terrain, la structure s’effondrera sous son propre poids à ce moment. Alors, une révolution, une invasion, une épidémie, viendront détruire l’édifice branlant et imposer une restructuration de celui-ci.

 

Voilà pour le tableau général. Séparons maintenant les Amériques de l’Europe.

En Amériques, pauvres en hommes car peuplées via des poignées de tribus arrivées par le détroit de Bering, peu de foyers rassembleront la pression démographique nécessaire pour éclore en véritable civilisation. Les rares zones confrontées à une absence de concurrence se stabiliseront au seuil minimal imposé pour assurer la pérennité de l’ordre social.

Inutile d’explorer, pas besoin de nouvelles terres. L’alliance des nobles et des prêtres suffit à maintenir l’ordre. Rappelez-vous d’Orwell :

Ils sont obligés de s’en tenir au même bas niveau de technique militaire que leurs rivaux, mais ce minimum réalisé, ils peuvent déformer la réalité et lui donner la forme qu’ils choisissent.4

Voila pourquoi, à partir d’un certain niveau le progrès technique était non souhaitable voir même franchement indésirable.

Une fois les bases de la civilisation établies, pourquoi les changer ? La remise en cause de celles-ci est-celles souhaitable ? Du point de vue de l’ensemble de la population, il peut exister un équilibre, mais du point de vue des classes dirigeantes ? La solution est souvent sous optimale avec une remise en cause de l’ordre social.

Par exemple, rappelez-vous de grande flotte de Zengh He5, il avait convaincu l’empereur de Chine d’explorer le monde et d’en tirer de nouvelles richesses. Pour cette occasion, les chinois effectueront une série d’innovations. Par exemple, ce fut l’occasion d’inventer la cale sèche. Un remarquable succès, mais, la cours de Chine décidera de ne pas poursuivre et la grande flotte sera abandonnée. La Chine stagnera, elle avait pourtant prouvé sa capacité à générer un progrès technique endogène et relativement rapide.

Telle est la logique d’une civilisation, sauf menace grave, la poursuite de l’amélioration technologique devient pour les objectifs de la classe supérieure, plus intéressées par rester en place que par l’amélioration de la vie du peuple, un objectif contre-productif. Les pauvres sont préférables aux contestataires.

Sur cette logique, il a existé quatre grandes zones de civilisation en Eurasie :

  • La Chine,

  • L’inde,

  • Le bassin mésopotamien

  • L’Egypte.

 

Chacun d’eux organisés autour d’un ou de plusieurs grands fleuves bien utiles pour permettre une culture irriguée des bassins hydrauliques.

Il existe bien sur des contre-exemples, mais en sont-ils ?

Les brillantes civilisations vietnamiennes, khmer, birmanes eurent leurs mérites, mais peuvent-elles être considérées comme autonomes ?

D’abord, souvent arrachées à la jungle, protégées par de formidables obstacles naturels, il leur manque une concurrence et des voisins accessibles. Surtout, elles réalisent des synthèses des civilisations indiennes et chinoises. Les hommes sont là, avec leur talent, leur inventivité, mais seraient-ils seuls parvenus à construire de telles merveilles si des vastes aires voisines des briques, n’avaient pas percolées.

Considérons-les comme des rejetons plus ou moins modifiés des aires principales, sans pour autant minorer leurs mérites, leur génie ou leur œuvres.

Un autre exemple est la Grèce, et bien sur l’empire romain. Ces civilisations du bassin méditerranéen bénéficient des blés d’Égypte6 et créeront leur propre modèle par une valorisation des bases égyptiennes. La Grèce, au carrefour de la méditerranée et de la mer Noire bénéficie des blés Egyptiens, du Pont (Actuelle Crimée et Ukraine) et aussi de ceux de Sicile. Cette abondance permettra par exemple de nourrir la brillante Athènes du siècle de Périclès puis plus tard la merveilleuse Alexandrie de Cléopâtre.

La souveraine vaincue par Rome, le vainqueur grâce à ses victoires militaires reprendra la suite. Il transférera cet acquis en Europe occidentale avant de continuer à le raffiner.

 

La chute de Rome coupe l’Europe occidentale de l’Egypte et donc des moyens de créer une grande civilisation. Il existe pourtant plusieurs points :

L’existence de l’empire a tout d’abord introduit en Europe occidentale ce savoir civilisationnel et l’Eglise, volens nolens, s’en fera le protecteur. Ses clercs copieront les livres et formeront les princes. Peut-être est-ce là la raison du ralliement des barbares au christianisme, ce culte, héritier de l’acquis culturel romain et grec avait simplement davantage à offrir que les paganismes ou les hérésies.

L’Europe occidentale, péninsule de l’Eurasie est aussi l’endroit où viennent s’échouer, vague après vagues les migrants de l’Asie centrale. Cette forte pression démographique incite à protéger l’héritage et les rendements agricoles.

D’ailleurs, ses fleuves se prêtent à l’irrigation et les bassins hydrographiques, s’ils sont mineurs par pays, sont une fois cumulés, équivalents à ceux des grands fleuves chinois ou indiens. Elle avait donc les moyens de développer une civilisation, mais la présence de cellules de par les obstacles naturels de taille moyenne ralentissait l’homogénéisation culturelle. L’Europe ne sera jamais la Chine des hans en raison de ces contraintes géographiques.

Au contraire l’Asie du sud-est qui aurait pu connaître la même situation, souffre de son climat trop favorable. Les jungles, véritables barrières naturelles limitent la mise au contact entre les civilisations.

En Europe, tout le monde est au contact. L’effondrement de l’an mille et la féodalité, résulteront en une série de conflit où les différents pouvoirs s’élimineront mutuellement jusqu’aux guerres des nations au début du XXè siècles.

Une situation impossible en Chine ou en Inde. Les pouvoirs politiques gravitent très souvent autour d’un centre. Au moyen orient et en Égypte, il en ira de même et la conquête arabe, ouvrira l’Existence de centres principaux, l’ultime itération étant l’empire ottoman. Par gravité, ces ensembles seront amenés à s’unir de manière régulière, en Europe, la géographie joue, au contraire, dans le sens d’une certaine atomisation.

 

De là, naît une série de singularités occidentales : Cette guerre du tous contre tous dans un espace géographique semi-ouvert, incite à respecter et ménager les populations. Ainsi les guerres de religions voient les catholiques d’Angleterre fuir en France, les huguenots français s’expatrier dans les royaumes voisins. Il existe une limite contraignante pour les classes supérieures. La fuite est facile (tout est relatif) et incite à ménager les populations. L’exemple extrême fut celui d’un Votaire capable de changer de pays au fond de son jardin. Peut-être le motif d’une certaine clémence à son égard. En Chine, la seule limite est l’autocontrôle de l’Empereur et de la cour.

La psychologie des classes supérieures occidentale les conduit donc à tolérer une certaine liberté, mais subie et non intériorisée, elle préserve leur volonté démiurgique de briser les freins. Ils sont donc libres de chercher à rompre les limites du monde naturel et en occident, le concept d’ordre du monde est peu prégnant.

Cette attitude influence aussi celle envers la technologie. D’abord, la compétition violente entre les états incite à la course technologique pour acquérir un avantage militaire (Transitoire, car le propre d’une technologie est d’être copiée) sur le voisin le temps de le réduire ou de gagner le conflit en cours.

 

La guerre était une sauvegarde, même de la santé et, dans la mesure où les classes dirigeantes étaient affectées, c’était, probablement, la plus sûre des sauvegardes. La survie incite à une certaine prudence et à une gestion plus talentueuse.

Ces états sont, par comparaison avec les grandes civilisations pauvres, mais les classes dirigeantes sont amenées à tirer davantage de leurs territoires. D’où par exemple l’attention apportée par le roi de France à protéger ses peuples des déprédations des nobles, une volonté, pas toujours réalisée d’assurer une paix intérieure, gage de recettes fiscales.

Cette recherche des recettes fiscales jointe à un rapport de force favorable pour les peuples explique peut-être la naissance du libéralisme. La multiplicité des pouvoirs politiques explique aussi la possibilité de naissance de nouvelles religions, comme le protestantisme. Cette doctrine, libère les populations des hiérarchies religieuses, favorise l’alphabétisation et finalement l’Europe trouve là son expression comme terre de liberté. L’imprimerie permettra d’ailleurs au monde laic de s’approprier le savoir antique avec la disparition des moines copistes et la naissance des universitées hors de l’église et de ses dogmes. Par comparaison, les hiérarchies de la Chine et de l’Inde nous semblent lourdes. Un phénomène similaire sera à l’œuvre dans le monde musulman occidental réparti entre de multiples métropoles. Au lieu d’un pouvoir homogène dirigé par un seul descendant du prophète, la grande époque musulmane sera formée de multiples califats. La mise en place du monopole de l’Empire ottoman sur cette zone comme source de pouvoir unique sur cette culture s’associe d’ailleurs avec un ralentissement puis l’entrée dans une crise. Là encore la géographie domine la structure de la civilisation. Seule différence, le monde musulman, basé sur des routes commerciales, favorise la mise en réseau et donc une certaine centralisation.

 

Comme nous le voyons, l’occident dispose d’un territoire assez riche en ressources agricoles et en hommes pour accéder au rang des grandes civilisation. L’absence d’un centre clair en raison de l’absence d’un bassin ayant une certaine prééminence ou des réseaux commerciaux basés sur des zones géographiques différentes. Les villes marchandes de la Hanse ne seront pas en concurrences avec Venise ou Gènes maîtresse du commerce méditerranéen7.

De même il existe en Europe dix grandes zones de production de céréales. Autant de grands états, suffisamment proches pour pouvoir s’affronter, comme français et anglais durant la guerre de cent ans, mais assez vastes pour être difficiles à conquérir et capable de développer leurs propres particularismes culturels.

La guerre de cent ans est un exemple pratique de cette situation où malgré de brillantes victoires militaires, le sentiment populaire expulsera l’anglois de France. Entre ces puissances querelleuses et de force trop égales, la guerre perdurera.

La technologie deviendra alors un moyen efficace de prendre un ascendant. Elle confère un avantage transitoire et les français remercieront souvent leur artillerie, si utile dans les batailles de la fin de la guerre de cent ans. L’aspect désorganisation est mineur, car la technologie étant vouée à se diffuser, l’impact sur les structures sociales touchera autant son camp que celui de l’adversaire.

La Chine, le monde musulman, en lutte sur leurs marges peuvent gagner par la mobilisation de leurs ressources internes. Les troubles sociaux diminuent ces ressources et l’avantage technologique mineur en comparaison.

L’occident, joint à des ressources suffisantes pour capitaliser une civilisation, les avantages de la compétition qui bornes les moyens des pouvoirs sans les forcer à s’auto limiter. Elle préserve l’imagination ou la liberté des élites d’essayer et de faire preuve d’inventivité au lieu d’accepter une norme sociale.

Les peuples, soutenus parla géographie sont aussi capables d’inventivité et de se consacrer à améliorer leur sort avec la relative certitude de conserver le fruit de leurs efforts. Il suffit de comparer les proscriptions de Scylla avec l’invulnérable noblesse du XVIII protégée par ses privilèges.

Ainsi, les classes supérieures occidentales, devront travailler, faire preuve de créativité et ce territoire plus stimulé que la moyenne pourra se lancer à la conquête du monde.

 

Là encore, la géographie sert bien les occidentaux. Le pacifique baigne les rivages de la Chine, certes, mais la première ceinture d’île du Japon aux Philippines constitue un formidable brise lame-naturel.
Dans ces eaux, la navigation chinoise s’épanouit et la grande flotte de Zheng He8 montre les capacités d’innovation de la Chine dans le domaine maritime.

Pourtant, ces navires trop frêles sont-ils capables d’aller affronter les déferlantes du pacifique central ? Probablement pas, faute de bien évaluer les difficultés, les Chinois ne développeront pas de tels bâtiments. Ils auraient sans doute pu le faire et atteindre l’Amérique. Mais pourquoi ? Une civilisation suit la ligne de moindre résistance et les cotes de l’Asie recelaient suffisamment de richesses pour éviter d’aller chercher plus loin.

Les européens ont eu eux, un banc d’essai aussi clément avec la méditerranée et avec l’Atlantique un océan difficile comme seconde zone d’expansion. Henri le navigateur avait juste besoin de se rendre à la plage pour découvrir les exigences auxquels ses navires devaient répondre. L’Europe, possédait ainsi un nouvel avantage géographique pour partir à la conquête du monde, elle a fini par en profiter, une fois assez riche pour s’offrir de telles expéditions.

Là encore, la pauvreté européenne est évidente. Zheng He part avec des centaines de navires, Christophe Colomb avec trois veilles coques sacrifiables. Magellan agira de même avec des caraques réarmées9. Cook fera de même avec un ancien charbonnier reconvertit10.

L’occident, loin d’une conquête du monde glorieuse jeté pas après pas des jetons sacrifiable sur la table. La lie de ses navires et de ses hommes, ceux dont il peut se passer.

Faut-il s’étonner que ces hommes aient été prêts à tout ? Eux qui n’étaient rien et découvraient les richesses du monde. Le vertige a saisi ces aventuriers rejetés et sans scrupules, on peut le comprendre, mais sans eux, rien n’eut été possible.

 

Cette histoire navale crée de vastes flux de transport, une industrie maritime mature. La révolution agricole aurait-elle été possible sans ces nouvelles semences, ces idées ? On peut s’interroger, en tout cas le grand commerce crée des fortunes importantes prêtes à s’investir en partie dans la terre et donc à apporter à une frange du monde paysan le capital qui faisait défaut.

Pourtant, ce maigre gain n’est rien par rapport à la révolution industrielle. Celle-ci eut-elle été possible sans la Grande Bretagne ?

Permettez-moi, pas en raison des Anglais, je manque de connaissances génétiques pour leur tresser ou non des lauriers, mais nous parlons ici de géographie.

Observez la configuration des îles britanniques : Toutes les terres sont accessibles depuis la mer et le transport maritime revient bien moins cher que le transport terrestre. Il était donc facile de structurer des économies d’échelles capable de tirer parti des nouvelles techniques dans cette configuration géographique rare. On notera que le Japon qui sera aussi en Asie l’un des territoires qui fera le premier sa révolution industrielle disposait là aussi d’une économie intégrée à l’échelle nationale11.

L’Italie offre le long de la botte, des facilités analogues, mais son territoire est au centre divisé par les montagnes et l’avantage est probablement moindre. Surtout, elle fut divisée entre les territoires du papes, les riches villes du nord et le royaume de Naple, configuration peu favorable à une intégration économique à l’échelle de la botte.

La révolution initiée en Grande Bretagne créerait le chemin de fer qui lui permettrait enfin de diminuer les coûts du transport terrestre. À ce moment, l’industrialisation pourrait s’étendre à l’Europe, puis à l’Amérique du Nord à travers les grandes plaines.

La Chine, l’Inde, confrontées à des masses continentales importantes, des géographies parfois complexes, partent avec un handicap supplémentaire pour réaliser cette transformation.

 

Comme vous le voyez, si l’image du chevalier franc porté par sa foi avec sa Walkyrie en croupe pour piétiner mécréants et météques peut flatter notre conception de nous-même, les succès occidentaux doivent plus aux hasards de la géographie et non à une supériorité individuelle naturelle. Malheureusement, il existe un tel mouvement, convaincu de l’avantage intrinsèque de l’homme blanc, avec pour certain l’influence de la religion catholique.

Laissons-les s’illusionner ! L’occident a conquis et dominé le monde, grâce à son avantage géographique exploité avec intelligence par ses peuples.

De cette supériorité temporaire il reste un mépris, un racisme envers les autres peuples du monde. Peut-être, est-il possible de l’excuser à la lumière des réussites obtenues, mais il est temps de revenir sur terre. L’occident doit cesser de nourrir les dangereuses illusions du racisme et de la supériorité individuel de je ne sais que übermensch et comprendre enfin la part jouée par le hasard dans son avantage civilisationnel. Le darwinisme s’applique aux civilisations comme aux animaux, dont l’homme. Il ne saurait pourtant être lu comme une marque de force, mais comme la marque de l’existence d’un besoin dans la vaste nature12.

Les avantages acquis, sont pour la plupart transitoires. Le reste du monde intègre la technologie, la transition démographique permet aux autres territoires de nous rattraper et si le XIXe fut le triomphe de l’homme occidental, le XXIe sera celui du rattrapage.

Il serait temps de l’accepter et d’observer ce monde nouveau, sans amour ni répulsion, mais comme une chance pour nous de créer une nouvelle vague d’amélioration pour l’ensemble de l’humanité.

Seulement, cela implique pour notre classe dirigeante qui a dominé le monde d’accepter de renoncer à ses dangereuses illusions et d’accepter de s’asseoir à la table du reste de l’humanité.

 

2 Les civilisations du riz, encore davantage soumises à la tyrannie de l’irrigation créeront des cultures où le groupe est encore davantage valorisé.

3 Íl vaut toujours mieux pour le prestige des classes dominantes couvrir leurs rapines de noms glorieux et imposer aux travailleurs la charge morale des noms infamants. Le pot de terre contre le pot de fer est moins nécessaire si la terre n’ose pas !

6 Commerce en Grèce Antique - Encyclopédie de l'Histoire du Monde (worldhistory.org)

On voit que l’importation de blé nourrissait Athènes, mais sa réexportation était interdite.

12 Darwin parlait d’un oiseau au Galapagos dont le bec avait muté pour manger certaines nourritures. Oui, mais si cette nourriture n’avait pas été abondante les mutants n’auraient pas eu d’avantage. Ce n’est donc pas l’oiseau qui est meilleur, mais simplement, il existe une ressource inexploitée. Désolée pour le survival of the fitest ! Pas le plus fort, mais celui capable d’exploiter la ressource laissée en friche !


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17 réactions à cet article    


  • Sirius S. Lampion 7 mars 09:48

    « Seulement, cela implique pour notre classe dirigeante qui a dominé le monde d’accepter de renoncer à ses dangereuses illusions et d’accepter de s’asseoir à la table du reste de l’humanité. »

    Vous n’y pensez pas ?

    La disparité géopoliqique n’est qu’une évolution de la disparité sociale des états-nations visés par cet article, dont les classes dominantes ont externalisé le prolétariat en mettant le leur sous perfusion. Il ne leur vient même pas à l’idée de pouvoir discuter avec des succursales en considérant qu’elles sont leurs pairs. Mais, même s’ils le faisaient, comment retrouveraient-ils leur statut dominant dans un espace qu’ils ont rendu improductif.

    Si les rapports de forces changent géographiquement et socialement, ce ne sera pas à la suite de négociations, mais d’affrontements violents, guerres et coups d’états ? C’est ça qui a déjà commencé, depuis pas mal de temps, et qui est en train de s’amplifier en courbe asymptotique..

    Est-ce que les patriciens romains se sont assis à une table avec le reste de l’humanité ?


    • Sirius S. Lampion 7 mars 10:09

      @S. Lampion

      La carte qui illustre l’article a dû être réalisée par un thik-tank espagnol.
      Pour avoir pas mal travaillé avec des partenaires espagnols, l’impression que j’en ai tirée sur cet aspect des choses, c’est qu’ils étaient très fiers du passé colonial de luer pays et de la place de leur langue sur le continent sud-américain pour lequel ils sont convaincus du rôle « civilisationnel » de leus ancêtres auprès de civilisations « attardées » (qu’ils ont détruites et pillées pour ramener leur or dans des galions escortés par des escadres lourdement armées). 


    • Jules Seyes Jules Seyes 7 mars 11:13

      @S. Lampion
      Vous avez parfaitement, raison.
      Le sénat romain ne l’a pas fait, ca a donné trois guerre civiles, les proscriptions de Sylla, et les empereurs ont réguliérement purgés.
      La noblesse russe ne s’est pas remise en question. Trotsky a résolu le probléme.

      J’instruit le procés, les peuples devront décider. C’est aussi cela la politique.
      Peut-être parviendrais-je à être un bon procureur.


    • Christophe 7 mars 16:40

      @Jules Seyes

      La chute de Rome coupe l’Europe occidentale de l’Egypte et donc des moyens de créer une grande civilisation. Il existe pourtant plusieurs points :

      L’existence de l’empire a tout d’abord introduit en Europe occidentale ce savoir civilisationnel et l’Eglise, volens nolens, s’en fera le protecteur. Ses clercs copieront les livres et formeront les princes.

      Ce n’est pas semble-t-il ainsi que nos civilisations ont acquis les savoirs grecs et perses (Rome n’étant qu’une pâle copie de la Grèce antique d’un point de vue civilisationnel ; merci Castor et Polux smiley )

      Le savoir civilisationnel est revenu par l’occupation mauresque du sud de l’Europe, comme la plupart des pères fondateurs de l’église chrétiennes sont des hommes d’origine maghrébine, le plus connu restant Saint-Augustin d’Hippone, un algérien.

      Il est très intéressant de se replonger dans la visite des vestiges de cette grande civilisation mauresque, empreinte de la culture grecque et perse qui a occupé une grande partie de la péninsule ibérique du IIIème au XIème siècle, il faut visiter Al Andalus. Bien sûr ils ont été rattrapé par la religion musulmane, à partir du IXème / Xéme siècle (voir la mezquita cathédrale de Cordoue empreinte du respect du religieux de toute origine).


      • xenozoid Xenozoid 7 mars 16:44

        il n’y a pas de singularité, j’arrete ici


        • tiers_inclus tiers_inclus 7 mars 16:57

          Les chemins civilisationnels sont multiples et stochastiques et ne sauraient être réduits à un ordre total mais à un ordre partiel au sens mathématique. La réussite temporaire se mue aisément en vanité et hybris conduisant à l’universalisme réducteur puis au déni de réalité face à l’adversité.

          Toute ressemblance avec des faits existants serait fortuite ...


          • Gérard Luçon Gérard Luçon 7 mars 18:31

            Zheng He ... Amiral et eunuque, musulman de l’ethnie Hui, il a eu la vie sauve car c’était le fils d’un noble, or on ne tuait pas les enfants des nobles, on faisait en sorte qu’ils ne se reproduisent pas !


            • Jules Seyes Jules Seyes 7 mars 22:02

              @Gérard Luçon
              Merci pour cette information. Ca pourra resservir. !


            • GoldoBlack 7 mars 19:39

              Cette communication vous est offerte par le service Étranger du Propagandastaffel de la Fédération de Russie.


              • charlyposte charlyposte 7 mars 19:46

                @GoldoBlack
                Sources ?


              • Jules Seyes Jules Seyes 7 mars 22:02

                @charlyposte
                Son envie de s’éviter de réfléchir.
                Ces gens ne cherchent pas le débat pour déterrer la vérité, mais pour faire triompher leur secte !


              • GoldoBlack 8 mars 09:46

                @Jules Seyes
                Dit le perroquet patenté de Moscou...


              • L'apostilleur L’apostilleur 7 mars 21:52

                @ l’auteur 

                « ..Emmanuel Todd a brisé un tabou : Il a enfin porté la chute de l’occident dans le débat public.. »

                Il y a 7 ans Onfray écrivait « Décadence »


                • L'apostilleur L’apostilleur 7 mars 22:00

                  @ l’auteur 

                  « ..la religion...fournit souvent des tribunaux, mais surtout, une morale pour éviter que les revendications sociales des uns et des autres ne rompent le fragile équilibre.. »

                  Si vous vouliez faire la démonstration qu’il n’y a plus de morale c’est réussi.


                  • Jules Seyes Jules Seyes 7 mars 22:03

                    @L’apostilleur
                    Entre autre, même si ce n’était pas mon but prioritaire.


                  • L'apostilleur L’apostilleur 7 mars 22:03

                    @ l’auteur 

                    « ..fameuse civilisation : Un viol des libertés individuelles.. »

                    Les afghans qui affluent en pagaille avec le Maghreb l’Afrique... c’est pour se faire violer ?


                    • L'apostilleur L’apostilleur 7 mars 22:18

                      @ l’auteur 

                      « ..L’occident a conquis et dominé le monde, grâce à son avantage géographique exploité avec intelligence par ses peuples.. »

                      Donc pas de décadence à craindre.

                      Bonne nouvelle

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