Réflexions sur les Etats-Unis, l’Europe et les Etats-Unis d’Europe
Les Etats-Unis entretiennent, à l’égard de l’Europe, une relation pleine de contre-sens et de contradictions. Cela pose la question de la relation qu’entretiennent ces deux continents chargés d’Histoire entre eux.
L’hyperpuissance américaine est régulièrement érigée en modèle politique et institutionnel par divers hommes politiques et intellectuels français, notamment dans leurs tentatives de justification d’une présupposée pertinence du transfert du modèle fédéraliste américain au « magma d’impuissance conjuguée », pour reprendre l’expression de Jean Pierre Chevènement, que semble constituer aujourd’hui l’Union Européenne.
Au-delà de l’étrange capacité des élites françaises d’aujourd’hui à déborder d’amour pour des sociétés étrangères dont ils souhaitent appliquer, en piochant ici chez les américains, là chez les allemands, les fondamentaux en France (sans jamais prendre le soin d’étudier les conditions anthropologiques et structurelles qui permettent le fonctionnement de ces sociétés) décortiquer, dans la mesure du possible, les grandes lignes de la société américaine constitue une étape essentielle dans la configuration de la place à occuper dans le monde, dans l’Europe et vis-à-vis des Etats Unis, d’un pays comme le nôtre.
Surannée, inadaptée aux exigences de la mondialisation, paresseuse, trop gourmande socialement, réactionnaire, irréformable… Les français n’ont pas de mots assez durs pour se dénigrer. Ils semblent même, dans l’ensemble, se détester autant que les américains s’aiment. Peut-il apparaitre alors que les Etats Unis soient une alternative en matière d’intégration, de rapport à l’égalité, à l’économie, à la liberté et à la tolérance, notamment religieuse ?
Rien n’est moins sûr. On ne peut transposer un modèle social d’un pays à l’autre sans transposer avec lui les bases qui le rendent possible. Si l’on pense qu’un allemand, un français, un américain ou encore un chinois sont interchangeables entre eux sans douleurs et qu’ils ne sont rien d’autres que des produits flexibles à l’infini face aux exigences du marché, le débat sera vite clos. Cette cohérence n’est tenable, toutefois, que dans un cadre théorique déconnecté de la réalité, de l’histoire et des longues constructions sociales qui accouchent, souvent dans la difficulté, de ce qu’on appelle une « civilisation ». Elle présuppose un homme « rationnel », un marché efficient, une concurrence pure et parfaite, etc. Rien de sérieux ou de tenable, à moins qu’une dictature centralisatrice ne se charge d’appliquer un tel programme. Penser que l'indifférenciation entre citoyens européens est possible, entre des pays aux consciences nationales aussi fortes, ne peut se faire qu'à travers cettte vision des choses : celle d'un homme économique affranchi de toute contrainte culturelle nationale.
Pour revenir à nos moutons, les Etats Unis, ce "modèle", sont en réalité dévorés de contradictions :
- Entre la réalité de leurs engagements internationaux et la tentation d’un isolationnisme prudent, parfois auto-complaisant.
- Entre la foi dans leur « destin manifeste » et leur hantise du déclin.
- Entre le fait que les Etats-Unis soient une création de l’Europe et sa volonté de « tuer le père », d’être une anti-Europe (au niveau des valeurs, des intérêts, de la diplomatie, du modèle social, etc.).
- Entre son keynésianisme régulateur et l'existence en son sein d'influents discours prônant un libéralisme anti-étatiste outrancier.
- Entre la crainte d’un Etat au pouvoir centralisé trop important pour maintenir les libertés des individus et la nécessité d’un Etat assez fort politiquement pour maintenir sa propre existence face aux pressions externes et internes.
- Entre leur amour immodéré de la notion passe-partout de Liberté et la capacité de quelques-uns à se poser la question de savoir quand la production de richesses, dans la marge supplémentaire de pouvoir politique concret qu’elle offre à certains, peut mettre à mal la liberté du plus grand nombre ; ce qui revient à se demander à partir de quel moment une société qui érige la méritocratie comme perspective ultime peut-elle devenir oligarchique ?
- Entre leur rêve d’un monde où leurs vassaux, je n’ose plus dire alliés, sont liés par des traités internationaux contraignants et leur volonté d’affirmer une politique nationale dégagée de toutes restrictions.
- Entre leur solidarité affichée avec les peuples opprimées et la ségrégation qu’ils ont longtemps organisés sur leur territoire à l’encontre des noirs, des mexicains, des femmes, des indiens, etc. Une solidarité qui plus est étrangement sélective en fonction des intérêts américains (cf. La défense des droits de l'homme sous Carter).
- Entre leur rejet du colonialisme et leur impérialisme par l’expansion commercial, le "containment"(hier contre le communisme aujourd'hui contre l'islamisme radical) et le soft power. J’oserai alors « l’impérialisme anticolonial » comme ligne directrice audacieuse de l’Amérique d’aujourd’hui.
Etc.
D’autres curiosités existent au-delà de cette liste non exhaustive. Par exemple, si les américains ont toujours défendus le principe d’égalité celle-ci se borne exclusivement à une égalité des chances, des opportunités, que l’on ne saurait confondre à aucune idée d’égalité permanente authentique. Ce dernier concept, pour lequel ils ont le plus grand mépris, nécessiterait un Etat trop fort, à leur sens, pour maintenir les libertés individuelles. Si le peuple américain perçoit par ailleurs, dans le droit à la possession d’armes à feux, une extension de leur capacité d’agir politique leur pays est cependant trop grand pour que les décisions individuelles puissent avoir une répercussion significative sur les classes dirigeantes. On ne peut vouloir élargir le corps électoral indéfiniment tout en affichant, parallèlement, une volonté d'agrandir la capacité du peuple à peser sur l’exécutif et le législatif. Ce sont là deux éléments contradictoires.
La sacralisation du pouvoir politique des citoyens américains à l’échelon local n’est que le cache-sexe de leur incapacité réelle à peser dans un jeu politique binaire où règne le bipartisme. Les partis démocrates et républicains ne sont, à ce titre, comme dirait Noam Chomsky ou Jean Gabin dans "Le Président", rien d’autre « que des syndicats d’intérêts » soumis à la logique du capital et de l’alternance sans alternative.
La question du transfert du système fédéral américain à l’Union Européenne pose donc, à travers les différentes contradictions que nous avons démontrées, des problématiques aigues. On ne peut vouloir le beurre, l’argent du beurre, le cul de la crémière et le sourire du crémier : le choix d’aujourd’hui se pose entre l’échelon national, théâtre de la souveraineté populaire et de la démocratie, et l'échellon supra-national, celui de l'Union Européenne.
C'est ici que l’image d’une pieuvre échouée sur le sable me paraît tout à fait adaptée pour décrire ce qu’est devenue aujourd’hui la construction européenne. Cette structure politique, qui tombe comme une évidence mais reste très complexe à identifier, ne fonctionne ni sur la base d’un dialogue inter-étatiques entre nations égales, comme le préconise l’approche inter-gouvernementaliste, ni par le fonctionnalisme fédéraliste institutionnel. Pour avancer, une pieuvre se base sur ses « jambes », ses multiples tentacules fonctionnent ainsi à l’unisson car soumises à l’autorité « fédératrice » cérébrale de la dite pieuvre. Il en dépend de la survie de celle-ci. Supposons un instant que chacune de ces tentacules soit indépendante de la volonté de cette pieuvre malheureuse, qu’elles fonctionnent toutes avec des stratégies précises, une vision particulière de ce que doit être leur progression, du rythme à appliquer, de la vitesse à fournir par chacune d’entre elles et qu’il y ait même, parallèlement, des coalitions de tentacules contre d’autres pour faire prévaloir des intérêts précis ! Dans ces conditions, la stagnation et l’incoordination de l’action est une certitude, le fracassement de la pieuvre sur la plage sableuse et sa vulnérabilité à l’égard d’un quelconque prédateur, marin ou terrestre, est assurée. Cette image simple ne prend même pas en compte le dialogue inter-institutionnel au sein de l'union et la diversité de ses institutions, parfois en désaccord entre elles. Imaginez la complexité d'un pouvoir aussi fragmenté...
Si l’UE reste convaincu, à travers ses institutions composés d’oligarques bruxellois satisfaits, de la pertinence de ses choix rien n’oblige cependant la France, et les peuples européens, à suivre comme un valet ce qui n'est rien d'autre qu'une sphère d’influence américaine. Si la situation est grave, la voie du redressement national n'est pas à chercher par delà l'Atlantique, mais en nous-mêmes. Au problème de l'Europe et de la France, il n'y aura pas de semi-mesures.
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