Refuser l’Hadopi
Nous apprenons qu’une majorité de parlementaires au groupe socialiste du Sénat veut, avec la majorité UMP, voter en faveur de la loi Hadopi ("Création et internet") présentée par la ministre Christine Albanel. À l’Assemblée nationale, le groupe socialiste y est résolument opposé (avec raison) comme l’ensemble de la gauche et certains parlementaires de la majorité.

Ce vote au Sénat sera très négatif dans l’avenir tant ce texte est mauvais et dangereux, en plus d’être tout à fait inefficace.
Les arguments du gouvernement sont les suivants :
1. L’idée n’est pas d’enrayer définitivement le téléchargement illégal, mais d’en détourner la majorité des internautes, sur le mode de la dissuasion.
2. L’objectif précis est d’obtenir une diminution de plus de 50 %. Ce serait déjà un résultat probant selon le gouvernement.
3. La Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) devrait être en mesure d’envoyer 10 000 courriers électroniques d’avertissement et jusqu’à 3 000 courriers recommandés par jour. La Hadopi serait capable de prendre jusqu’à mille décisions par jour.
4. Hadopi ne jouerait que le rôle d’une "boîte noire", chargée d’opérer les transitions entre l’ayant droit, qui la saisit après avoir constaté une infraction, et l’internaute, qui reçoit la menace ou la sanction. Cela permettrait de garantir la confidentialité des données personnelles, puisque les informations relatives à l’individu concerné resteraient cantonnées à l’Hadopi, laquelle opérerait sous contrôle de la Cnil.
5. Hadopi est nécessaire pour protéger les artistes et les industries culturelles qui représentent près de 500 000 emplois dans notre pays. Le syndicat, qui représente les grosses majors, estime que les pratiques illicites en matière de téléchargement de contenus non autorisés sont depuis cinq ans un phénomène de masse qui a détruit près de 50 % (soit 500 millions d’euros) de la valeur du marché de la musique en France. Ce même piratage a eu pour conséquence de faire baisser de 20 % les nouvelles signatures d’artistes, et d’entraîner la chute de 46 % des dépenses de promotion. Le SNEP affirme encore que pour un titre téléchargé légalement, 20 le sont de façon illégale, en prenant soin de chiffrer à un million le nombre de titres disponibles sur les sites légaux en France, au travers d’une vingtaine de plates-formes…
6. Aujourd’hui, un internaute qui télécharge illégalement de la musique sur internet risque une condamnation pénale pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende. Le projet de loi prévoit que l’internaute qui télécharge illégalement recevrait un avertissement par mail dans un premier temps puis un deuxième avertissement par lettre recommandée s’il continue. Enfin s’il persiste encore, il encourra une suspension temporaire de son abonnement internet.
7. 74 % des Français sont favorables au mécanisme de la riposte graduée selon le SNEP.
Voici ce que l’on peut facilement opposer sur chaque point :
1. De nombreux moyens techniques permettant d’échapper au dispositif existent déjà, et risquent d’être très largement publicisés. Ce seront essentiellement les innocents et les utilisateurs les moins éduqués à la technique qui seront donc sanctionnés.
2. L’Espagne, où la justice considère que le P2P (échanges de musiques, de films, etc. entre internautes) est légal, où même les sites de liens P2P sont légaux, que l’industrie elle-même considère comme la championne européenne du piratage de fichiers musicaux a été montrée en exemple ce mois-ci par le SNEP (pourtant favorable à Hadopi et à l’interdiction du P2P) comme un marché où le disque s’est stabilisé cette année, contrairement à la France où le marché continue de s’écrouler malgré la répression et l’illégalité affirmée du P2P... Cela prouve l’inefficacité future de l’Hadopi. Par ailleurs, notons qu’il sera facile pour des pirates d’envoyer des messages en se faisant passer pour l’Hadopi pour ensuite récolter des informations confidentielles ou pirater un ordinateur.
3. Le coût de l’Hadopi est évalué à 12 millions d’euros par an, avec les frais postaux d’envois de lettres en recommandé exigées au minimum lors du deuxième avertissement, les frais de relevés des infractions, les frais de conservation des données, et les frais de fonctionnement administratifs de la Haute autorité (6,7 millions). Pour que l’Hadopi ne creuse pas le déficit budgétaire de l’État, elle devra donc générer en retour 12 millions d’euros de recettes fiscales chaque année par l’augmentation supposée des ventes sur les plates-formes légales. Rapide calcul. Un MP3 vendu 0,99 euros (prix fixe) sur internet rapporte à l’État 16 centimes d’euros de TVA. Pour aller à l’équilibre, il faudrait que les Français achètent environ 194 millions de titres par an en plus de ceux qu’ils achètent déjà - ce qui suppose au passage qu’ils n’achètent pas sur iTunes (première plate-forme en France - celle d’Apple), où la TVA bénéficie au Luxembourg. A titre de comparaison, les ventes de musique sur internet en France au premier trimestre 2008 ont rapporté à l’industrie moins de 7 millions d’euros HT.
4. Ce n’est pas parce que l’on crée un nouveau fichier sous contrôle de l’Hadopi que cela est acceptable. Il est inacceptable de créer un nouveau fichier et une surveillance de tout ce que les internautes regardent sur le net. Nous connaissons les dérives de ce fichage, au départ toujours censé être cantonné et réglementé et finalement recoupé, diffusé, etc. Aussi, comment, alors qu’elle sera présidente de l’Union européenne, la France peut-elle ignorer une sanction aussi lourde que celle du Parlement européen ? Le 10 avril 2008, les eurodéputés ont voté une résolution qui "invite la Commission et les États membres à éviter de prendre des mesures qui entrent en contradiction avec les libertés civiques et les droits de l’homme et avec les principes de proportionnalité, d’efficacité et de dissuasion, telles que l’interruption de l’accès à l’internet." De plus, la Commission des affaires culturelles du Sénat a demandé la mise en place d’une sorte de "spyware" qui n’est ni efficace techniquement (pour des connaisseurs en informatique) ni acceptable au regard de la vie privée (tout ce que l’on regarderait sur internet serait enregistré et consultable tel un système "Big Brother").
5. Il y a plus d’artistes qui ont signé un texte contre ce projet de loi que d’artistes qui en ont signé un en sa faveur. De plus, la Sacem américaine ("BMI") annonce encore cette année un record de revenus, en dépassant dans son exercice 2008 la barre des 900 millions de dollars collectés, en hausse de 7,2 % par rapport à l’année précédente. La Sacem britannique ("MCPS-PRS Alliance") montre elle aussi une forme spectaculaire. Entre 1997 et 2007, les sommes collectées par la société de gestion ont sans cesse progressé, passant de 392 millions de livres sterling à 562 millions. Les revenus de la Sacem en France ont tout de même progresser en 2007, d’un léger 0,4 % à 759 millions d’euros. En 1998, la Sacem collectait 541 millions d’euros. En réalité, seuls les revenus de la musique enregistrée (les disques) baissent d’année en année. Mais tous les autres revenus, en particulier ceux liés aux licences d’exploitation pour la radiodiffusion et la télévision, explosent. Avec la multiplication des médias numériques (sites internet, webradios, télévision par câble, par satellite...), il n’y a jamais eu autant de diffuseurs et donc de payeurs qu’aujourd’hui. La crise du disque est largement compensée par la croissance des nouveaux médias. Par ailleurs, la musique, en se partageant librement sur internet, dégage un budget conséquent pour les jeunes qui vont ainsi davantage aux concerts ou en discothèque au bénéfice des droits des artistes, sur lesquels les maisons de disques n’ont pas la même prise que sur les ventes de CD. D’où le lobbying acharné de ces seuls quatre grandes majors...
6. Cet argument n’est pas valable. En effet, interrogée par la commission des affaires culturelles sur un risque de double sanction dans le cadre du texte Hadopi, Christine Albanel a répondu qu’il existait effectivement. Le projet "Création et internet" s’en prend au propriétaire de la ligne, mais rien n’empêche les ayants droit d’agir contre le présumé pirate. Si l’une et l’autre de ces personnes n’en font qu’une, une cascade de sanctions s’abattra sur ses épaules : coupure de ligne contre le titulaire de l’abonnement internet qui n’aura su éviter l’utilisation de sa ligne pour du téléchargement pirate (ou amende selon ce qui est adopté), peine jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende contre l’auteur du téléchargement (Code pénal, situation actuelle), réparation du dommage des ayants droit (dommages et intérêts, droit civil, situation actuelle).
7. Ce sondage est évidemment absurde et manipulé. Le sondage ne présente pas toute la finesse de la loi Hadopi aux interrogés puisque, d’une part, le mécanisme de la riposte graduée vise le propriétaire de la ligne, non le pirate, ensuite, l’autorité en charge de ces questions ne sera pas tenue de respecter cet ordre des choses puisqu’en cas de manquements répétés à l’obligation de sécurisation de la ligne internet, elle pourra ordonner directement la suspension de l’accès internet pour une durée d’un an. Du coup, sous cet angle, il n’est pas dit que les réponses eurent été celles-ci. Surtout, la question laisse entendre que, à la place du risque de trois ans de prison, les internautes recevront simplement des e-mails d’avertissement... En oubliant ainsi de préciser que ce n’est pas "à la place", mais "en plus" (comme expliqué au point 6)...
D’autres mécanismes sont à promouvoir, tel celui de la licence globale (qui se trouve d’ailleurs dans la motion E présentée par Ségolène Royal et Gérard Collomb dans le cadre du congrès socialiste). On peut même penser qu’il n’est plus vraiment utile de proposer quoi que ce soit tant ce combat est d’arrière-garde.
Notons que, déjà, des FAI proposent des offres inclues dans leurs abonnements pour des téléchargements en ligne. Cette loi, en plus d’être dangereuse sur le principe, est déjà inefficace.
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