Regard sur le slip vidéo
Un homme, une femme, un écran les sépare... Que va-t-il se passer ?
Branle-bas de curseur !
Tous les jours ils sont des milliers, des millions peut-être, seuls devant leur écran, à la recherche de l'âme sœur, pour un soir ou pour une vie.
Les hommes seuls se promènent dans l'écosystème numérique, alias l'Etherciel, comme dans leurs phantasmes, avec délectation et frustration. D'abord gavés de slips vidéo, ils palpent, par la pensée, par l'image, des tissus fessiers et entraînants, coupés au plus près, en haut des cuisses, à l'orée du bonheur. Le son halète, fort et régulier. Il y a des étirements de cuisses et des saccades de jambes, rythmés par des refrains râleurs et insistants. La danse des machines fait la part belle aux corps, pour tenter de combler le vide charnel. La danse des machines étale les corps pour dissimuler ce qu'elle est, précisément, une danse des machines, une "musique électro", avec pratiquement rien de réellement humain à l'intérieur. Si les slips vidéo sont pleins de slips, c'est pour essayer de faire oublier les électrons. La peau triomphe à l'écran... pour entretenir l'illusion.
Et voilà que le tissu, déjà fragile et tremblotant, cède. Vous pouvez couper la musique. On passe à autre chose. Derrière l'écran on s'emballe, on baisse son froc pour un roulement de caresses incorporelles. Les corps sont nus, c'est le moment tant attendu.
Un étrange ballet se met en place. Les humanoctets tendent les mains vers le halo de lumière, implorant un peu de chaleur, dans une nuit qui pourtant n'est pas froide. La lèvre frémissante, le regard figé sur un écran immobile, ils suivent des femmes aussi graphiquement parfaites que manuellement impalpables. Ils font défiler des images torrides entre un lien hypertexte, deux balises XML, un petit menu de mots, une barre d'outils et une autre de défilement. Ils cliquent sur des seins de pixel, pauvres baisers distants, de l’index posés sur le cliquet d'une petite boîte en plastique, ou la paroi rigide d'une tablette.
Peut-être ressentent-ils parfois la promesse déçue des dessins animés et des jeux vidéos, quand ils pouvaient se glisser dans la peau d'un personnage évoluant dans la nouvelle dimension, et de là, en prise directe avec les autres créatures, satisfaire leurs envies selon leur bon plaisir (faire la course avec Mario, conquérir des territoires, tirer des missiles, tuer des ennemis, conduire un bolide...). Aujourd'hui, l'histoire se passe des deux côtés de l'écran. D'un côté, le sexe, rivé entre les jambes, de l'autre la grande parade animée. L'action, ce n'est pas pour aujourd'hui, ni pour demain. Alors, où se trouve l'imbécile patenté, le perdant, la victime, le gros matou crétin et prétentieux ? Celui que l'on attrape, que l'on moque, que l'on écrase et qui jamais ne parvient à ses fins ?
Personnages innombrables et involontaires d'un dessein animé par plus malin qu'eux, ils font exploser leurs désirs dans d'ardents messages qui aussitôt rejoignent le grand flux monotone des paquets en transit, entre une transmission comptable, une partie de Kill them all et une ratiocination universitaire quelconque. Ils décrochent leur téléphone et parlent à des ordinateurs qui leur répondent comme les perroquets ignorants qu'ils sont. La sarabande enflammée des humanoctets en quête d'amour et de volupté ne recueille que les regards indifférents de quelques voyants lumineux, bêtement clignotants.
Mais que ne voient-ils, derrière les reflets changeants des fenêtres haletantes, les regards vitreux et les bouches coincées ? Les corps abandonnés et les fesses pendues ?
Ça sent la sueur, la teneur, les langueurs de balustrade. Fiévreusement immobiles, ils caressent des formes charnues à travers leur écran plat, le tapis de souris seul profite de l'aubaine. Que dalle ! Cris de clavier, râles de souris, triste cliquetis qui tombe. Leurs rêves de tétons dressés seront encombrés de myriades de boutons à cliquer.
Mon Dieu ils se prosternent humblement, œil avide, mains tendues pour copier, couper, coller, cocher, attendant une couche… qui ne vient pas. Les humanoctets errent sans fin dans l'enfer des tentations, là où la réalité se transforme en désir. Tels des esprits en quête de délivrance, perdus dans les limbes, ils supplient des êtres qui ne les voient même pas.
Le sexe à l'écran est un supplice.
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