Regards croisés sur l’actu : après la Saint-Valentin, les feux de la haine
Voici un billet construit à partir
d’informations toutes récentes, des faits advenus après le 14 février qui mis
bout à bout tracent des tendances générales vers lesquelles le monde s’oriente.
J’ai retenu quelques thèmes. D’abord l’économie, avec d’un côté des riches de
plus en plus riches, peu enclins à financer les dépenses publiques, c’est même
le contraire. D’un autre côté, des menaces sévères sur l’emploi, des luttes
salariales à répétitions et dont le niveau semble s’être accru ces derniers
jours. Deux cadres de l’usine Kleber-Michelin à Toul, séquestrés sur fond de
licenciement de grande ampleur et de fermeture d’usine. Mais on a promis un
plan de reclassement aux employés ainsi qu’une prime jugée satisfaisante par
les syndicats. Sans jouer les mauvais esprits, on sait très bien que seul un
tiers des salariés trouvera une seconde vie professionnelle satisfaisante.
C’est ce qui est arrivé chez Moulinex. A Bordeaux aussi, la tension monte, chez
Ford ; la perspective d’une fermeture du site en 2010 a suscité la
formation de piquets de grève ce 18 février 2008. Alors que chez L’Oréal, les
salariés sont en grève pour obtenir de meilleures rémunérations. A Marseille,
les employés de Carrefour ont obtenu, après un dur conflit, 15 jours, de
substantiels avantages, comme travailler trois heures de plus par semaine et le
rehaussement du ticket restaurant de 3,05 à 3,50. Quelle générosité, 45
centimes par jour ! Et d’autres menaces pèsent.
Outre-Rhin, un cabinet d’études révèle que
les cadres dirigeants de 1 300 entreprises examinées ont vu leur rémunération
augmenter de 17,5 % en 2007. Cette annonce fait suite à l’un des plus grands
scandales financiers de ces dernières décennies. Un nombre conséquent de
personnalités disposant de grosses fortunes sont soupçonnées d’avoir planqué
leur fric eu Liechtenstein pour échapper au Fisc. Alors qu’en Italie, un projet
de fiscalisation des yachts de luxes et riches demeures sur les côtes de
Sardaigne vient d’être invalidé par la Cour constitutionnelle italienne, après
une saisine du gouvernement Prodi. Et, en France, le nombre des personnes
assujetties à l’ISF a grimpé de 460 à 530 000, des rentrées fiscales en
augmentation, sous réserve que les restitutions liées au bouclier fiscal de
Sarkozy soient marginales. Le monde de l’argent est bien soigné et la banque
Northern Rock, qui a trop joué avec les subprimes, se voit nationalisée par le
gouvernement britannique, ce qui, avec la baisse des taux de la Fed, constitue
un signal fort aux institutions financières. Jouez raisonnablement avec le
fric, en cas de problème majeur, les élites politiques déploieront le parachute
étatique. Ce n’est certainement pas une œuvre de bienfaisance envers les riches,
mais une mesure destinée à rassurer les acteurs du système et les populations.
Quant aux riches, ils peuvent tout se permettre, y compris l’arrogance, comme
Flavio Briatore qui a financé des pages de pub pour lutter contre les taxes sur
l’hyper luxe et il n’y a pas longtemps, l’exil fiscal de Johnny. C’est indécent,
mais la société est devenue indécente. Les injures racistes d’un supporter de
foot, médiatisées sur un stade ou dans un bus conduisant des supporters du
PSG, ne valent pas mieux.
Ces derniers jours, après la Saint-Valentin, jour des amoureux, mais aussi du désamour entre les signataires de
l’appel de Marianne et le président, les mauvaises nouvelles
s’accumulent. Elections au Pakistan sur fond de terrorisme. L’Afghanistan est à la
même enseigne. Le monde ne va pas bien et c’est un lieu commun. Des zones sont
sous tension. Y compris au Danemark où des émeutes ont duré une semaine après
la parution d’une caricature de Mahomet. L’indépendance du Kosovo n’est pas
forcément une bonne nouvelle. Serbes en colère. Géopolitique à risque. Nationalisme
et patriotisme étant l’antichambre de la guerre. Un 14 février et ce qui s’ensuit, résonnant comme la croissance des haines et des guerres civiles
généralisées. Rien de neuf... excepté Fidel Castro jetant l’éponge, une nouvelle,
ni bonne ni mauvaise. Et une éclaircie, le résultat des élections au
Pakistan, un événement qui tranche dans ce lot de mauvaises impressions et
nouvelles d’actualité !
Une analyse ? Elle paraît tellement
évidente. Un monde à la compétition accélérée, aux moteurs en surchauffe,
produire, faire du profit ou périr, telle est la devise des entreprises, la
même que pour le scientifique dans son labo, publish or perish disent les Anglo-Saxons. L’économie est la poursuite de la politique par d’autres moyens,
et celle-ci la poursuite de la guerre par d’autres moyens. Le temps de la
guerre éclair économique est bien installé ; un Blitzkrieg de la finance,
avec par exemple quelques artificiers traders. Hauts rendements possibles si
bien inséré dans le réseau, mais société à risque élevé de décrochage pour les
individus les plus fragiles, mal placés, indociles, artistiquement décalés. Et
maintenant, quelques parenthèses teintées de pessimisme.
L’existence humaine n’étant que conflit,
jusqu’à la fin des temps. Etant entendu que la fin de l’Histoire sera accomplie
quand l’humanité aura disparu. Fin comme achèvement, point final. On est sûr de
la fin, mais nul ne peut savoir dans quel état l’humanité sera à ce moment. Loi
des séries, les entreprises licencient, les syndicats trop indulgents, les
intellectuels bien indifférents et, en Amérique, des excités tirent au pistolet
dans les écoles et les universités. La haine est l’essence du genre humain. Mais
l’amour aussi. La partie n’est pas encore finie. Il faut bien vivre et
poursuivre l’histoire. Tant qu’on reste debout. La situation actuelle n’a rien
de comparable avec celle de l’Occupation, bien plus tragique, mais aussi bien
plus simple, on savait quel était le camp à combattre et abattre. Deux choses
rendent un peuple indestructible, l’amour, quand c’est le moment, et la haine,
quand c’est nécessaire.
La
haine, c’est celle proclamée des résistants communistes face aux Allemands
après la rupture du pacte germano-soviétique. Le film de Christophe Nick
diffusé ce 19 février sur une chaîne publique, en témoigne. D’étranges
résonances dans mon esprit. Quand je vois ces officiers nazis pillant la
France, ses bouteilles de bon vin bues à la hussarde, avec désinvolture, signe
de la suffisance d’une bande de nases en uniforme assis sur des siècles
d’Histoire balayés et digérés en un instant. Ces images résonnent dans ma tête
et s’associent à d’autres images, celles de ce monde de paillette, de parvenus
et de fric qui, un soir au Fouquet’s, célébra la victoire d’un président. N’ayant
pas le talent littéraire de Luis de la Miranda, je ne pourrai évoquer avec
précision ce télescopage d’images qui ne voit pas être considéré comme une accusation.
Cette association d’images rejoint ainsi celle
d’un écrivain ayant recoupé la festivité contemporaine et Auschwitz. Un billet
que Murray aurait apprécié, aux résonances étranges rédigé par Luis de la
Miranda que je cite : « Il me reste cette idée personnelle : de la
même façon que l’humanité qui a produit Auschwitz me paraît étrangère, autre,
lointaine, c’est aussi l’impression que j’ai souvent eue, à quelques exceptions
près, depuis mon adolescence, dans les soirées festives avec des inconnus. Les
fêtards extasiés au discours minimaliste et répétitif que l’on rencontre dans
les lieux dédiés à la fête m’ont souvent paru appartenir à une autre humanité, lointaine,
étrangère, et j’ai parfois souffert, plus jeune, de ne pas parvenir à être si
futile, ou si l’on préfère, léger » (Le Monde 12/02/08). Après
avoir vu le document sur la Résistance, une autre « barbarie » vient
à l’esprit, celle qu’on peut juger en observant les manœuvres de Charles
Beigbeder et autres lieutenants de la rupture (ou distance) avec les
dispositifs du Conseil national de la résistance, l’arrogance de ce monde de
paillette, de ces parvenus en yachts démesurés, de ces patrons qui ont perdu
toute notion de l’argent et se croient autorisés à piller leur entreprise,
voire voler le Fisc et, de ce fait, dépouiller un Etat de ses moyens pour
tenter de rendre un peu plus humaines les sociétés hyper-modernes. Ajoutons
aussi le scandale des boîtes de production pillant l’argent des télés
publiques.
Un télescopage ne vaut pas pour analyse,
il traduit une appréciation subjective livrant du sens produit par la raison
herméneutique, comme par exemple dans une œuvre d’art dont la signification n’est
pas évidente au premier abord. C’est donc une interprétation des événements
récents qui surgit à travers l’audacieux recoupement effectué par Miranda. Dont
je n’ai fait que suivre les sillons en livrant cette sentence. Les
administrateurs et exécutants du nazisme évoquent pour moi une autre humanité,
lointaine, implacable, violente, bestiale et barbare et cette autre humanité
étrangère, elle transparaît également dans ce monde où l’on brasse des millions,
où l’argent roi rend fou et où il semble bien que le souci de la vie civile ait
disparu, un monde auquel on pourrait associer quelques intellectuels et
politiciens en vue, devenus cyniques, voire carrément bêtes dans leur activisme
intempestif et leurs propos arrogants. Même si les individus sont égaux en
droit, l’humanité est livrée au schisme, à la foi dans le champ objectif et,
maintenant, dans le domaine de la subjectivité. Cette coupure, pressentie
depuis une décennie, prend des formes et des contenus divers selon la place où
se situe la conscience.
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